Jusqu’où Sarkozy peut-il aller ?


Nicolas Sarkozy promet des réformes, la France suit. Il passe à l’acte, les Français se méfient. Notre sondage mesure leurs réticences… et l’incidence sur la popularité du président. Un dossier signé Challenges…

Jusqu’où les français sont prêts à s’engager

Et maintenant, le plus dur commence ! Depuis le 7 septembre, patronat et syndicats sont entrés dans le vif du sujet avec la négociation sur la refonte du marché du travail. Pendant ce temps, à l’Elysée, les conseillers de la présidence mettent la dernière main à la réforme des régimes spéciaux de retraite, dont le calendrier sera accéléré pour qu’elle soit prête avant la fin de l’année. Explosif. Après trois mois d’une popularité record, quelques mesures fortes et des cadeaux fiscaux, Nicolas Sarkozy va enfin savoir si, oui ou non, les Français sont prêts à le suivre sur le chemin d’une profonde transformation du pays. Le 30 août, devant le public acquis à sa cause de l’université d’été du Medef, il a ressenti le besoin de fixer à nouveau le cap. «Je n’ai pas changé en devenant président, je ne suis pas devenu un adepte de la pensée unique. Je conduirai la rupture dans le dialogue, dans la négociation, mais je la conduirai jusqu’au bout.» Il était temps. Temps de rassurer un patronat troublé par les premiers reculs sur quelques réformes fondatrices de sa candidature, à commencer par les suppressions d’emplois de fonctionnaires, en retrait sur les promesses de campagne. Temps de couper court aux premiers commentaires fielleux de l’aile la plus dure de sa majorité – toujours mal remise de l’ouverture politique pratiquée par le président – évoquant l’enlisement chiraquien qui guettait le nouveau régime. Pourquoi n’est-il pas allé plus vite ? Pourquoi n’a-t-il pas profité de l’état de grâce et de la torpeur de l’été pour imposer au galop la sélection à l’université en plus de l’autonomie, le contrat unique, la fusion ANPE-Anedic, ou encore la suppression pure et simple de l’ISF en lieu et place de l’usine à gaz fiscale de l’été ? Voilà les questions qui, ces derniers jours, revenaient le plus souvent au sein d’une élite inquiète de voir le volontarisme sarkozyen émoussé sous les ors de l’Elysée. «Réformer au galop était une option, tout pouvait passer», répond un proche conseiller du président. «Mais on a pris une autre voie : celle du dialogue social. Dans notre pays, la réforme a besoin de pédagogie. Le Medef n’est pas la France.»

Notre sondage, réalisé par Opinionway en exclusivité pour Challenges, le prouve. Lorsqu’ils sont interrogés sur leur attitude face aux réformes gouvernementales, les Français renvoient d’eux une image schizophrénique. S’ils estiment à 63% que les «choses changent», que les réformes sont en marche, et si 86% d’entre eux ont le sentiment que les promesses de campagne sont tenues, ils se montrent beaucoup plus réticents sur les sacrifices qu’ils sont prêts à consentir en échange de vrais changements. Payer plus cher l’inscription à l’université en échange d’un meilleur enseignement ? Non. Troquer son actuel contrat de travail contre le contrat unique ? Non. Accepter la fermeture du bureau de poste de son quartier ? Payer plus pour sa santé ? Partir à la retraite au-delà de 60 ans ? Non, non et non.

Conservatisme national

Incorrigibles Français, qui votent d’une main pour le président le plus réformateur de la Ve République et qui lui enjoignent de l’autre de ne pas aller trop loin. «Votre sondage rappelle utilement que la sociologie profonde d’un pays n’est pas transformée par une seule élection présidentielle, analyse Robert Rochefort, directeur général du Crédoc. Le plus difficile, pour Nicolas Sarkozy, sera défaire sauter des verrous qui sont précisément constitutifs de la société française, qui l’ont solidifiée.» Bruno Jeanbart, directeur des études politiques d’Opinionway, résume à sa manière ce conservatisme national : «Quand vous dressez une typologie des Français face à la réforme, vous trouvez une répartition immuable : un sur cinq y est réfractaire, le plus souvent à gauche, un sur six y est résolument acquis.» Reste la grande masse, indécise, qui oscille entre la fascination pour un président omniprésent et une sourde inquiétude face aux conséquences mêmes de cette agitation sur leur vie quotidienne future. «Cela n’est pas contradictoire, estime Robert Rochefort. Nicolas Sarkozy a été élu sur le thème «il y a trop de fonctionnaires», pas sur «il faut fermer la classe maternelle de mon école».» Ce qui, dans la pratique, revient pourtant au même. Abrité derrière son image d’hyper-actif, Nicolas Sarkozy marche en réalité sur des oeufs. En dépit d’un volontarisme intact, il n’a pas perdu de vue ce que des années de plongées électorales dans la France profonde lui ont appris : les Français sont terriblement attachés aux situations acquises. Comment les rassurer sans se renier ? Comment les bousculer sans les braquer ? En reprenant à son compte cette forte pensée de Napoléon, auquel il est d’usage de le comparer : «L’art d’être tantôt très audacieux et tantôt très prudent est l’art de réussir.»

Rupture avec la tradition

A l’Elysée, on n’a pas l’intention de ralentir le rythme. Au contraire. Au total, une trentaine de réformes sont en préparation. «Il pourra y avoir des replis tactiques, mais, globalement, l’armée passera», assure un conseiller de Nicolas Sarkozy. Une rupture par rapport à la tradition, qui voulait qu’un gouvernement s’incarne dans une ou deux réformes avant de caler. «Il y aura peut-être quelques abandons, mais quand, dans cinq ans, on se retournera, on verra l’ampleur du chemin parcouru», dit un proche du président. Aller vite donc, mais sans aller trop loin. Ses nombreuses consultations avec les syndicats ont permis à Nicolas Sarkozy de se faire une idée du climat. «Il y a chez eux une forme d’impuissance qui est liée à leur sentiment que l’acceptabilité sociale des réformes n’a jamais été aussi forte dans ce pays», constate Henri Vacquin, sociologue des organisations à IDée Consultants. Pas question pour autant de croire que toute menace d’embrasement a disparu. «Nous avons en tête trois lettres qui sont l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire, explique un ministre proche du président. Ces lettres, ce sont CPE.» D’où, par exemple, le glissement sémantique du gouvernement sur le contrat unique, dont ne voulaient ni le Medef ni les syndicats. Le mot ne sera plus employé, et la réforme portera sur la réduction du nombre de contrats existants et sur les conditions de licenciement. Mais c’est avec les régimes spéciaux de retraite que Nicolas Sarkozy va passer son premier vrai test. S’il réussit là où tant d’autres ont échoué, il aura devant lui un boulevard pour les réformes.

Diriez-vous que, par rapport à ses engagements de campagne, le président de la République tient ses promesses ?

21 % Oui, tout à fait
65 % Oui, plutôt
11 % Non, plutôt pas
3 % Non, pas du tout