Université de printemps des finances publiques


Intervention de M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’Économie, des finances et de l’industrie

Université de printemps des finances publiques – Paris – 27 avril 2004

Mesdames, Messieurs,

Comment mener la réforme de la gestion des finances de l’État ? La loi organique relative aux lois de finances, la « LOLF » apporte beaucoup de réponses à cette question.

Cette loi, qui aura bientôt trois ans, est le fruit d’un travail considérable. Ce travail doit continuer pour mettre en œuvre la réforme, et s’accélérer pour être au rendez vous du budget de 2006.

Je ne vais pas vous décrire la LOLF, que vous connaissez bien. Je veux vous dire comment nous allons l’appliquer. Et avant de vous expliquer ce « comment », je propose que nous nous reposions la question : pourquoi cette réforme, pourquoi donc changer si profondément les choses ? Ce n’est qu’en étant clairs sur les objectifs que nous obtiendrons des résultats. Comme en toutes choses, le « comment » dépend du « pourquoi ».

A l’origine de la LOLF, nous savons tous qu’il y a le Parlement. La « LOLF » est au départ une réforme institutionnelle, elle vient d’une initiative parlementaire, ce qui n’est pas un hasard. Alain Lambert et Didier Migaud en sont les co-auteurs. La gauche et la droite ont été d’accord pour les suivre et avancer dans un chantier difficile .Ce consensus doit être salué. Il doit se poursuivre car l’intérêt général est en jeu.

Pourquoi cette quasi unanimité ? Cela s’explique par la volonté du Parlement de jouer son rôle, qui est celui de consentir à l’impôt et aux dépenses. Pour cela , il fallait changer les règles du jeu .Convenons que l’ordonnance organique du 2 janvier 1959 ,texte remarquable pour sa précision , était parfaitement adaptée à son époque. Cette époque, c’était celle du parlementarisme rationalisé, et l’« ordonnance », comme on l’appelait, rationalisait en effet le rôle du Parlement jusqu’à l’extrême. Gigantesque en volume, la discussion budgétaire était en fait largement jouée d’avance.

D’octobre à décembre, les Assemblées s’engageaient dans la seule voie ouverte par les textes, celle d’une bataille d’amendements fiscaux, qui durait trois jours, avant d’assister impuissantes à la présentation des dépenses de l’État, qui,elle,durait trois semaines. En votant le dernier jour sur l’ensemble du budget de manière solennelle, les députés et les sénateurs éprouvaient l’importance de leur geste, mais sentaient bien que l’essentiel s’était décidé sans eux.

Il est parfaitement légitime, il est sain, que les deux Assemblées se soient émues de cet état de fait et aient décidé d’agir.

Je considère cette initiative parlementaire comme un signe de santé de la démocratie. Je veux en rendre hommage à ses auteurs. Nous n’avons plus à craindre les errements de la IVe République.Peut être pouvons nous en tirer toutes les conséquences, près d’un demi siècle plus tard !

La représentation nationale veut reprendre son rôle , celui que les textes révolutionnaires, toujours en vigueur dans le préambule de notre Constitution, lui donnent, celui du consentement éclairé à l’impôt et à la dépense. Les Assemblées veulent pouvoir proposer des modifications de dépenses. Elle veulent voter le budget de l’État au premier euro. Elles veulent sortir d’un assujettissement consenti à l’exécutif, qui les noyait sous des flots d’information peu utilisables, en ne leur disant pas toujours l’essentiel. Elles veulent des informations utiles. Elles ont raison : le gouvernement va les y aider, car cela est aussi de son intérêt.

Songeons à tous les efforts faits au cours des dernières années pour introduire de l’évaluation dans l’action de l’État .Des commissions, des comités, qui se penchent sur ce qui a été fait, mais sans savoir au juste ce qui était censé être fait. D’où la difficulté à évaluer, et à tenir compte de cette évaluation. Au Parlement, des offices, des « jaunes » budgétaires, des missions, des questionnaires, autant d’efforts considérables déployés pour appréhender, tardivement, partiellement, l’action de l’État. Demain, Parlement et gouvernement pourront parler le même langage, à partir d’une matrice commune, celle des missions et des programmes budgétaires. Cela redonnera tout son sens à un calendrier budgétaire où la loi de règlement sera enfin le rendez vous de l’évaluation. Cela permettra à l’administration d’entrer enfin dans la culture du résultat.

J’entends pour ma part tout faire pour aider le Parlement à jouer ce rôle de partenaire, et non plus d’observateur. Sortons de cette période d’hypocrisie partagée, où le gouvernement disait ce qu’il voulait bien dire, et où le Parlement posait les seules questions qui lui étaient assignées. Les finances publiques sont une chose trop sérieuse pour être soustraites au débat démocratique.

Car si le débat budgétaire retrouve un rôle central dans notre vie publique, s’il cesse d’être une discussion de spécialistes ,non seulement le Parlement retrouvera son rôle, mais alors la raison d’être profonde de la « LOLF » apparaîtra : celle d’une réappropriation de l’État par les citoyens, les usagers, les contribuables.

C’est, au point où nous en sommes, un défi qui n’est pas une utopie. Lorsque l’on discutera de programmes articulés autour d’objectifs et de résultats, chacun pourra être juge de la manière dont l’argent des Français est utilisé. On ne parlera plus seulement d’environnement, de justice, d’éducation, qui ne sont plus des sujets de société, mais des thèmes de dissertation, tant leur acception est large – mais on parlera de prévention des risques, d’accès au droit, de politique pénitentiaire, d’enseignement primaire, d’enseignement technique agricole. On parlera de sujets qui intéressent les Français.

Il ne s’agira plus de savoir si tel titre, tel chapitre, a progressé ou diminué de tant ou tant, ce qui ne signifie rien sorti de son contexte. On arrêtera de parler de priorités à l’éducation, à la justice, à l’emploi, sur la seule foi de taux de progression de crédits. De quels crédits s’agit-il et pour quoi faire, c’est cela la vraie question. C’est bien de savoir que le budget de l’emploi progresse, mais est-ce pour financer plus de stages, pour rénover l’ANPE, pour créer des postes d’inspecteurs du travail ? Et pourquoi ne progresse-t-il pas plus, ce budget, alors que les besoins sont immenses ? C’est bien d’avoir un budget de l’intérieur prioritaire, mais quelle réduction de la délinquance se fixe-t-on ? Et pour le faire, quels moyens utilise-t-on ? Enfin, y est on arrivé, et sinon , pourquoi ? C’est cela qui compte.

C’est cela la démocratie, et non pas un vote par ministère et par titre, auquel seul une poignée d’initiés peut entendre quelque chose Cette nouvelle approche du budget, par résultats et non plus par moyens, c’est même le seul moyen de redonner de la vie à un pan essentiel de notre vie publique.

Et si les Français s’intéressent enfin au budget de l’État, croyez moi, nous aurons fait beaucoup pour la démocratie. Nous n’arriverons à rétablir la confiance que par cette transparence. C’est notre devoir, à nous responsables politiques. Il nous faut en finir avec cette opacité qui alimente toutes les méfiances. Les Français ne doivent plus vivre dans l’idée qu’on utilise leur argent à des dépenses inutiles, somptuaires, dans l’idée que le budget de l’État ce n’est pas l’intérêt général. Ils doivent comprendre pourquoi on se donne des priorités, pourquoi on fait des économies. Ils doivent aussi comprendre pourquoi ils paient des impôts.

Le consentement à l’impôt, il faut le rétablir en démontrant que l’impôt est bien utilisé. Les allègements fiscaux , il faut leur donner toute leur valeur en montrant l’utilité de l’impôt. Aujourd’hui on a tendance à considérer comme normal de voir ses impôts baisser, alors que le déficit budgétaire se creuse. Les baisses d’impôt, ce n’est pas un cadeau, c’est un choix, qui implique de renoncer à certaines dépenses.

Voilà ce qui est l’enjeu véritable de la LOLF, et il est considérable.

Comment allons nous y arriver ? En commençant, très concrètement, à réformer l’État. La LOLF, ce n’est pas toute la réforme de l’État, mais c’en est un volet essentiel. Disons que c’est un levier. Pour les responsables administratifs, c’est un changement de métier. Au lieu de se débrouiller du mieux possible, au jour le jour, avec des moyens imposés, voilà que l’on va devoir se fixer un objectif et demander les moyens qui vont avec. C’est un vrai tournant dans l’histoire de l’État !

Non seulement il faudra avoir une vision claire et exprimable de l’avenir, ce qui est déjà une rupture totale avec l’existant. Car aucun directeur d’administration centrale n’est aujourd’hui tenu de déposer une feuille de route. Ce sera le cas demain pour les gestionnaires de programme. Mais il faudra aussi faire preuve de vraies qualités de conviction, démontrer que l’on a besoin de moyens clairement identifiés. Il faudra être capable de gérer une enveloppe de moyens fongibles, avec une vraie liberté. Et enfin, il faudra rendre compte sur cette gestion, à travers les indicateurs de résultat. Si ce n’est pas une vraie révolution, qu’est ce que c’est ?

Je mesure l’ampleur de cette réforme. Pour qu’elle soit menée résolument, il nous faut beaucoup de détermination, car sinon les anciens réflexes vont revenir. Je vais mobiliser en tout premier lieu le ministère de l’économie et des finances pour réussir la LOLF. Ici , à Bercy, il a fallu et il faut encore convaincre, car la tradition est celle de la qualité, des résultats, mais pas celle de la transparence. La LOLF fait entrer dans tous les ministères que l’on appelle ici dépensiers une culture budgétaire au quotidien, et Bercy ne sera donc plus le seul détenteur de cette méthode. Il faudra accepter de la partager et de la diffuser.

Je demanderai bien sûr aussi beaucoup aux autres ministres, qui devront fixer des stratégies pour chaque programme budgétaire. Je veux que les fonctionnaires de l’État abordent cette ère nouvelle en y étant préparés, c’est à dire en étant formés aux enjeux et aux méthodes. C’est aussi leur réforme. Et aucune réforme ne peut réussir si ses acteurs n’y adhèrent pas profondément.

Il va nous falloir convaincre deux millions d’agents de l’État pour leur faire partager cet enjeu, et nous avons encore un an pour le faire. Rien ne serait pire qu’une réforme de façade qui se diluerait dans la force des habitudes. A nous de nous y employer en mettant en place une formation active aux objectifs autant qu’aux méthodes. Nous avons devant nous une année de préparation, nous en franchirons les étapes sans brutalité, en donnant à tous les moyens de l’adaptation progressive.

Quelle va être notre feuille de route pour les mois à venir ? Notre rendez vous est la présentation du budget de 2006 dans le nouveau cadre de la LOLF. C’est très proche. Je crois donc utile d’accélérer la préparation, et d’associer le Parlement plus étroitement encore à notre démarche.

Aujourd’hui et demain, les commissions des finances des Assemblées se prononcent sur le projet de nouvelle architecture budgétaire qui leur a été transmis le 21 janvier : 32 missions, et 127 programmes. Dans un mois, nous présenterons cette architecture de façon définitive, en tenant le plus grand compte de cet avis parlementaire, car le Parlement va être celui qui autorise et qui contrôle, désormais en pleine connaissance de cause.

Au cours de ce même mois qui vient, nous allons accélérer le mouvement des expérimentations des programmes dans les ministères, afin que chaque administration , centrale comme déconcentrée, soit en mesure de démarrer en début d’année prochaine. Nous allons aussi mettre au point un guide sur la performance, qui sera un document essentiel dans la mise au point de nouvelles méthodes de gestion, et nous voulons le faire en liaison avec les commissions des finances du Parlement, avec la Cour des Comptes, pour qu’il soit un vrai document de référence, de consensus. De la mise au point d’indicateurs pertinents, reconnus, partagés, dépend largement le succès de la réforme qui sinon pourrait rester encore trop formelle.

L’étape suivante, c’est le débat d’orientation budgétaire du mois de juin. Les ministères devront alors avoir tous désigné leurs responsables de programme, et réfléchi concrètement aux moyens de piloter concrètement ces programmes en mobilisant l’ensemble des administrations concernées .Pour les y aider ,nous allons mettre en place un dispositif d’animation de la réforme au niveau territorial , autour des préfets et des trésoriers payeurs généraux .Nous fixerons également la maquette définitive des projets annuels de performance articulés autour de ces programmes. Ce sont les documents qui remplaceront en 2005 les bleus budgétaires. En même temps, nous aurons défini une politique de formation pour tous les agents de l’État.

En septembre, nous ferons une double présentation de la loi de finances : traditionnelle, et aussi nouvelle, par programme, avec des indicateurs de performance. Je tiens à ce que ce budget « à blanc » ne se limite pas seulement à une présentation des crédits , à une nouvelle nomenclature .Je veux que nous présentions également au Parlement une première version de la stratégie des programmes , stratégie clairement articulée autour d’objectifs politiques et d’indicateurs de performance .Ce travail est immense pour les ministères , ils doivent s’y préparer dès maintenant .

Enfin, en janvier 2005, démarreront en grandeur réelle les expérimentations , de manière à ce que chaque administration ait les moyens de tester les différents aspects de la réforme .Pour cela, il faudra bien sûr que les périmètres et responsables des futurs budgets opérationnels de programme aient été définis. Car des objectifs quantifiés, la gestion de crédits fongibles, le compte rendu de résultats, tout cela ne s’apprend pas en un jour.

Grâce à ces efforts , nous serons donc préparés en temps et en heure à la confection et la présentation du projet de loi de finances pour 2006 dans le nouveau cadre de la LOLF. Je tiens absolument à ce que cette échéance soit respectée et elle le sera. Il n’est pas question de demander à l’administration de basculer d’un jour à l’autre dans une nouvelle culture. Si nous voulons réussir en profondeur, il nous faut monter en puissance, sans brutalité, mais avec rigueur . Il faut, dans l’application même de la LOLF, se fixer des objectifs et se donner des moyens, c’est ce que nous allons faire. Chaque semaine qui nous sépare du mois de septembre 2005 sera utilisée à cette fin .

Mesdames et Messieurs, j’ai tenu à rendre hommage aux auteurs de cette réforme, autant qu’à vous faire part de mon engagement personnel dans sa réussite.

Je terminerai en la resituant dans son contexte. Je dirai que si la LOLF n’existait pas, il nous faudrait de toute façon, aujourd’hui, l’inventer. Nos déficits, notre dette publique, demandent une gestion à la fois stratégique et transparente de l’argent des Français. Il n’y a pas de ministre propriétaire de son budget. Il y a un seul budget de l’État, qui remplit des missions.

Il nous faut faire des choix, des arbitrages, au sein de ce budget, des choix qui soient assumés collectivement. En contrepartie, je veux que le ministère des finances joue un rôle nouveau, de partenaire des ministres que l’on dit « dépensiers ». Bercy ne peut pas se contenter de dire « non » aux dépenses qui n’entrent pas dans une enveloppe, il doit aussi avoir un rôle de proposition. Bercy doit accompagner la politique du gouvernement et non pas la freiner. Le ministère de l’économie et des finances, systématiquement, doit faciliter la mise en œuvre des objectifs gouvernementaux .

Pour cela, j’ai souhaité que la loi de finances soit préparée dès cette année en associant collectivement les ministres aux objectifs du gouvernement, plutôt que de la confectionner au cours de tête à tête houleux avec les ministres dépensiers. Eh bien la LOLF va être l’instrument de cette nouvelle approche. Il n’y a plus de temps à perdre à saluer des taux de progression, à déplorer des taux de réduction. Nous devons chaque année revoir notre budget au premier euro, et le seul moyen d’y arriver, c’est bien de nous fixer des objectifs, des résultats, et de tirer des conséquences de ces résultats. La LOLF va nous permettre de le faire.

Elle est la garantie d’une remise en cause des habitudes, des habitudes de dépense , mais aussi des habitudes de l’action .Elle est une incitation à l’innovation permanente, à l’actualisation des politiques, qui pour être efficaces n’ont pas forcément à être coûteuses, et qui lorsqu’elles ne peuvent qu’être coûteuses, peuvent aussi se substituer, et non s’additionner aux politiques précédemment mises en œuvre. Elle peut être l’instrument d’une meilleure efficacité et d’une meilleure maîtrise de la dépense, donc d’un enrichissement des Français. Comptez sur ma détermination pour réussir dans cette entreprise et pour cela y associer pleinement les Français et leur représentation nationale.