L’égalité des chances !


Après les violences urbaines qui ont secoué les banlieues ces dernières semaines, Nicolas Sarkozy réaffirme la nécessité de transformer l’égalité des droits en réelle égalité des chances par la discrimination positive. Il en explique les principes et les objectifs ainsi que les moyens d’y parvenir, hors de toute controverse.

par Nicolas Sarkozy pour Le Figaro

La flambée de violences urbaines qui a secoué nos grandes agglomérations jette une lumière crue sur les défaillances de notre modèle de société. Face à ces événements, il fallait d’abord restaurer l’autorité de l’Etat et protéger nos concitoyens, à commencer par les plus vulnérables d’entre eux. Rien ne peut en effet justifier les débordements inadmissibles dont nous avons été les témoins. Aucune difficulté sociale n’autorise à détruire la voiture d’autrui, à incendier des crèches et des écoles, à battre à mort son voisin ou à agresser les forces de l’ordre. Les auteurs de ces crimes et délits doivent être sanctionnés sans faiblesse.

Mais en toile de fond de ces événements, chacun voit bien qu’il y a des territoires urbains dans lesquels se concentrent tous les maux que nous n’avons pas su ou pas voulu traiter depuis 30 ans : le chômage de masse, l’immigration subie, l’échec scolaire et le blocage de l’ascenseur social. Malgré des dépenses sociales en progression constante –près de 500 millions d’euros aujourd’hui, soit 8 points de PIB de plus qu’en 1981-, et en dépit de la succession des plans d’urgence qui ont englouti plus de 40 millions d’euros depuis l’invention de la politique de la ville, nos banlieues se sont inexorablement enfoncées dans la crise. Un jeune sur deux sans emploi, trois enfants sur quatre arrivant en 3ème avec au moins un an de retard, six fois plus d’élèves ayant interrompu leurs études à l’âge de 18 ans, voilà les tristes statistiques de notre échec. Il y a bien quelques jeunes des quartiers sensibles qui parviennent, au prix d’une incroyable ténacité, à poursuivre avec succès des études supérieures. Mais reconnaissons que leur accès à un emploi correspondant à leurs qualifications ou à un logement se heurte souvent à une nouvelle barrière, celle des préjugés et parfois du racisme. Le taux de chômage des enfants d’immigrés ayant reçu une formation supérieure est ainsi deux fois plus élevé que celui des actifs de même niveau

Faute de perspectives crédibles d’intégration et de promotion pour leurs habitants, ces quartiers ont eu tendance à se replier sur eux-mêmes, à se réfugier dans une contre-société avec ses propres codes, ses propres règles et même son propre langage. Ils se sont de plus en plus organisés à côté de nous et de moins en moins en moins avec nous.

Nous ne pouvons continuer à accepter qu’un nombre croissant d’individus soient assignés à des destins écrits d’avance. Et nous ne pouvons plus simplement invoquer des principes qui, comme l’égalité des chances, ne sont plus des réalités tangibles pour beaucoup de nos compatriotes. Ces principes, encore faut-il les faire revivre et les traduire en actes pour qu’ils s’inscrivent à nouveau dans les faits. Proclamer l’égalité devant la loi ne suffit plus : il convient désormais de promouvoir aussi l’égalité par la loi.

Quand je plaide en faveur de la discrimination positive à la française, c’est précisément à cette politique active d’égalité par le droit que je fais référence, c’est une certaine idée de la justice et de l’égalité réelle que je défends. Ce qui m’anime, c’est l’ambition d’offrir à chacun d’entre nous, quels que soient sa naissance et son lieu de résidence, les possibilités effectives d’épanouissement et de réussite qu’il est droit d’attendre et d’espérer pour lui-même et pour ses enfants.

Finissons-en une bonne fois avec cette rumeur absurde selon laquelle je serais un partisan du communautarisme et des quotas ethniques. Ce n’est pas ma vision de la nation française, dont l’une des spécificités les plus remarquables est justement de vouloir intégrer toutes les populations en une seule communauté de valeurs et de destin. Finissons-en également avec cette idée qui voudrait que la discrimination positive que je propose conduise à exonérer ses bénéficiaires de tout effort. Au contraire, pour ceux dont les conditions objectives de réussite sont très dégradées, il s’agit de faire en sorte que l’effort ait à nouveau un sens et que le mérite soit enfin récompensé. De ce point de vue, les initiatives prises par Sciences Po Paris et d’autres pour s’ouvrir aux meilleurs élèves des lycées situés en ZEP me paraissent parfaitement conformes à l’idéal républicain. Au demeurant, la notion de discrimination positive a été formulée il y a quelques années par le Conseil d’Etat pour désigner toutes les politiques visant à en faire plus pour ceux qui ont moins. Je pense notamment aux emplois aidés, aux mesures en faveur de la parité entre homme et femme, aux actions relatives à l’insertion des personnes handicapées ou encore à l’aménagement du territoire, qui consiste à se mobiliser davantage pour les territoires cumulant les handicaps géographiques, économiques ou sociaux.

Le territoire me semble d’ailleurs devenu l’un des facteurs les plus structurants de la reproduction et de l’amplification des inégalités. Notre politique d’aménagement du territoire doit de toute urgence réinvestir cette problématique et imaginer des réponses adaptées. Dans le cadre de mes attributions ministérielles, j’aurai prochainement l’occasion de faire des propositions en ce sens. Notre ambition en la matière ne doit pas se limiter aux zones rurales. Elle doit aussi s’adresser aux agglomérations, et singulièrement aux banlieues.

Mais cette approche par les territoires ne suffit pas. Elle doit être complétée d’une approche par les personnes. Il serait profondément injuste d’aider indistinctement les individus qui font des efforts et ceux qui persistent à n’en faire aucun, ceux qui respectent les règles de la vie commune comme ceux qui les bafouent. On ne peut valablement aider que ceux qui veulent véritablement s’en sortir.

La noblesse de la politique, c’est de hiérarchiser les priorités et de faire des choix. C’est choisir d’aider davantage tel département rural plutôt que les Hauts-de-Seine, telle ville pauvre plutôt que Neuilly, tel enfant de La Courneuve ou d’un bassin industriel sinistré plutôt que tel élève des beaux quartiers de Paris. Et si par ce biais nous touchons beaucoup d’enfants ou de petits-enfants d’immigrés, c’est normal. Ils sont français et leur avenir est en France.

Bien sûr, les entreprises, à commencer par les plus grandes, doivent apporter une contribution essentielle au déblocage de l’ascenseur social dans nos banlieues les plus défavorisées. Certaines d’entre elles ont déjà manifesté leur volonté d’agir. Je ne peux que les encourager à aller plus loin. Les services de l’emploi doivent s’organiser pour accompagner cette mobilisation. En renforçant leur présence et en adaptant leurs interventions dans les quartiers difficiles. En n’hésitant pas à faire appel à des prestataires privés qui ont fait la preuve de leur efficacité dans l’insertion ou le reclassement de publics spécifiques. Mais si nous voulons que le secteur privé s’implique dans ce domaine, le secteur public, et en particulier l’Etat, se doivent d’être exemplaires. L’Etat doit redevenir le vecteur de promotion sociale qu’il a été par le passé, en s’affirmant comme le premier acteur de la grande politique de discrimination positive que j’appelle de mes vœux.

Tout d’abord en créant les conditions permettant aux élèves les plus méritants d’exprimer toutes leurs potentialités et de réussir leur parcours scolaire. Pourquoi ne pas généraliser les internats d’excellence, dont j’ai pris l’initiative dans les Hauts-de-Seine, afin d’offrir à ces élèves un cadre de travail améliorant leurs chances de succès ? Pourquoi ne pas envisager d’accroître fortement la rémunération actuellement versée aux enseignants qui acceptent des postes dans les quartiers les plus difficiles afin d’y attirer et d’y retenir les plus motivés et les plus expérimentés ? Pourquoi ne pas réserver dans les classes préparatoires aux grandes écoles quelques places aux meilleurs élèves des ZEP ?

Par ailleurs, nombreux sont les ménages qui n’ont aujourd’hui d’autre choix que de résider dans des zones urbaines sensibles (ZUS). Nous devons créer pour eux les conditions d’une véritable mobilité résidentielle. Pourquoi ne pas réserver aux personnes issues de ces quartiers, pendant 5 ans et dans chaque bassin de vie, un pourcentage des places disponibles dans les HLM qui se situent hors des ZUS ? C’est tout à fait possible car 75% des logements sociaux ne se trouvent pas dans les ZUS. Il suffit de le vouloir. On pourrait aussi imaginer de majorer certaines aides au logement afin d’offrir à leur bénéficiaires une véritable liberté de choix de leur habitation. Tout cela suppose plus largement d’accroître et de diversifier l’offre de logements, dans les banlieues sensibles comme dans les quartiers résidentiels et de centre-ville.

Enfin, le mode de recrutement classique de l’administration française est le concours. Il doit le rester. Mais aujourd’hui certains partent de si loin qu’ils n’ont aucune chance de réussir les concours. En amont, nous pourrions développer des bourses de service public destinées à financer les études des élèves les plus méritants des ZEP dès lors qu’ils s’engagent à passer un concours de la fonction publique. Il est aussi possible de concevoir des cycles préparatoires rémunérés pour inciter les étudiants issus de milieux modestes à poursuivre leurs études.

A la place où je me trouve, j’ai décidé de passer sans attendre de la théorie à la pratique. J’ai donc engagé avec les services du ministère de l’intérieur un plan d’actions pour diversifier notre recrutement. Dès l’année prochaine, des préparations intégrées -avec internat- aux concours des différents corps de la police, de la gendarmerie et de la sécurité civile seront mises en place.

On peut imaginer des dispositifs plus ambitieux. Le principe d’égal accès aux emplois publics ne s’oppose absolument pas à ce que les règles de recrutement de la fonction publique soient différenciées pour tenir compte de la variété tant des mérites à considérer que des besoins du service public. L’administration pourrait tout à fait recruter ses agents davantage en fonction de la capacité et des aptitudes professionnelles des candidats que de leurs diplômes universitaires et de leur réussite à des épreuves théoriques qui tendent à favoriser ceux venant d’un milieu aisé. Pourquoi ne pas instaurer un 4ème concours réservé aux personnes originaires des zones urbaines et des régions industrielles les plus sensibles? Il s’agirait d’une disposition temporaire, édictée dans le cadre des possibilités d’expérimentations ouvertes par l’article 37-1 de la Constitution.

Si tous nous nous mobilisons, si toutes les administrations, grandes entreprises, établissements d’enseignement supérieur s’engagent, si tous les responsables politiques font le choix de l’action, alors, j’ai la conviction que nous pouvons changer la donne et progresser à nouveau sur la voie de l’égalité réelle, celle qui est inscrite aux frontons de nos édifices publics.

Nicolas SARKOZY