Entretien au journal de 20 heures


Intervention de M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’Économie, des finances et de l’industrie

Entretien au journal de 20 heures- TF1 – Paris – 8 avril 2004

Patrick POIVRE D’ARVOR

Avec nous Nicolas Sarkozy pour répondre à toutes les questions que pose notamment cette enquête. On l’a vu, le déficit est considérable. Sans revenir sur le passé, comment le réduire ?

Nicolas SARKOZY

Le déficit est considérable, pour dire les choses simplement depuis 1981, il n’y a pas eu un budget qui ait été voté en équilibre. 80 % des recettes de l’impôt sur le revenu servent à financer les intérêts de la dette. Ça représente trois fois le budget du ministère de l’Intérieur, un ministère que je connais un peu. Alors on ne peut plus continuer comme cela.

Patrick POIVRE D’ARVOR

Est-ce qu’on peut faire des économies encore, malgré tout ce qui nous impose l’environnement international et Bruxelles, par exemple ?

Nicolas SARKOZY

Je crois que nous n’avons pas le choix. Il faut désormais que nous gérions les affaires de l’État comme les géreraient un père de famille. De façon raisonnable. Pas d’idéologie. Simplement on ne peut pas continuer à vivre au-dessus de nos moyens. Nous dépensons 7 points de la richesse nationale de plus pour nos dépenses publiques que tous les autres pays européens. Alors il y a deux choses à faire, et que nous allons faire. La première c’est de trouver des économies. Et cela, ce travail, je le ferai, que personne n’en doute. Je le ferai en faisant les grandes lignes, deux tas dans les dépenses. Il y a les dépenses qui préparent l’avenir et qui soutiennent l’activité. Elles doivent être préservées et parfois même augmentées. Et puis il y a toutes les autres. Celles-là seront soit maintenues, soit diminuées. Il n’y aura pas de sujet tabou. On peut prendre des exemples. l’État est par exemple propriétaire de 12 millions de mètres carrés de bureaux. Est-ce que c’est raisonnable ? Est-ce qu’on ne peut pas en mettre quelques-uns sur le marché ? La collecte de l’impôt, c’est vrai, c’est dans notre pays qu’elle est le plus cher. Je vais prendre un exemple et un engagement. On va supprimer, d’ici 2007, 5 000 postes. Et à ce moment-là on sera tout juste dans la moyenne des autres. Il y a des dizaines et des dizaines d’exemples de cette nature. Le ministre des Finances c’est le ministre qui est en charge de préserver, de protéger le fruit du travail des Français et notamment de ceux qui ont très peu d’argent. On n’a pas le droit de ne pas le gérer comme le gérerait un bon père de famille. Et puis il y a une deuxième façon de réduire le déficit, c’est de céder des actifs. Notre dette nous coûte entre 4 et 5 points de taux d’intérêt, il faut céder des actifs…

Patrick POIVRE D’ARVOR

Ça veut dire des privatisations, par exemple ?

Nicolas SARKOZY

C’est-à-dire des privatisations, pour rembourser la dette. C’est ce que j’ai annoncé avec la Snecma, dont 30 à 40 % du capital sera vendu, et avec cet argent nous ferons deux choses, on remboursera une partie de la dette et on donnera à des entreprises publiques que nous n’allons pas privatiser, par exemple EDF, les moyens de se développer.

Patrick POIVRE D’ARVOR

Qui va suivre, après la Snecma ?

Nicolas SARKOZY

Nous sommes en train de travailler, ce sont des sujets sensibles et il ne faut les annoncer qu’une fois que la décision est prise, pour des raisons qui tiennent au marché de la bourse et un certain nombre de considérants.

Patrick POIVRE D’ARVOR

Alors pour ce qui est de EDF-GDF, vous prenez cet engagement ferme, pour l’instant les syndicats restent sceptiques, ils se disent : il l’annonce là mais enfin il va nous le faire différemment.

Nicolas SARKOZY

J’ai entendu les inquiétudes, et en démocratie il est parfaitement normal que des agents d’EDF et de Gaz de France, qui sont très attachés à leur entreprise, et qui sont à juste titre d’ailleurs fiers de leur entreprise, ils sont inquiets. Alors je vais prendre au gouvernement, comme l’a fait le Premier ministre, trois engagements très clairs. Il n’y aura pas de privatisation d’EDF ou de Gaz de France. C’est clair, c’est simple et c’est précis. Nous ne vendrons pas des actifs d’EDF. Premier élément. Deuxième élément, le statut des agents de EDF et de Gaz de France, ce statut sera scrupuleusement conservé, il n’y aura aucun changement. Et troisièmement engagement, sur les missions de service public, et pour être très clair, l’électricité coûtera le même prix, que l’on soit à 400 kilomètres d’une centrale nucléaire ou à 100 mètres. Et enfin, toujours mission de service public, quand on est dans une situation sociale dramatique, on n’aura pas de coupure d’électricité. Ce sont des engagements que prend le gouvernement. Mais pour le reste qu’est-ce qui se passe ? Les Français doivent se dire : mais pourquoi, alors que vous avez tellement de problèmes, vous le mettez sur celui-ci ? Il faut comprendre. Le gouvernement de monsieur Jospin, en accord avec d’autres gouvernements européens, ont pris une décision, qui est d’ouvrir le marché de l’énergie à la concurrence. Cette décision a été prise. Elle n’a pas été prise par notre gouvernement. Elle a été prise en 2000 et en 2002. Ça veut dire quoi ? Est-ce qu’on peut garder la même structure juridique pour une entreprise comme EDF, qui était en situation de monopole, et une entreprise qui à partir du mois de juillet 2004 sera soumise à la concurrence. On va donc faire évoluer l’organisation juridique d’EDF pour que cette grande entreprise puisse se développer.

Patrick POIVRE D’ARVOR

C’est ce que vous allez dire mardi aux syndicats ?

Nicolas SARKOZY

Je rencontrerai les syndicats, il n’y a pas de sujet tabou là encore. La seule chose qu’on ne peut pas dire, c’est de dire : il ne faut rien faire. Parce que le monde change, parce que des décisions ont été prises. Je comprends qu’on soit attaché et fier de son entreprise, mais c’est justement parce qu’on est fier de son entreprise qu’on doit accompagner le changement avec les garanties que j’ai données.

Patrick POIVRE D’ARVOR

Puisque vous parlez de vente d’actifs, pourquoi ne pas vendre des stocks d’or de la Banque de France, par exemple ?

Nicolas SARKOZY

La Banque de France, de mémoire, n’a plus vendu de stocks d’or depuis 1969. D’autres banques centrales l’ont fait. C’est une idée sur laquelle on peut travailler et qui peut avoir du sens, à deux conditions. La première c’est que nous le fassions en plein accord avec le gouverneur de la Banque de France, il y aura donc des discussions entre nous, il faut prendre le temps. Et la seconde, c’est s’il devait y avoir des ventes d’or, ça ne peut être que pour financer soit des investissements qui préparent l’avenir, soit pour réduire la dette. Et en aucun cas pour financer les dépenses de fonctionnement.

Patrick POIVRE D’ARVOR

Alors vous n’êtes pas le premier ministre des Finances à annoncer des économies sur le budget de l’État, qui continue toujours à s’engraisser, assez souvent, et puis très souvent on se dit : on ne peut pas toucher évidemment aux infirmières, aux enseignants, aux policiers, vous en savez quelque chose. Maintenant sur ce qui est de la croissance, on ne la décrète pas par le verbe, on ne peut pas la décréter simplement par l’incantation. Comment vous allez vous y prendre, tout en restant dans les clous que vous fixe Bruxelles ?

Nicolas SARKOZY

D’abord il faut expliquer aux Français ce qu’on va faire. Et c’est ce que je vais essayer de faire. Tous les trimestres je ferai une conférence de presse pour rendre des comptes. Les Français doivent savoir comment leur économie, comment leurs affaires, comment leur argent est géré. Et la première de ces conférences de presse aura lieu début mai. Il faut rendre des comptes et il faut expliquer.

Patrick POIVRE D’ARVOR

Puisque vous êtes pour la transparence, pourquoi vous n’acceptez pas l’audit que vous demande François Hollande par exemple ?

Nicolas SARKOZY

Je veux bien tous les audits que l’on veut mais ça ne sert à rien, pour une raison qui est très simple, c’est que l’audit est fait par un organisme qui est plus transparent que tous les autres puisque c’est la Commission de Bruxelles. Alors à quoi ça sert de perdre notre temps à déclarer un audit franco-français alors que la Commission de Bruxelles vérifie les comptes de tous les États ? C’est vraiment une polémique politique, j’ai bien d’autres choses à faire.

Patrick POIVRE D’ARVOR

Alors justement comment arriver à moins de 3 % ?

Nicolas SARKOZY

Finalement quel est le problème principal de la croissance ? C’est que nous avons un État qui est trop endetté, 1 000 milliards d’euros de dette. Et des Français qui ont une part d’épargne trop importante. C’est-à-dire qu’ils n’ont pas assez confiance en l’avenir. Ce qu’il faut comprendre c’est que quand on achète son appartement, quand on change de voiture, quand on renouvelle son électroménager, on donne un emploi pour ces enfants, on fait un pari sur l’avenir, on croit à l’avenir. Et finalement une économie bien gérée c’est une économie où l’État est moins endetté et où les ménages espèrent dans l’avenir et acceptent, par un geste de confiance, d’investir dans leur économie.

Patrick POIVRE D’ARVOR

Pour l’instant ils n’ont pas confiance.

Nicolas SARKOZY

Non, il ne faut pas dire cela. La croissance mondiale repart partout. C’est extraordinaire, elle repart aux États-Unis, elle repart en Asie, elle repart même au Japon. Et elle repart en Europe. Y compris en France, où la croissance est entre 1,7 et 1,8. C’est pas assez, il faut faire tout notre possible pour que ça soit plus. Mais nous avons tous les atouts pour réussir. Je réunira d’ailleurs cinq ou six experts incontestables de toutes les sensibilités pour réfléchir pendant deux mois aux verrous qui expliquent qu’il y ait moins de croissance en Europe et en France qu’ailleurs, pour faire sauter ces verrous. Il faut parler des délocalisations par exemple…

Patrick POIVRE D’ARVOR

Justement, une des peurs des Français c’est la mondialisation et donc les délocalisations.

Nicolas SARKOZY

Ils ont raison les Français. Les délocalisations, Lionel Jospin avait dit : on ne peut rien faire. Il avait raison, on ne peut pas les interdire. Mais peut-être qu’on peut réfléchir à un système qui soulagerait et qui encouragerait des entreprises qui refusent de délocaliser. Regardez les serveurs d’appel, vous savez, pour les sondages. Je regardais les chiffres, il y a entre 5 et 10 000 emplois par an qui sont délocalisés à l’étranger. Eh bien si on faisait une petite chose très simple, quand vous êtes un de ces serveurs, dites d’où vous appelez. Si vous appelez de Rabat, de Pondichéry, de Madagascar ou d’ailleurs. Il n’y a aucune raison qu’on perde ces emplois. Moi je ne veux pas interdire, je ne veux pas sur-réglementer la société française. Je veux au contraire qu’elle retrouve le goût du succès. Je veux qu’on récompense le travail, je veux qu’on laisse la liberté aux gens. Il faudra poser un certain nombre de questions. Regardez, je ne désigne personne, mais regardez l’affaire des prix dans les hypermarchés. Il y a une campagne qui a été lancée, ça me passionne, je voudrais qu’on résolve ce problème. D’un côté vous avez des producteurs qui disent, et souvent à raison : on nous achète pas assez cher nos prix, on meurt. De l’autre côté vous avez des consommateurs qui disent : ça coûte de plus en plus cher.

Patrick POIVRE D’ARVOR

Ils sont persuadés que l’inflation est peut-être plus haute que ne le dit l’Insee.

Nicolas SARKOZY

Eh bien moi je veux que très vite on aille au bout des choses et qu’on ouvre les dossiers. Il faut libérer la société française, pour que les gens retrouvent le goût du travail, l’envie de travailler. Et surtout qu’ils se disent : ça sert à quelque chose qu’on travaille.

Patrick POIVRE D’ARVOR

Nicolas Sarkozy, l’un de vos mots d’ordre quand vous étiez au ministère de l’Intérieur, c’était la culture du résultat. Est-ce que vous allez l’installer à Bercy et à quel moment, quel est le critère sur lequel vous estimerez que vous avez gagné ou échoué ?

Nicolas SARKOZY

Ecoutez, je dois rendre des comptes. Les comptes je les rendrai sur la priorité, la croissance, pour que chacun ait un emploi. Pourquoi en Angleterre ils sont à 5 % de chômage et nous on est à 9,7. Pourquoi on crée des emplois partout dans le monde et nous qui avons la main-d’œuvre la plus qualifiée, un pays extraordinaire comme le nôtre, on n’y arriverait pas. On va réussir. On va y arriver. J’ai été nommé pour remplir une tâche qui n’est pas tout à fait simple, et je veux dire que je le ferai en disant la vérité aux Français et en essayant de ne pas contourner les problèmes. Vous savez, il y a un point qui m’a frappé à l’Intérieur, il y aussi une demande de sens de la part des Français. Ils veulent que la barre soit tenue. Les manifestations, les protestations, c’est la démocratie. Mon devoir c’est d’en tenir compte. Mais à un moment donné il faudra prendre la décision. Et qu’on ne doute pas que je la prendrai.

Patrick POIVRE D’ARVOR

C’est vous qui avez demandé Bercy ou on vous l’a imposé, demandé ?

Nicolas SARKOZY

Ni l’un ni l’autre. Le président de la République m’a proposé cette responsabilité en me disant : « le premier problème des Français c’est leur inquiétude face à la croissance et face au chômage, je te propose de prendre cette responsabilité, tu ne peux pas la refuser. » Je pense qu’il avait raison.

Patrick POIVRE D’ARVOR

Merci Nicolas Sarkozy.