Conférence de presse du mardi 4 mai 2004


Intervention de M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’Économie, des finances et de l’industrie

Conférence de presse du mardi 4 mai 2004 – Centre de conférences – Bercy – 4 mai 2004

Mesdames, Messieurs,

Quatre semaines après ma prise de fonctions au ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, j’ai souhaité vous présenter les premières orientations de la politique économique que j’entends mettre en œuvre, sous l’autorité du Président de la République et de Jean-Pierre Raffarin, avec les quatre ministres qui travaillent à mes côtés.

Au terme de ce premier mois, j’ai acquis une conviction profonde : la France n’est pas condamnée à subir. Il n’y a pas de fatalité à la progression de la dette publique. Il n’y a pas de raison de se résigner à une croissance molle. La désindustrialisation, les délocalisations, le chômage, qui frappe 2,4 millions de nos concitoyens, tout ceci n’est pas inéluctable.

Il faut agir, et agir vite. Je me battrai sur tous les fronts en même temps : je ne peux me permettre d’en négliger aucun. Que faut-il faire ? Redresser les finances publiques pour rétablir la confiance, soutenir l’activité malgré le contexte budgétaire contraint, engager une politique industrielle volontariste pour affronter la concurrence mondiale.

1. Redresser les finances publiques

La dette publique atteint aujourd’hui 1 000 milliards d’euros, 64 % du PIB contre 20,7 % en 1980. Aux économistes qui proposent de relancer la croissance en creusant le déficit et la dette, je réponds : « Pour le déficit et la dette, c’est fait. Pour autant, la croissance n’est pas suffisamment là ». La raison en est simple : les Français n’ont pas confiance dans l’avenir. Ils hésitent à consommer et à investir.

Comment allons nous faire ?

– Il faut d’abord stabiliser la dette publique par rapport au PIB (c’est-à-dire faire en sorte que la dette n’augmente pas plus vite que la richesse nationale). C’est mon objectif pour 2006. En 2004, la charge des intérêts de la dette représentera pour l’État près de 40 Md d’euros, c’est-à-dire trois fois nos dépenses d’investissement civil et davantage que l’ensemble des crédits consacrés aux politiques de l’emploi. Nous ne pouvons pas continuer sur cette pente. Pour parvenir à cet objectif, il nous faut impérativement en 2004 respecter le plafond des dépenses autorisées par le Parlement soit 283,7 Md d’euros. C’est le but du gel de 7 Md d’euros. Il nous faut ensuite respecter, en 2005, l’engagement d’un déficit public inférieur à 3 % du PIB (2,9 % précisément). Ces objectifs intermédiaires sont possibles si l’assurance maladie est réformée rapidement. Cette réforme doit être structurelle.

– Nous devons ensuite nous doter de règles de comportement budgétaire, comme l’ont fait plusieurs de nos partenaires européens. Si nos finances publiques en sont là, c’est notamment parce que la période 1998-2000 de croissance très dynamique n’a pas été mise à profit pour restaurer l’équilibre des finances publiques. Ces errements ne doivent pas se reproduire. Je confirme, pour 2004, que la règle de l’augmentation zéro des dépenses sera respectée. Elle doit aussi être un objectif pour 2005. Je proposerai, avant la fin de l’année, le vote d’une loi organique qui fixerait comme règle que, si la croissance est supérieure aux prévisions, au moins la moitié des recettes supplémentaires est affectée à la réduction du déficit. Il faut également que nous élaborions, avec les collectivités locales et les gestionnaires sociaux, un pacte de stabilité interne. Chacun doit être mis devant ses responsabilités. Cela fait 23 ans consécutifs que le budget de l’État est en déséquilibre. Il est plus que temps de redresser la barre. – Toutes les niches fiscales actuelles seront évaluées d’ici à la fin de l’année. Je souhaite que les avantages fiscaux, quels qu’ils soient, soient limités à une durée de cinq ans et leur efficacité systématiquement mesurée. Ceux qui sont inutiles ou injustes seront, soit supprimés, soit réformés et le gain en résultant sera recyclé dans des baisses de taux profitables à tous. – Nous allons poursuivre les réformes structurelles nécessaires à la maîtrise des finances publiques. Les Français attendent des simplifications et des mesures de rationalisation de la dépense qui amélioreront, non seulement nos finances publiques, mais encore la qualité du service. Ce n’est pas parce qu’elles représentent 54,7 % du PIB, soit six points de plus que la moyenne des pays européens (48,4 % du PIB en 2003), que nos politiques publiques sont plus efficaces. Il suffit d’en juger par le taux de chômage ou les résultats de notre politique de lutte contre l’exclusion. La règle du « un sur deux », qui consiste à remplacer par un seul agent deux fonctionnaires partant à la retraite, est une règle trop brutale si elle est appliquée sans discernement à tous les ministères. L’objectif de la baisse des effectifs dans la fonction publique est cependant majeur pour le respect de nos équilibres. Les dépenses en personnel représentent 43 % du budget de l’État. Le ministère des Finances appliquera pour sa part la règle du « un sur deux », permettant le non remplacement de 5 000 postes budgétaires d’ici 2007. Les autres ministères, avec les spécificités qui sont leurs, doivent aller dans le même sens de la réduction des effectifs. Je précise, car c’est capital dans mon esprit, que les agents publics qui participeront à cet effort de modernisation bénéficieront, dans leur rémunération, des efforts de réduction d’effectifs ou de réforme de leurs statuts. Il faut que les gains de productivité profitent à tous. C’est une question de justice. Les Français ont trop le sentiment, souvent justifié, que lorsque l’on demande des efforts tout le monde est concerné mais qu’au moment du partage des résultats seuls les plus favorisés en profitent. Il faut y mettre un terme.

– Enfin, notre patrimoine public sera géré de façon plus dynamique. Dès cette année, 100 000 m2 de bureaux appartenant à l’État en centre ville seront vendus. Le produit viendra en diminution du déficit. Après accord avec le gouverneur de la banque de France, 500 à 600 tonnes d’or seront vendues dans les cinq années qui viennent. L’État laissera au bilan de la banque le produit de cette vente, mais récupérera l’intégralité des intérêts (200 millions d’euros chaque année à l’issue de la procédure et 100 dès la première année). Enfin, nous allons vendre des participations au capital d’entreprises publiques : 35 % du capital de la Snecma seront mis sur le marché avant le 30 juin pour un produit d’1,6 à 2 Md d’euros ; le capital des deux sociétés autoroutières SANEF et SAPRR sera ouvert avant la fin de l’année. Il y aura d’autres opérations sur lesquelles je communiquerai dans les semaines qui viennent. Elles n’auront lieu que si les conditions de marché sont bonnes. En aucun cas, elles ne serviront à couvrir les dépenses courantes de l’État. Elles viendront en diminution de la dette.

2. Pour soutenir l’activité malgré le contexte budgétaire contraint :

– J’ai proposé à certains de mes collègues ministres des finances que nous travaillions ensemble, de manière informelle, à l’émergence d’un gouvernement économique de l’Europe qui actuellement n’existe pas. Cela nous prive de réelle politique économique. Plusieurs pistes de travail sont envisageables, comme l’échange d’informations permanentes sur l’exécution de nos programmes de stabilité, la présentation, dans nos budgets, et cela dès 2005, d’hypothèses macroéconomiques concertées ou le lancement de mesures fiscales ou budgétaires convergentes permettant de dynamiser tel ou tel secteur, comme la recherche, le développement et l’innovation.

– Deuxièmement, nous allons encourager, pendant une durée d’un an, le transfert de l’épargne vers les jeunes générations. Tous les Français souhaitent laisser quelque chose à leurs enfants et petits-enfants. Il faut récompenser et encourager cet effort de solidarité entre les générations. Entre le 1er juin 2004 et le 31 mai 2005, chaque parent ou grand-parent pourra donner en franchise totale d’impôt jusqu’à 20 000 euros à chacun de ses enfants et petits-enfants majeurs. La procédure sera très simple. Il suffira de remplir un formulaire déposé dans les trésoreries et dans les mairies puis de le joindre à sa déclaration d’impôt.

De même, d’ici quelques jours, ceux qui souscriront des crédits à la consommation durant l’année qui vient pourront en déduire les intérêts de leur impôt dans la limite de 150 euros, correspondant à 600 euros d’intérêts et cela deux années de suite. Cela correspond à un emprunt de 15 000 € sur 2 ans. Les Français seront ainsi aidés dans l’acquisition d’une voiture ou de biens d’équipement de la maison.

– Les réserves de participation seront débloquées de façon anticipée avec un plafond de 10 000 euros par personne, après accord collectif. Ce déblocage pourrait représenter 5 milliards d’euros.

– Nous avons commencé de nous attaquer au problème des prix dans la grande distribution, dont la dérive explique largement le faible accroissement du pouvoir d’achat des ménages en 2003. Il faut conserver le principe de l’interdiction de la revente à perte, mais les relations entre les grands distributeurs et les grandes marques doivent être plus transparentes et les excès actuels de la coopération commerciale combattus. Une table ronde se tiendra avec tous les acteurs concernés avant la fin mai. Des mesures d’accompagnement de la réforme seront concertées avec l’ensemble des partenaires, en particulier pour faciliter l’accès des PME aux grandes centrales d’achat et pour aider le commerce de centre ville à se redynamiser. A cette fin, les commerçants qui céderont leur fonds de commerce à un commerçant du même secteur d’activité bénéficieront d’une exonération totale de l’impôt sur la plus-value. Ils seront également exonérés de la part État des droits de mutation. Et les collectivités locales pourront également décider de cette exonération pour la part des droits les concernant. De même, des assouplissements supplémentaires seront recherchés à la règle générale de la fermeture dominicale des commerces, tout en intégrant les préoccupations du commerce de centre ville et celles des salariés et de leur famille. Cela pourrait consister à augmenter le nombre des dérogations municipales et à redessiner les zones touristiques.

– Nous allons également conforter le marché immobilier, car c’est un secteur d’activité actuellement très dynamique. Des réserves foncières inutilisées vont être déclassées du domaine public et affectées au marché immobilier. Pour la seule Île-de-France, 3 millions de m2 seront ainsi libérés d’ici 2010. Par ailleurs, le crédit immobilier sera stimulé par la simplification du régime des garanties hypothécaires, actuellement beaucoup trop cher et contraignant. L’autorisation du crédit hypothécaire à la consommation sera également envisagée.

L’ensemble de ce dispositif viendra conforter l’impact positif, sur la croissance, de la hausse du SMIC qui interviendra en juillet prochain (+ 3,7 % pour le Smic horaire en pouvoir d’achat).

J’ajoute que des freins à la croissance existent dans notre pays qui l’empêchent de tirer pleinement parti de la reprise mondiale. La croissance repart. Elle sera de l’ordre de 1,7 ou 1,8 % cette année. Au plan mondial cependant, elle sera de 4,6 %. C’est la raison pour laquelle, j’ai demandé à Michel CAMDESSUS de présider une « Commission des Sages » qui aura pour mission d’identifier ces freins et de faire des propositions pour les lever.

3. Face à la désindustrialisation et aux délocalisations, je souhaite enfin mener une politique industrielle volontariste.

Bien sûr, la réduction du nombre des emplois industriels dans notre pays est compensée par la création de centaines de milliers d’emplois dans le tertiaire. Quant à la mondialisation, elle ne présente pas que des inconvénients. Lorsque nos entreprises investissent à l’étranger, c’est souvent pour conquérir de nouvelles parts de marché, tandis que 15 % de l’emploi en France repose sur les investissements étrangers.

Ceci posé, le bilan est loin d’être seulement positif : pour les zones et les secteurs de l’économie qui doivent se reconvertir, les mutations sont difficiles et parfois impossibles ; plus aucun secteur ne paraît d’ailleurs à l’abri ; la question est même posée de savoir si notre pays n’a pas pris du retard en matière de développement des technologies de l’avenir. Il faut reprendre l’initiative. La France comme l’Europe ne peuvent devenir des déserts industriels : des solutions existent.

– En premier lieu, il faut conforter nos acquis stratégiques. Il y a en Europe de grandes entreprises, avec un savoir-faire de très haut niveau, qui sont des facteurs de croissance pour des centaines de PME qui vivent dans leur sillage. Il faut les soutenir. C’est ce que j’ai commencé de faire avec Alstom, avec EDF, avec la fusion amicale entre Sanofi et Aventis. Ce n’est pas un droit pour l’État d’aider ces industriels. C’est un devoir. Il faut des années pour créer un grand groupe. Il ne faut que quelques mois pour qu’il disparaisse.

– Ensuite, il faut promouvoir le développement de nos entreprises vers des activités de plus haute technologie. A cet égard, les centres de recherche et de développement des entreprises doivent faire l’objet d’un traitement spécifique. Une imposition forfaitaire leur sera proposée pour éviter les problèmes liés à la localisation des bénéfices ou aux prix de transfert.

– Dans le même esprit, je souhaite promouvoir les pôles de compétitivité, c’est-à-dire des zones nouvelles d’activité où se concentrent des entreprises d’un même secteur et qui se développent grâce à la mutualisation de certaines tâches de gestion, la spécialisation des entreprises, la création de synergies favorables à l’innovation. La méthode est valable pour les technologies de pointe comme pour les industries plus traditionnelles. On peut aller jusqu’à imaginer une forme de franchise fiscale, dont j’irai défendre le principe à Bruxelles, de ce qui serait bien sûr une politique communautaire.

– Notre pays fait preuve d’un grand dynamisme en matière de création des entreprises. Mais nos PME ne bénéficient pas de tous les soutiens nécessaires, notamment au stade de leur développement. Des mesures seront donc prises dans le domaine de l’assurance-vie, en particulier les contrats dit DSK devront avoir plus de parts en actions d’entreprises non cotées, mais également dans le domaine des fonds communs de placement dans l’innovation et des nouveaux produits destinés à financer les compléments de retraite (PERP et les PERCO), pour orienter davantage l’épargne vers ces entreprises. De même, nous allons créer une agence des PME, regroupant notamment les services de l’ANVAR et de la BDPME, sur le modèle de la « Small Business Administration ». Je doterai également la SOFARIS d’un fonds de 580 millions d’euros dont les intérêts permettront de garantir près de 400 millions d’euros de crédit par an. – Les freins à l’investissement que constituent certaines incohérences de nos réglementations doivent être supprimées. La réforme des 35 heures a été un contresens économique. La France est le seul pays au monde qui a réussi cet exploit : affaiblir la valeur du travail dans la société et brider à la fois son offre et sa demande, sans même parler du coût colossal de cette réforme sur les finances publiques. Je rappelle que pour l’année 2005, la seule question de l’allègement des charges lié aux 35 heures coûtera au budget de l’État 10 Md d’euros. Un jour il faudra en parler avec les partenaires sociaux. Je n’ignore nullement les questions politiques que cela pose. Les 35 heures sont un acquis social. Mais pourra-t-on durablement empêcher ceux qui veulent travailler davantage de le faire ? Alors que parallèlement les dépenses de l’État explosent. Je souhaite au moins que le problème soit posé. La réputation de notre législation fiscale doit être améliorée. Je confierai à Bruno Gibert, dont la compétence est incontestable, une mission de réflexion générale et de propositions pour supprimer les lourdeurs de certaines procédures et donner une plus grande sécurité à notre droit. Les règles de l’impôt sur les sociétés peuvent-elles encore être rétroactives ? Il doit en être de même dans les autres secteurs du droit économique : ce ministère fera désormais des propositions systématiques. Par exemple, 90 % des entreprises en redressement judiciaire sont liquidées, c’est-à-dire qu’en réalité, disons les choses comme elles sont, la procédure échoue. Le droit applicable aux entreprises en difficulté doit donc être réformé dans le sens d’une détection plus précoce des difficultés et d’une moindre judiciarisation qui dramatise la procédure et ne donne pas sa chance au règlement amiable. La réforme de la taxe professionnelle, qui constitue un frein notoire à l’investissement, sera mise en œuvre dès que le groupe de travail m’aura remis ses conclusions. Je rappelle que, d’ores et déjà, les nouveaux investissements productifs bénéficient d’une mesure du dégrèvement de la taxe professionnelle depuis le 1er janvier de cette année.

– Nous allons enfin engager une stratégie de lutte contre les délocalisations. Tous les pays européens sont concernés par ce problème. Je prendrai l’initiative d’une réflexion commune sur ce sujet à l’échelon communautaire. Nous devons trouver des solutions et harmoniser nos réponses. En particulier, le régime des aides aux entreprises doit être remis à plat. Le droit européen en la matière est beaucoup trop restrictif, il conduit au saupoudrage, et restreint nos capacités d’action, aussi bien pour les secteurs en difficulté que pour les secteurs d’avenir, comme la recherche et le développement. Les aides doivent perdre leur caractère automatique et n’être versées qu’au regard d’un engagement de non-délocalisation. Beaucoup d’affaires de subventions ainsi détournées ont à juste titre scandalisé les Français. Il faut y mettre un terme. A l’image des États-Unis, une obligation de transparence géographique de l’origine des biens et services proposés par chaque cocontractant pourrait également être instituée dans le domaine des marchés publics. Les décideurs doivent être informés de la provenance des produits qu’ils acquièrent.

Comme vous pouvez le constater c’est parce que les difficultés sont nombreuses que je vais multiplier les initiatives. Quand il n’y a pas de marges de manœuvre, il faut s’en créer par le mouvement et par le volontarisme.

Mon action est pragmatique, elle est marquée du sceau de l’urgence. Elle est néanmoins soutenue par une vision de notre économie à moyen terme. Je ne crois pas que le déclin soit inéluctable. Je crois qu’il nous appartient de dessiner le visage d’une France dotée de pôles d’excellence industrielle, ayant su développer le formidable gisement d’emplois de service que recèle son économie, où chacun aura sa chance parce que lui sera reconnu un droit à la formation, où, le fossé entre les salariés du public comme du privé et les dirigeants sera réduit par une présence systématique de ces derniers sur le terrain pour expliquer, pour entraîner et pour convaincre. Je veux une économie plus juste, où l’effort et, le travail sont récompensés. Je prouverai dans les mois qui viennent que ces objectifs n’ont rien d’utopiques.