Alors que s’engagent cette semaine des négociations entre les partenaires sociaux et le gouvernement, portant notamment sur la sécurisation des parcours professionnels, Nicolas Sarkozy défend une « réforme ambitieuse, juste et équilibrée entre les exigences de sécurité et flexibilité ». Pour lui, l’instauration d’une Sécurité sociale professionnelle permettra revenir au plein emploi.
La Tribune du 12 décembre 2005
Les émeutes urbaines que nous venons de connaître confirment dramatiquement mon diagnostic, déjà ancien, de l’échec du modèle social français. Même si jusqu’aux années 70, notre système social a très bien fonctionné, ayons à présent le courage de reconnaître que, depuis près de 30 ans, il s’est peu à peu bloqué. On ne peut hélas pas vivre éternellement dans le passé.
Ayons la lucidité de voir que notre système social n’est plus ni juste, ni efficace. D’ailleurs, au risque de surprendre, je considère que si nous échouons aujourd’hui, c’est avant tout car notre système n’est plus à la hauteur des ambitions qui lui ont donné naissance : l’égalité des chances, la garantie d’une véritable solidarité nationale face aux aléas de la vie et de l’économie, la récompense du travail et du mérite.
Ayons enfin le courage de constater qu’à l’heure de la mondialisation, notre pays semble incapable de sortir du chômage de masse, de la croissance molle et de l’angoisse du lendemain. Ma conviction est pourtant claire et j’ai confiance dans les Français. Il n’y a aucune fatalité à ce que la mondialisation signifie moins d’emplois, moins de pouvoir d’achat et des conditions de travail dégradées. D’autres pays affrontent cette mondialisation et en tirent profit. Ces pays ne sont pas meilleurs que nous. Mais ils ont en commun de posséder des systèmes sociaux qui créent la confiance et protègent efficacement les salariés, tout en laissant aux entreprises la liberté nécessaire à leur développement.
En France, au contraire, qui se sent aujourd’hui protégé quand un salarié sur trois craint d’être touché directement par les délocalisations ? L’insécurité sociale ressentie par les millions de salariés français est d’autant plus paradoxale que, comparé à nos voisins, nous sommes aujourd’hui les « champions » de la protection des emplois existants.
Ce paradoxe n’est hélas qu’apparent. La réglementation stricte et complexe du licenciement dans notre pays a pour effet que nous avons un peu moins de licenciements que les autres, mais nous avons surtout beaucoup moins de créations d’emplois. Les périodes au chômage sont plus longues en France (17 mois contre 8,5 mois pour la moyenne des pays du G7). 70% des embauches passent aujourd’hui par des contrats précaires et l’intérim.
Au final, c’est un équilibre « perdant-perdant » : pour les entreprises car l’absence de flexibilité de l’emploi réduit les embauches, et pour les salariés dont les emplois ne peuvent être totalement protégés du licenciement et qui supportent une forte précarité.
Je crois, au contraire, qu’il est possible d’offrir aux entreprises et aux salariés français un accord gagnant. Pour lutter contre le chômage, je suis convaincu qu’il nous faut inventer la protection sociale du salarié du XXIème siècle.
Alors que les parcours professionnels sont discontinus et marqués par des périodes de chômage plus ou moins longues, par des reconversions et l’acquisition de compétences nouvelles, il convient que les protections soient désormais attachées aux salariés et non aux emplois qu’ils occupent. La CGT et la CFDT le réclament depuis longtemps, à juste titre. Quels sont les termes, indissociables, de cette nouvelle approche ?
Premièrement, introduisons davantage de flexibilité dans l’emploi et dans l’organisation du travail, afin de libérer les embauches. La meilleure et la première des sécurités de l’emploi, c’est la certitude de pouvoir trouver facilement un nouveau travail dans un marché de l’emploi dynamique. Nous voyons avec le contrat nouvelles embauches que cette flexibilité répond à un véritable besoin des entreprises.
Deuxièmement, protégeons tous les salariés de manière à la fois plus juste et plus effective, à travers l’institution d’un contrat de travail unique à durée indéterminée qui permettrait de réunifier notre droit du travail. Le contrat unique à durée indéterminée serait assorti de garanties fortes dès le premier jour, et se renforceraient avec le temps, sous la forme notamment d’indemnités croissantes en fonction de l’ancienneté.
Troisièmement, comme la Sécurité sociale protège nos concitoyens face à la maladie et la vieillesse, renforçons les garanties offertes aux salariés face aux risques professionnels en instituant la Sécurité sociale professionnelle.
Cela commence par le droit à un reclassement personnalisé performant par le service public de l’emploi, issu de la fusion de l’ANPE et de l’UNEDIC. Ensuite, tout salarié doit avoir droit à une indemnisation généreuse du chômage, en contrepartie d’un contrôle assidu de la recherche d’emploi. Dans mon esprit, la durée de l’indemnisation du chômage ne devrait pas être fonction de la durée de cotisation mais tenir compte avant tout des difficultés objectives de chaque personne à retrouver un emploi. Enfin, quel que soit son parcours, un salarié français devrait garder l’accès à la formation professionnelle tout au long de la vie. C’est la clé de la promotion sociale.
Afin de doter le service public de l’emploi rénové des moyens d’un accompagnement de très haut niveau, je propose que les entreprises qui recourent beaucoup au licenciement soient taxées davantage que les autres. Il s’agit également d’inciter les entreprises à privilégier d’abord les solutions de reclassement interne.
Cette démarche de « flexisécurité » n’a rien d’original. Elle est appliquée depuis longtemps, par des gouvernements de droite comme de gauche, aux Pays-Bas, en Suède et au Danemark, avec profit puisque leurs taux de chômage avoisinent 5 à 6%.
L’ambition fondamentale de revenir au plein emploi requiert une réforme ambitieuse, juste et équilibrée entre les exigences de sécurité et flexibilité. C’est le cap que je souhaite que le gouvernement, le patronat et les syndicats adoptent résolument, alors que s’ouvrent des discussions aujourd’hui.