La colère de Ségolène Royal, une forme d’intolérance


Interview de Nicolas Sarkozy / RTL – Jeudi 3 mai 2007

Quelle impression avez-vous retiré du débat qui vous a opposé, hier soir, à Ségolène Royal ?

C’est un peu peu bref parce que la nuit a été très courte. Je suis rentré très tard et puis, je me suis levé assez tôt ce matin. Je pense que c’était un débat digne. J’espère qu’il a intéressé les Français. On verra avec les scores d’audience. Bon, j’étais un peu étonné, parfois, d’une certaine agressivité de Madame Royal, mais enfin…

Vous l’avez ressenti, comme ça, de l’agressivité ?

Oui, je l’ai ressenti comme ça. C’était peut-être d’ailleurs volontaire. C’était peut-être une stratégie de sa part. D’ailleurs, je ne la conteste pas ou je ne la critique pas.

On entend beaucoup le mot de « pugnacité », ce matin, ou on le lit d’ailleurs : « S. Royal s’est révélée pugnace ».

Vous savez, quand j’entends que S. July dit qu’elle n’est pas là par hasard, moi aussi, c’est tout à fait ce que je pense. Vous savez, pour arriver au rendez-vous d’hier soir, il a fallu en sauter des haies, ce n’était pas un 110 mètres haies, c’était beaucoup plus long que ça et forcément, ça étalonne la compétition.

Sa colère vous a surpris ? On va beaucoup en parler de sa colère…

J’ai trouvé que c’était quand même une forme d’intolérance. Au fond, c’est assez révélateur de la réaction d’une certaine gauche qui, à mon avis, est assez démodée d’ailleurs, qui considère comme illégitime toute personne qui n’a pas ses idées. On parle de l’identité nationale ? On est accusé de racisme immédiatement. On pose la question de la maîtrise de l’immigration, là aussi, toutes les bonnes consciences se lèvent immédiatement. Il y a une partie de la Gauche, une petite partie de la gauche, qui est sectaire, profondément sectaire, qui considère que toute personne qui n’est pas de gauche, c’est quelqu’un, au fond, qui est illégitime. C’est assez étonnant. Il n’y a pas la même vision du débat pour cette partie de la gauche et pour l’ensemble de la société française. Il y a eu 85 % de votants au premier tour, c’est donc que les débats du premier tour ont intéressé. Et si vous regardez ce qu’ont dit les élites, la pensée unique, la pensée bien pensante de gauche, la bonne conscience, tous les débats que j’ai lancés ont été considérés comme illégitimes. D’ailleurs, pour moi, quand je pose une question, quand j’avance un débat, ce n’est pas un débat, c’est une polémique. C’est assez intéressant. Quand je fixe une date et un rendez-vous, ça devient une « date couperet ». J’ai trouvé que c’était en total décalage avec ce que pensent les gens, avec ce qu’ils réagissent. Et le premier tour de la présidentielle, pour moi, ne m’a pas étonné. Les Français ont soif de débats, en ont assez de la pensée unique ; et puis cette volonté de stigmatiser, de mettre d’un côté les bons, de l’autre les mauvais. C’est assez insupportable pour celui qui souffre.

Vous avez employé l’adjectif de « sectaire », vous l’appliqueriez à S. Royal ?

Non, mais moi je ne veux pas blesser. Je ne veux surtout pas faire aux autres ce qu’on me fait en permanence. Mais enfin, c’est extraordinaire ! Par exemple, la polémique sur les médias : j’ai été accusé de vouloir contrôler les médias.

F. Bayrou, ici même, vendredi, l’a dit effectivement. « J’ai la certitude », disait-il…

Ah oui, très bien. Sans preuve.

Mais la certitude.

Oui, mais pas de preuve, hein ?

Oui, il disait qu’il n’avait pas de preuve.

Quand on voit tout ce que j’ai pris, c’est assez hallucinant. Mais regardez, quand le Nouvel Obs, qui est la propriété de monsieur Perdriel, qui est parmi les grandes fortunes de France, soutient S. Royal, personne ne dit qu’elle est liée aux puissances de l’argent. Quand Libération fait une campagne éhontée pour S. Royal – c’est son droit – propriété d’E. de Rotschild, une des grandes fortunes de France, on ne dit pas qu’elle maîtrise le pouvoir économique. Quand Marianne fait une campagne éhontée pour elle contre moi, en utilisant tous les arguments « que je suis fou, déséquilibré, etc. », à ce moment-là, c’est un élément de démocratie. Voilà. Le Figaro traite Mme Royal de façon parfaitement respectueuse, en tout cas mieux que Libération ne me traite. Mais la polémique, c’est moi. Alors, je suis le plus attaqué de tous mais je dois contrôler les médias. Il n’y a pas de preuve. Il n’y a aucun élément de certitude…

Cela vous blesse, tout ça ?

Blessé, non, parce que pour être candidat à la présidence de la République, il faut prendre du recul et faire la différence entre le débat et tout ce qu’il peut y avoir d’excessif dans une campagne, et la réalité, il faut que j’accepte cela. Mais c’est très intéressant de voir comment un candidat de la droite et du centre est traité par rapport à la pensée unique de gauche. C’est très intéressant, parce qu’il n’y a pas ce sectarisme de notre côté. Moi je crois aux valeurs du respect, de la tolérance, de l’apaisement, du rassemblement et je ne me permettrai jamais de montrer quelqu’un du doigt ou de dire que ses idées sont illégitimes. Moi, j’ai pas les idées de Mme Royal, par exemple sur le financement de la retraite -d’ailleurs, on a eu du mal à les comprendre -, mais je ne porte pas atteinte à ce qu’elle est. Les attaques sur ma personne, jamais on n’en a d’aussi violentes sur celles d’autres candidats. Bon c’est comme ça.

Pour en revenir au débat d’hier soir, avez-vous l’impression que ce débat a modifié, peut modifier le rapport de force ?

Vous savez, moi je n’avais pas la lecture d’une grande partie de la presse. C’est mon droit et c’est leur droit de penser différemment. Je pense que les Français sont très lucides et que dans leur for intérieur, ils choisissent ceux qui seront au deuxième tour, et celui ou celle qui sera élu, en fonction d’une multitude d’événements qui remontent loin dans le passé. Et je ne pense pas que tout se joue sur un débat, aussi médiatique soit-il. C’est assez méprisant pour les Français de dire ça et de penser ça. (…) Alors, il peut se passer un grand incident, il peut y avoir une grande défaillance comme en montagne pour le Tour de France. Mais théoriquement, nous sommes des professionnels, nous sommes préparés. Mme Royal est quelqu’un qui a fait l’ENA, qui a été au cabinet de F. Mitterrand, qui a une longue expérience. Et j’ai une grande expérience de la vie politique. Je ne pense pas, je n’ai pas cette vision dramatique d’un moment de la campagne. Comme pour le Tour de France, tous les jours, il faut être prêt. Alors, bien sûr, il ne faut pas perdre en montagne mais les étapes de plaine, elles peuvent être terribles. Il y a des grandes échappées, un chien qui traverse le peloton, et hop, envolé le maillot jaune ! Donc, il faut être concentré, encore deux jours.

Avant le débat, les sondages vous donnaient gagnant, N. Sarkozy. Avez-vous gagné l’élection présidentielle ?

Non. Non, non, non, non, non… D’abord, je préfère faire la course en tête puisque ça fait quand même depuis le 14 janvier dernier que je fais la course en tête. Mais c’est pas les sondages, qui me feront gagner. Ce ne sont pas les journalistes. Ce ne sont pas les médias. Ce n’est pas la pensée unique. Souvenez-vous de ce qu’on disait avant le premier tour ! …

ce n’est pas la pensée unique…

Mais oui ! Souvenez-vous qu’on disait…

C’est clair que ce n’est pas la pensée unique qui vous fera gagner !

J’étais chez vous, là… et tout le monde disait : oh là, là, vous baissez, qu’est-ce qui va se passer au premier tour ? Mon dieu ! Et tout le monde disait : ah ben, ça sera Bayrou ou alors la surprise Le Pen. A l’arrivée, qu’est-ce qu’on a eu ? Le Pen qui a perdu la moitié de ses voix, Bayrou qui était troisième et loin derrière : 6 millions de voix… Mme Royal : 9 ; moi 11 et demi. Donc, ce sont les Français, les Français simplement. Je pars à Montpellier. Demain, je serai en Haute-Savoie. Jusqu’à la dernière minute, j’essaierai de mériter cette responsabilité immense que je sollicite auprès des Français.

Vous avez fait un meeting à Bercy, dimanche dernier, et vous avez déclaré ceci : « L’idéologie de Mai 68 sera morte le jour où dans la société on osera rappeler chacun à ses devoirs ». Dans votre esprit, ceci vaut-il pour les Français qui s’exilent fiscalement en Belgique ou en Suisse et qui au mépris de leur devoir attaché à la citoyenneté, n’acquittent plus leur impôt en France ?

Je ne comprends pas la présentation de votre question parce que, pardon !

Rappeler à chacun son devoir.

Attendez, choisir un autre pays, ce n’est pas autorisé ?

Si.

Est-ce que c’est un délit ? Est-ce que c’est un délit ?

Non.

Ah bon très bien !… parce que présenté comme ça c’est extrêmement spécieux.

Je n’ai pas parlé de délit. C’est vous qui avez introduit le mot. Ma question, c’est : Quand on a la citoyenneté française, est-ce qu’on doit payer ses impôts en France ou pas ? C’est ça la question.

Attendez, je vais vous dire. Nous, nous sommes dans un monde libre. Chacun choisit de vivre où il l’entend. Et ça, j’imagine que vous ne pensez pas le remettre en question. Cela voudrait dire, que toute personne qui vit à l’extérieur de la France, pour vous, c’est quelqu’un qui n’assume pas ses devoirs. C’est une conception curieuse.

Ses devoirs de citoyen…

C’est une conception curieuse… Avec ça, avec ça…

Payer l’impôt ne fait pas partie du devoir du citoyen ?

Bien sûr. Bien sûr. Mais qu’est-ce qu’il est dit ? Il est dit que l’argent qu’on gagne en France, on paie l’impôt en France. Mais quand même défendre l’idée, assez spécieuse, que partir développer ses marchés, s’installer à l’étranger, c’est en soi ne pas assumer ses devoirs… C’est une conception du monde qui est quand même particulière.

Bon.

Par ailleurs, vous savez ce que j’ai dit des parachutes en or, des patrons qui se trouvaient avec des rémunérations invraisemblables. Je n’ai pas accepté qu’on parte avec 8 millions d’euros d’indemnités dans une entreprise qui supprime 10.000 emplois parce qu’il n’y a pas assez d’argent. C’est tout à fait choquant et tout à fait inadmissible. Voilà.

Si vous êtes élu président de la République, organiserez-vous une transparence respectueuse du secret médical sur votre état de santé ?

Oui.

Vous ferez ce qui n’a pas été fait jusqu’à présent dans la République française ?

Oui. Pas simplement, pas simplement sur la santé. Je voudrais être un président de la République – si les Français me font confiance – qui rend des comptes, qui assume ses responsabilités. Je ne me cacherai pas derrière des faux nez, des faux arguments. J’ai pris des engagements, j’essaierai de les tenir. Et je dirai aux Français : voilà où on en est. Je ferai des conférences de presse, je donnerai des rendez-vous. Je veux être un président de la république qui s’engage sur les résultats. Et donc la transparence, c’est pas simplement sur ma santé, c’est sur l’ensemble des dossiers.

Mais aussi, donc, sur cette question qui a été une question mal résolue jusqu’à présent dans la démocratie française.

Oui, bien sûr. Oui, oui, tout à fait. Enfin, mal résolue ? On s’est trouvé dans une situation assez dramatique qui était d’après ce que j’ai compris, l’arrivée à l’Elysée de F. Mitterrand. Cet homme en avait rêvé toute la vie. Il y arrive et quelques semaines après, on lui annonce qu’il est condamné. On peut comprendre le drame humain que ça représente. Vous savez, moi ce n’est pas parce que F. Mitterrand était un adversaire que je ne respecte pas le drame humain. Imaginez ça ! le combat d’une vie ! Il a attendu. Il s’est présenté trois fois. Il y arrive enfin. On n’est qu’en 81. Le but de sa vie ! Et quelques semaines après, un médecin lui dit : cancer de la prostate avec métastase. C’est terminé. Et la vie, ça peut être lourd, y compris quand on est président de la République.

On peut comprendre et déplorer le mensonge ?

Non, non. Mais attendez, je pense que la politique c’est aussi une affaire humaine et qu’on ne peut pas tout voir simplement au regard de la loi, de la norme et de la règle. Et je me mets dans la situation de cet homme à ce moment-là qui va durer dans des conditions d’ailleurs tout à fait impressionnantes. Son combat contre la maladie est assez légitime. Mais je pense qu’aujourd’hui, ça ne serait plus possible. Aujourd’hui, il faudrait le dire. Et je vais vous dire autre chose : il faudrait le dire pour la République mais il faudrait le dire pour autre chose : pour les malades, pour les autres. Parce que je pense que le président de la République puisse souffrir de la maladie comme n’importe quel autre, ça peut aider ceux qui combattent anonymement. Et de ces deux points de vue, il aurait dû le dire. Mais j’ai voulu parler simplement d’humanité. Pour moi, la réponse est claire : c’est la transparence.

L’élection présidentielle se termine dans trois jours : au cas où vous seriez élu, vous avez déjà choisi votre Premier ministre ?

Oui.

F. Fillon ?

J’ai choisi de ne pas le dire. Mais vous imaginez, c’est toute la difficulté de la fonction : il faut habiter la fonction pour être prêt et en même temps, il faut être suffisamment humble pour dire : ce sont les Français qui décident. Donc, oui, j’ai une idée. J’ai une idée assez précise.