La politique de défense selon Nicolas SARKOZY


Interview de Nicolas SARKOZY paru dans le mensuel « Défense et Sécurité Internationale » mars 2007.

1 – Pouvez-vous nous exposer les grandes lignes de votre programme en matière de Défense ?

Je pense que la définition de notre politique de défense et des missions confiées à nos armées doit avant tout être dictée par les besoins de sécurité des Français et le respect de nos engagements internationaux.

La dissuasion tout d’abord. C’est l’assurance-vie de notre nation, dont d’autres que nous pourraient également bénéficier en Europe si besoin était. Face à l’accélération des phénomènes de prolifération balistique et nucléaire, elle représente le rempart ultime contre les atteintes à nos intérêts vitaux. Si les Français me font confiance, je ferai donc ce qui doit être fait pour préserver intactes l’indépendance et la crédibilité, tant politiques que techniques, de notre force de frappe.

La projection de nos forces conventionnelles en second lieu. Parce que notre sécurité se joue de plus en plus loin de nos frontières, nous devons par ailleurs être attentifs à la consolidation de nos capacités de projection et de frappe dans la profondeur. Un effort important a été engagé depuis dix ans dans ce domaine sous l’impulsion de Jacques Chirac. Il devra être conforté dans les années à venir. Parmi les dossiers importants sur la table du prochain Président de la république, il y a la question du second porte-avions. Ce bâtiment est essentiel à la permanence de notre groupe aéronaval compte tenu des périodes d’indisponibilité pour entretien de notre seul porte-avions, le Charles-de-Gaulle.

La protection de notre territoire et la défense civile en troisième lieu. Afin de prévenir et le cas échéant, de surmonter, la réalisation sur notre territoire de la menace terroriste ou la survenance d’une catastrophe naturelle ou technologique, nous devons accorder une attention accrue à la défense civile et à la cohésion de la nation autour des enjeux de sa politique de défense. Je propose donc la création d’une agence de la défense civile pour animer l’esprit de défense et coordonner la mobilisation des différentes composants de notre société. A cet égard, le service civique obligatoire, dans son volet militaire et de sécurité, pourrait utilement contribuer au renforcement de nos capacités de réaction, via notamment une réserve opérationnelle plus consistante, à même de soulager nos armées déjà fortement sollicitées sur les théâtres extérieurs.

Je crois en outre important que notre politique de défense fasse l’objet de vrais débats impliquant la nation tout entière et ses représentants. Dans une démocratie moderne, a fortiori sur des sujets aussi essentiels, il ne peut y avoir de domaine réservé. Je veillerai à ce que soient élargis les pouvoirs du Parlement dans la définition des orientations de notre politique de défense, dans les modalités de leur mise en oeuvre et dans l’évaluation des objectifs atteints. Cela ne pourra que consolider la légitimité, l’efficacité et la qualité de notre effort de défense.

Au-delà, la force du lien armées-nation requiert que nous soyons attentifs à ce que la condition militaire ne décroche pas du reste de la société. Voilà pourquoi j’entends poursuivre l’effort tendant à sa revalorisation. Celle-ci n’est pas toujours à la hauteur de la reconnaissance due par la nation à des hommes et à des femmes soumis à des sujétions particulièrement lourdes.

L’Europe sera enfin l’un des autres axes majeurs de ma politique. A ce jour, le Royaume Uni et la France représentent à eux deux 40% de l’effort de défense de l’Europe, qui est lui, deux fois et demie inférieur à celui des Etats-Unis. L’effort de défense entre Européens doit être mieux réparti et davantage coordonné si l’on veut que l’Union européenne assume de façon plus convaincante ses responsabilités internationales

2 – Envisagez-vous une augmentation, une stabilisation ou bien une diminution du budget de l’Etat consacré à la Défense ?

La loi de programmation militaire 2003-2008 a permis de redresser l’effort d’équipement de nos armées, qui avait été fortement négligé par le gouvernement de Lionel Jospin entre 1997 et 2002. Sur cette période, l’exécution défaillante de la LPM, érigée en variable d’ajustement de finances publiques mises à mal par des réformes aussi irresponsables que dispendieuses –je pense principalement aux 35 heures- a en effet représenté la perte d’une année complète de crédits d’équipement pour nos armées.

J’ai la conviction qu’il serait imprudent de relâcher à nouveau notre effort. Il y a la diversité et l’ubiquité des menaces d’aujourd’hui, la forte instabilité de certaines régions du monde. Je suis par ailleurs soucieux que notre pays continue d’assumer ses responsabilités au service de la paix et de la sécurité. Je m’engage donc au maintien du budget consacré à la Défense.

Cela étant posé, il n’est un secret pour personne que les budgets de défense recèlent des marges substantielles d’efficacité et de performance. Au-delà même de l’adaptation de notre outil de défense aux évolutions du contexte stratégique, des progrès restent à faire pour moderniser la gestion des crédits et accroître la maîtrise des programmes d’équipement. Je serai vigilant à ce que le mouvement de réforme engagé dans ce but soit accéléré et approfondi.

3 – Seriez-vous tenté de remettre en cause certains des grands programmes d’armement déjà engagés ? Si oui lesquels, et le ferez-vous ?

L’équipement des nos forces armées ne peut d’abord être déconnecté d’une réévaluation plus large de ce que doivent être les objectifs de notre défense et les contrats opérationnels de nos armées : il nous faudra davantage hiérarchiser nos priorités. A budget constant, nous pouvons aussi utiliser plus efficacement les crédits, qu’il s’agisse de la maîtrise des coûts et des calendriers. Je suis prêt à m’engager à ce que les marges de manoeuvre ainsi dégagées soient intégralement réinvesties dans la consolidation de nos capacités de défense.

Par ailleurs, des besoins capacitaires ne sont pas aujourd’hui suffisamment pris en compte, en particulier la frappe dans la profondeur, la neutralisation des défenses aériennes ennemies, l’alerte avancée, le renseignement, le transport stratégique la protection de nos troupes en opérations extérieures et celle, vitale, de notre territoire. Je pense aussi qu’il nous faudra réfléchir à une rénovation de la fonction « achat » du Ministère de la défense et à l’optimisation de la gestion des programmes d’armement sur l’ensemble de la vie des équipements.

4 – On sait que pour la France, l’Union européenne et l’OTAN sont deux piliers importants de sa défense, et qu’elle y contribue de façon conséquente. Quelle est votre position à l’égard de l’un et de l’autre ?

Il convient d’aborder ces questions de façon dépassionnée et avec pragmatisme, en tenant compte des réalités, de nos intérêts et de nos valeurs. Ayant quitté les structures intégrées de l’OTAN en 1966, la France n’en reste pas moins l’un des membres très actif de l’Alliance et l’un de ses principaux contributeurs. Sur les 25 pays de l’OTAN, 19 sont membres de l’Union européenne. Si la France veut vraiment peser sur l’évolution de l’OTAN tout en invitant, avec plus de résultats, ses alliés européens à s’engager résolument dans une défense européenne indépendante, elle devra adapter son discours aux réalités de notre continent. Ce serait une erreur d’opposer la défense européenne et l’Alliance atlantique qui sont plus complémentaires que substituables.

Mais nous devons veiller avec nos partenaires européens à ce que l’OTAN n’évolue pas comme sembleraient le souhaiter les Etats-Unis vers une organisation mondiale effectuant des missions aux confins du militaire, de l’humanitaire et des activités de police internationale. L’OTAN n’a pas vocation à devenir une organisation concurrente de l’ONU.

Dans ce contexte, le renforcement de la défense européenne doit rester une priorité. Alors que l’Europe et sa sécurité ne sont plus forcément au centre des préoccupations stratégiques américaines, les Européens doivent désormais être plus autonomes dans la protection de leurs territoires et de leurs populations, de même que dans la défense de leurs intérêts fondamentaux sur la scène internationale. Je souhaite donc que les Etats européens puissent approfondir leur coopération dans ce domaine, pour peu qu’ils en aient les capacités et la volonté, sans en être empêchés par d’autres.

5 – Quelle doit être la part de l’État au sein des grands groupes de l’industrie d’armement ?

Dans mes différentes fonctions ministérielles, j’ai pu apprécier la place des industries d’armement dans notre économie, dans nos exportations et dans potentiel d’innovation. J’ajoute que ce secteur concerne aussi directement des milliers de PME-PMI, qui sont souvent détentrices de savoir-faire très sensibles pour notre souveraineté. Héritière d’une politique volontariste, notre industrie sait répondre à l’ensemble des besoins nécessaires à notre défense: des moyens conventionnels jusqu’aux armes nucléaires. Peu de pays dans le monde alignent un tel panel de compétences, qui nous permet de développer les réponses technologiques dont notre outil de défense a besoin sans dépendre de puissances étrangères.

Ces dernières années, plusieurs grands groupes ont été privatisés, l’Etat conservant entre un quart et un tiers du capital. Mais, plus que la participation de l’Etat au capital d’une société, ce qui compte maintenant c’est de tendre vers une plus grande intégration des capacités industrielles et des compétences technologies, grâce à l’avènement de grands champions européens. Il faut unir nos forces, nous n’avons plus les moyens de nous disperser en matière de production et d’acquisition d’équipements.

6 – Plusieurs observateurs considèrent que la rédaction d’un nouveau livre blanc sur la Défense est nécessaire après celui de 1994.

Considérez-vous :

1. Que cela soit désirable ?
2. Si oui, vous engagez-vous à le faire ?

J’approuve entièrement votre analyse. Depuis, l’élaboration de notre dernier livre Blanc en 1994, le monde a connu de profondes transformations. Chacun a à l’esprit les images du 11 septembre. Il y a eu aussi l’intervention de la communauté internationale en Afghanistan et celle des Etats-Unis en Irak. On pourrait encore citer la crise libanaise, la crise nucléaire iranienne, la déstabilisation de certaines régions d’Afrique, la montée en puissance de la sécurisation de nos approvisionnements énergétiques. Entre l’actuelle Loi de programmation et la prochaine, la période transitoire doit être donc mise à profit pour mener à bien une réflexion approfondie sur l’évaluation du cadre stratégique de notre politique de défense, puis de la hiérarchie dans l’expression des besoins et enfin des modalités de leur satisfaction. Mais il faut s’entendre sur les mots. Je ne souhaite pas un nouveau livre Blanc qui nous entraînerait dans un calendrier trop étiré et figerait notre réflexion pour plusieurs années encore, alors que le contexte stratégique demeure instable et appellera de toute évidence des remises en cause et des ajustements à intervalles plus fréquents. Nous devons apprendre à dédramatiser cet exercice et à le banaliser, en lui donnant un tour plus opérationnel et plus régulier.