Interview de Nicolas Sarkozy, Président de l’UMP
Dernières Nouvelles d’Alsace le 17 mars 2005 Propos recueillis par Olivier Picard
Vous savez que tout Paris se demande si, avec vos réseaux, vous n’avez pas tiré les ficelles du scandale Gaymard ou des dossiers fiscaux évaporés dans le but de déstabiliser les Chiraquiens. Vous allez me dire que vous n’y êtes pour rien…
Si c’est cela le tout Paris ! Vous avez de drôles de relations… Ceci est tellement outrancier qu’il est inutile d’y répondre.
Le Premier ministre a mis en place de nouvelles règles, mais dans le climat détestable qui enveloppe la sphère politique, peut-on se contenter de ce solde de tout compte?
Non. Je suis conscient qu’il y a des interrogations profondes et je saisqu’il ne faudra pas différer les réponses trop longtemps. Je vais présenter prochainement un ensemble de propositions – certaines seront fortes – qui viseront à poser les bases d’une meilleure gouvernance dans le fonctionnement de notre démocratie.
On voit mal comment les cadres de l’UMP, qui vous ont attendu comme le Messie, pourraient contester vos choix… Mais vous, vous voulez être libre avec des convictions, dedes fulgurances très personnelles et des originalités qui, parfois, surprennent vos amis. C’est compatible avec la fonction de chef de parti?
C’est un point complexe, c’est vrai. Je dois rester libre y compris d’être différent et j’ai d’ailleurs de moins en moins envie de me livrer à des calculs ou à des compromis. Mais je dois en même temps veiller à rassembler, à unir, à apaiser. On rassemble cependant qu’autour d’idées fortes.
Sur le oui au référendum, votre motion a recueilli plus de 90 % des voix au conseil national de l’UMP, mais le score ne reflète pas forcément certains états d’âme au sein du mouvement. Les partisans du non doivent rentrer dans le rang?
La position de l’UMP, c’est le oui sans ambiguité et sans réserve parce que l’Europe nous a tellement apporté qu’on ne peut pas se permettre de prendre le risque de tout briser. Mais je ne vais pas pour autant me mettre à excommunier les minoritaires qui sont pour le non: ils pourront exprimer leur choix, mais à titre personnel, et après on se retrouvera.Je vous l’ai dit, j’essaye de rassembler au-delà des différences. Vous pouvez comparer ma conception d’un parti unitaire avec celle de François Hollande…
Le non progresse dans les sondages. S’il l’emporte, c’est une catastrophe?
Si les Français disaient non, ils s’exposeraient à une alternative détestable : au mieux, l’immobilisme de l’Europe; au pire, l’isolement de la France. Je fais remarquer au passage que voter non, c’est rester avec l’Europe que l’on critique… C’est s’interdire de régler des problèmes en utilisant les moyens de décision nouveaux qui nous sont proposés. Et si les 24 autres pays de l’Union disent oui alors que nous disons non, la France restera derrière, isolée. Elle ne pèsera plus. Est-ce cela que nous voulons? Je ne peux m’y résoudre.
L’Europe ennuie toujours autant les Français ou, en tout cas, ne les touche pas… Sarko-l’agitateur-d’idées a-t-il un plan B pour la rendre un peu plus sexy et mettre un peu de piment dans le débat?
Quatre mots pour faire comprendre et peut-être motiver ?: énergie, environnement, immigration, paix. Dans quarante ou cinquante ans, il n’y aura plus de pétrole, dans un siècle plus de gaz: il faut trouver des énergies de substitution. Qui peut penser que la France peut y parvenir seule? Depuis qu’on sait que le nuage de Tchernobyl ne s’est pas arrêté en voyant le Rhin, on a compris que les enjeux écologiques dépassent les frontières de l’hexagone. Pour l’immigration nous avons les mêmes problèmes que les Allemands ou les Italiens. Sur toutes ces questions, les coopérations renforcées sont vitales. Or la constitution nous permettra d’adopter des dispositions à la majorité et non plus à l’unanimité. C’est un progrès, une évolution cohérente. Quand à la paix, posons nous une seule question: quelle autre partie du monde a été aussi stable que l’Union européenne depuis presque 60 ans? Réfléchissons avant de tourner le dos à cet acquis.
Vous êtes opposé à l’entrée de la Turquie dans l’Union, même à moyen terme. Peut on vraiment, comme vous l’avez fait, minimiser cette divergence de vue avec le Président de la République?
Je ne conteste pas qu’il y ait des arguments géostratégiques en faveur de l’intégration de la Turquie, mais je reste convaincu que l’Europe a des frontières géographiques et que la Turquie n’en fait pas partie! Si on lui dit oui, pourquoi ne pas dire oui aussi au Maroc, au Liban…? Je suis convaincu aussi que l’Europe doit être une vraie force politique, et qu’elle ne peut l’être qu’en ne se diluant pas. Je suis persuadé, surtout, que les Européens nous demandent une pause dans l’élargissement. Nous venons d’intégrer – et c’est très bien – 80 millions d’Européens supplémentaires. Nous avons atteint les limites d’un ensemble qui demeure gérable: 1h40 pour faire un simple tour de table à Bruxelles… Au delà, cela risque de devenir ingouvernable. Si l’Union continue de s’élargir indéfiniment, elle deviendra une sous-région de l’ONU, un simple grand marché comme le rêvent les Anglo-saxons. Pour la Turquie, je préfère donc m’en tenir à ce que prévoit la Constitution européenne: un simple partenariat privilégié.
Revenons en France. Puisque vous ne faites pas mystère de vos ambitions présidentielles, en quoi la vision de la France de Nicolas Sarkozy pour les années à venir est-elle différente de la France de Jacques Chirac en 2005 ?
Je ne veux pas m’engager sur ce terrain là car le problème n’est pas celui d’un positionnement vis-à-vis du Président. La véritable question c’est celle de réduire le fossé qui existe entre les responsables politiques et les citoyens. Je veux porter de nouveaux débats car on ne peut pas résoudre les problèmes de la France dans vingt ans avec les recettes de la France d’il y a 50 ans. Il faut innover. Le plus grand risque, c’est de rester figés sur nos certitudes.
Sur la loi de 1905 sur la séparation des églises et de l’État par exemple, vous maintenez qu’il faut évoluer?
Oui, il faut plus de souplesse. La loi de 1905 n’est pas un monolithe sacré. On peut la faire évoluer sans en modifier les grands équilibres. Et les Alsaciens sont bien placés pour comprendre mon point de vue: est-ce que l’Alsace est moins républicaine parce qu’elle est encore placée sous le régime du Concordat?
Mais dans des biens des domaines, la France apparaît aujourd’hui pétrifiée. Allergique aux réformes. Bloquée…
Non, je ne le crois pas. Et je trouve les élites politiques plus frileuses que les Français eux-mêmes car il n’y a pas de fatalité. On peut réformer si les réformes sont justes: la vraie difficulté, elle est là! C’est pour ça que je crois beaucoup au mérite. Mais ne croyez pas pour autant que je veuille seulement parler à la France qui gagne! Bon nombre de Français ont besoin d’un véritable soutien. Je dirais qu’ils le méritent… L’avenir de notre société, c’est l’individualisation des solutions.
Passons à la cuisine… Je suis Jacques Chirac et je vous demande: «Nicolas, veux tu être mon Premier ministre?» Vous me répondez quoi? «Jacques, c’est trop tard…»
Je crois qu’on ne me posera pas cette question, et je n’ai d’ailleurs pas envie qu’on me la pose. Je suis très bien comme ça…Merci.
Et si le président est candidat, concrètement vous faites quoi?
Michel Rocard, en son temps, avait répondu très tôt à ce genre de question et ça ne lui avait pas franchement réussi… Laissez donc les choses se décanter. On verra bien où nous en serons dans dix huit mois. De toutes les façons, au bout du compte, ce sont les Français qui décideront. Faites leur confiance..