Le Programme économique & fiscal de Sarkozy


Pour une véritable révolution économique

Interview de Nicolas Sarkozy
Propos recueillis par Claire Guélaud, Arnaud Leparmentier et Philippe Ridet

Quelle est la première de vos priorités économiques ?

-La priorité des priorités est de revaloriser le travail. La crise morale française porte un nom : c’est la crise du travail. C’est lui qui est créateur d’emplois, et pas le partage du travail. Le travail crée le travail. Il faut donc récompenser le travail, créer de l’activité, favoriser la croissance. Et ce sont les réformes qui feront la croissance, pas les économies budgétaires. Notre premier grand problème est celui du pouvoir d’achat. Pourquoi avons-nous, depuis quinze ans, un taux de croissance inférieur de 1% à celui des meilleurs des pays libres ? Parce que les salaires sont trop bas, les charges trop lourdes, la pression fiscale trop élevée. Les 35 heures ont servi de prétexte à la rigueur salariale et creusé le déficit de l’Etat. 17 des 22 milliards d’allègements de charges servent à les payer.

Comment redonnerez- vous du pouvoir d’achat aux Français ?

-Je propose une véritable révolution économique. On ne peut pas se dire Européen et se satisfaire de prélèvements obligatoires qui représentent 45,3 % du PIB, soit quatre points de plus que la moyenne de l’Union européenne à 15. Il faut que les Français en aient pour leur argent. On peut leur donner des prestations meilleures en dépensant moins. Si on réduit de 4 points nos prélèvements obligatoires, on rend 68 milliards d’euros aux Français : 2000 euros rendus aux Français par foyer et par an, y compris les retraités, et 4900 euros par foyer si on s’en tient à la France qui travaille.

Comment le faites-vous concrètement ?

-Nous le ferons en réduisant la fiscalité qui pèse sur le travail. Nous le ferons aussi en récompensant le travail supplémentaire. Tout est fait aujourd’hui pour décourager les entreprises d’en donner. J’estime qu’on a payé son dû à la sécurité sociale quand on a payé les cotisations pour la durée moyenne de travail. Je propose donc que les entreprises ne payent pas de cotisations sur les heures supplémentaires – ce sera une incitation à l’entreprise à en donner – et que le salarié ne paie pas d’impôt sur le revenu supplémentaire qu’il perçoit. Songez qu’un salarié rémunéré au SMIC qui fera 4 heures supplémentaires par semaine augmentera son revenu de près de 2000 euros par an. C’est un double bonus. Et l’Etat y trouvera son compte car lorsque les salariés ont plus de pouvoir d’achat, ils consomment davantage et les recettes de TVA augmentent.

Le Conseil constitutionnel semble avoir des réserves sur l’exonération de l’impôt sur le revenu…

-Je suis prêt à affronter ce débat tant il me paraît essentiel à la croissance française.

Avec Jean-Louis Debré, nommé entretemps président du Conseil constitutionnel ?

-J’ai la volonté de réhabiliter le travail. Cela n’a rien à voir avec la nomination du président du Conseil constitutionnel.

-Je veux également mettre fin à une injustice qui consiste à rémunérer différemment les heures supplémentaires : 10 % de plus dans les entreprises de moins de 20 salariés et 25 % dans les autres. Tout le monde doit avoir 25 %. Grâce à cette exonération sociale et fiscale, un smicard qui travaillerait 50 minutes de plus par jour sur la base de cinq jours travaillés gagnerait en plus 1980 euros net par an, 165 euros par mois. C’est considérable !

Peut-on réduire à ce point la dépense publique ?

-Trouver des économies est possible à condition de traiter de l’emploi dans la fonction publique. Avec les retraites des fonctionnaires, il représente 45 % du budget. Je fais mien l’objectif de ne pas remplacer le départ à la retraite d’un fonctionnaire sur deux. La moitié de la productivité ainsi gagnée doit servir à réduire les déficits, l’autre à augmenter le pouvoir d’achat des fonctionnaires. Il faudra aussi supprimer tous les organismes inutiles, comme le Conseil monétaire de la banque de France, et faire une révision systématique de tous les programmes : Nous ne voulons pas consacrer 5 milliards d’euros aux préretraites : nous voulons utiliser l’argent public pour créer de l’activité, pas pour empêcher les gens de travailler. Les 23 milliards de la formation professionnelle constituent un gisement de productivité considérable. Et il ne faut plus de minima sociaux sans contrepartie d’activité. Dans notre société les devoirs doivent être la contrepartie des droits.

Que ferez-vous sur l’université ?

-Nous proposerons un statut d’autonomie pour toutes les universités qui le désireront. Les universités qui accepteront de se réformer, auront des moyens supplémentaires.

Dans quelles dépenses de l’Etat providence peut-on tailler ?

-Je ne pense pas qu’il y ait matière à beaucoup d’économies dans la santé. Compte tenu de l’allongement de la durée de la vie, du progrès médical et de l’aspiration bien naturelle de nos concitoyens à vivre en bonne santé, l’investissement dans la santé sera forcément majeur.

Restez-vous favorable à une santé quasi totalement socialisée ?

-Je suis pour une santé basée sur la solidarité, mais nous n’éviterons pas de responsabiliser les patients. Il faut instaurer une franchise modeste par famille, et pas par individu, sur les premiers euros de dépenses annuelles en consultations médicales ou en examens biologiques. Je suis en revanche réservé sur le forfait de 1 euro sur les boîtes de médicaments, qui pénalise, c’est un comble, ceux qui sont le plus gravement malades.

Faut-il instaurer des cotisations maladie progressives, alors qu’elles sont aujourd’hui proportionnelles ?

-Je n’y suis pas favorable. Il faut essentiellement responsabiliser le patient. Tous les ans, il y aura un débat au Parlement : si l’objectif national de dépenses est respecté, on baissera la franchise. Si ce n’est pas le cas, on l’augmentera. Il y aura certaines exonérations, par exemple pour les ménages les plus modestes. Cette formule me semble infiniment plus utile que l’augmentation de la CSG, qui n’a aucune vertu pédagogique et pèse sur les prélèvements obligatoires.

Doit-on responsabiliser le corps médical ?

-Il l’est. La médecine libérale, qui ne représente que 15% des dépenses, a fait beaucoup d’efforts. Je propose deux réformes sur l’hôpital : celle de la gouvernance, car les hôpitaux ont besoin d’un patron, et celle de la carte hospitalière, mais sans s’inscrire dans une logique du tout ou rien. Je précise qu’il faut conserver des équipements de proximité. On peut avoir des regroupements d’établissement en gardant des sites géographiques différenciés.

Pouvez-vous préciser vos propositions sur la fiscalité ?

-J’ai déjà évoqué la fiscalité sur le travail. Je veux en outre que 95 % des Français soient exonérés des droits de succession. La vie est mal faite : quand on est plus âgé, on a moins de besoins et plus de revenus. Quand on est jeune, on a beaucoup de besoin et peu de revenus. Je crois à la mobilité du capital, du patrimoine. Le problème de la France, c’est qu’on hérite trop tard. Quand on a travaillé toute sa vie et qu’on a créé un patrimoine, on doit pouvoir le laisser en franchise d’impôt à ses enfants.

Faut-il exonérer les patrimoines jusqu’à 300 000 euros ?

- Qu’il faille un plafond, sûrement, mais je préfère m’en tenir à des principes. Je veux laisser prospérer le débat. Les socialistes veulent augmenter les impôts. Nous voulons les réduire. Voici l’un des grands débats de la présidentielle.

N’est-ce pas contradictoire avec l’idée qu’il faut accumuler pour la retraite ?

-La retraite, ce n’est pas un problème d’épargne mais de travail. Si cela vous intéresse de travailler jusqu’à 70 ans et de partir ensuite en vacances plutôt qu’acheter un appartement pour vos petits-enfants, c’est votre droit. Mais en travaillant davantage, vous contribuez à résoudre le problème de l’équilibre des retraites.

Soixante-dix ans est-ce un cap à fixer ?

-Non, le cap c’est la liberté. Il faut que celui qui veut travailler plus longtemps puisse le faire. Je souhaite une société du libre choix.

Faut-il garder la retraite à 60 ans ?

-Le droit à la retraite à 60 ans doit demeurer, de même que les 35 heures continueront d’être la durée hebdomadaire légale du travail. Que ce soit un minimum, cela me va très bien. Ce que je n’accepte pas est que cela soit aussi un maximum. Quelle drôle d’idée que d’interdire aux Français de travailler plus pour gagner plus.

Réformerez-vous les stocks options ?

Je n’aime pas l’idée de stock options réservées à un petit groupe de cadres dirigeants. Je suis très tenté par l’idée de plans de stock options pour tous ou pour personne. Il faut aussi débloquer les fonds de participation. Je suis également très réservé sur les golden parachutes. Les gros salaires ne me choquent pas à condition qu’ils soient associés à un vrai risque. Pour prendre un exemple, Patrick Kron qui a redressé Alstom mérite un gros salaire. Son prédécesseur ne méritait pas de golden parachute.

Que ferez-vous de l’impôt de solidarité sur la fortune ?

-Il n’y aura pas de suppression de l’ISF si je suis président de la République. Il est normal que ceux qui ont les plus gros patrimoines paient davantage. En revanche, je crois à un bouclier fiscal à 50 % intégrant la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS). Autrement dit, nul ne paiera au fisc plus que la moitié de ce qu’il a gagné. Il faut faire revenir les patrimoines et créer une nouvelle génération de capitalistes familiaux, qui investissent dans les PME et au service de l’emploi. J’entends donc donner à ceux qui paient l’ISF la possibilité de déduire de cet impôt, par exemple jusqu’à 50 000 euros, à condition de l’investir dans les PME. Je veux que tous ceux qui ont des projets puissent les financer et pas seulement dans la high tech ou dans Internet.

Sortirez-vous la résidence principale de l’assiette de l’ISF ?

-L’Etat n’a pas à arbitrer sur les choix d’investissement des Français. Surtout, on ne peut pas se plaindre de la faiblesse de l’actionnariat français et considérer qu’il faut payer l’ISF quand on achète des actions mais pas quand on a de l’immobilier.

Que faire néanmoins sur l’immobilier ?

-Grâce à l’inflation, les classes moyennes, il y a 40 ans, pouvaient aisément devenir propriétaires de leur logement. Elles ne le peuvent plus aujourd’hui. Ce n’est ni normal ni juste. Je veux une France où chacun puisse accéder à la propriété et propose que l’on puisse déduire 100 % des intérêts d’emprunt contracté pour l’acquisition de son logement de son impôt sur le revenu. Il n’y a aucune raison qu’on paie des impôts sur les intérêts qu’on verse. L’Etat, lui, doit mettre sa signature au service de celui qui n’a pas de caution – je suis pour un service public de caution – et en outre il faut supprimer la surprime imposée aux malades qui empruntent. Je veux aussi le crédit revolving c’est-à-dire donner la possibilité d’emprunter de nouveau à mesure que l’on rembourse ses emprunts. Une société qui emprunte est une société qui croit en l’avenir.

Doit- on augmenter le Smic ?

-Porter le Smic à 1500 euros, comme le proposent certains socialistes, ce serait un tout petit effort sur la durée de la législature. En réalité, tout en conservant le smic, il faut s’attaquer à l’écrasement des grilles salariales et faire un effort sur l’ensemble des salaires. Eux veulent l’augmentation du seul SMIC ; je préfère l’augmentation de tous les salaires grâce à l’augmentation de la quantité de travail.

La chancelière allemande Angela Merkel dit qu’il faut laisser la BCE hors de la politique.

-Je suis tout à fait d’accord. Mais si nous avons fait l’euro c’est pour faire une zone de croissance. J’ai confiance dans l’euro, mais la stratégie qui consiste à rester en permanence immobile sur les taux d’intérêt, c’est l’exemple inverse de ce qu’a fait Alan Greenspan aux Etats-Unis ou Gordon Brown en Angleterre avec le succès que l’on connaît. Il ne faut pas se priver de cet instrument décisif qu’est l’instrument monétaire, même si, s’agissant de la France, il ne nous dispensera pas de faire également des réformes structurelles.

Qu’entendez-vous par fiscalité écologique ?

-Il ne s’agit pas de mettre une taxe sur l’essence, mais d’instaurer une fiscalité différenciée pour les produits propres et les produits polluants. Actuellement, la fiscalité écologique représente 2,5% du PIB. Il faut passer à 5% en faisant payer les pollueurs. Il faut aussi négocier avec nos partenaires européens des taux réduits de 19,6 à 5,5 % de TVA par exemple pour les voitures propres, les bâtiments à haute qualité environnementale ou les travaux d’isolation de son pavillon.

Croire en la démocratie sociale et annoncer le vote en juin d’une loi sur le service minimum n’est-ce pas incompatible ?

-Je ne vois pas pourquoi ce serait incompatible. En quoi un service minimum qui est la contre partie d’un monopole, serait-il contraire à la démocratie ? Il existe déjà dans les hôpitaux, à la télévision. Je crois au droit de grève individuel, pas à la prise d’otages.

Avec la bonne conjoncture, le déficit budgétaire s’est réduit plus que prévu. Faut-il accélérer le retour de l’endettement sous la barre des 60% du produit intérieur brut ?

Ce qu’il faut, c’est en priorité faire des réformes. Ce sont elles qui apporteront la croissance et les économies. L’objectif en tout cas doit être atteint car un pays lourdement déficitaire met en danger son indépendance.

Le Pen aura-t-il ses signatures pour se présenter à la présidentielle ?

-C’est souhaitable, comme ce doit l’être pour tous les candidats qui représentent un courant de l’opinion. Je suis favorable à l’allongement du délai pour obtenir des signatures.

Est-ce que les difficultés de Ségolène Royal vous rendent optimiste ?

-Je veux mener une campagne positive, redonner de l’espérance. Pour que tout devienne possible, je n’attends pas que mon contradicteur ait des problèmes, même si cette campagne est bien sûr l’occasion pour chacun de révéler sa vraie nature.

La gauche vous accuse d’avoir capté son héritage en citant Jaurès, Blum et Zola ?

-Il n’y a pas d’histoire de gauche et d’histoire de droite. Il y a l’Histoire de France. La France, c’est une synthèse et ne pas le comprendre, c’est ne rien comprendre à la France. Voilà donc que François Hollande développe une lecture communautariste de l’Histoire. Je suis très heureux d’avoir redonné à la gauche le goût de Blum ! Je ne reconnais plus le socialisme de Mitterrand. Au moins, celui-là avait-il des lettres. Et quand l’ancien président allait parler de la mort avec Jean Guitton, est-ce qu’il se posait la question de savoir s’il était de droite ? Je me dois être à l’écoute de l’électorat de gauche quand il est à ce point trahi et abandonné dans ses valeurs par les actuels dirigeants socilaistes.