Des régularisations au cas par cas


Interview de Nicolas SARKOZY
Journal de 20H00 – FRANCE 2

CAROLE GAESSLER Nicolas SARKOZY bonsoir, merci d’être avec nous.

NICOLAS SARKOZY Bonsoir, merci de m’avoir invité.

CAROLE GAESSLER Un mot sur cette situation au Liban. Pour vous, quelle doit être la position de la France, l’importance de la France dans cette force internationale ?

NICOLAS SARKOZY La France a beaucoup travaillé pour la paix au Liban. Je veux saluer l’action du président de la République. Qu’est-ce que voulait la France ? D’abord, qu’on arrête… que les ministres du Hezbollah arrêtent d’envoyer des missiles et des roquettes sur Israël. Le droit à la sécurité pour Israël c’est quelque chose sur laquelle on ne peut pas transiger. La France voulait également et dans les mêmes conditions, l’indépendance du Liban. Le Liban qui a tellement souffert et qui doit être débarrassé de toutes les influences étrangères. La France voulait un accord politique entre les différentes, parce qu’on n’envoie pas une force internationale s’il n’y a pas d’accord politique. Cet accord semble être conclu. Et la France, ensuite, voulait une force d’interposition à laquelle, moi, je souhaite qu’elle puisse participer – la France – à cette force d’interposition.

CAROLE GAESSLER Le commandement, notamment…

NICOLAS SARKOZY Il appartiendra au président de la République de dire combien d’hommes et dans quelles conditions. Mais aujourd’hui, on ne peut qu’être satisfait de voir enfin un espoir renaître dans cette région du monde. Ca ne veut pas dire que tout est réglé. Ca ne veut pas dire qu’on ne danse pas sur un volcan. Ca veut dire simplement que la France a fait tous ces efforts pour que de chaque côté on comprenne qu’il n’y avait d’espérance que dans la diplomatie, que dans la discussion et que dans le compromis.

CAROLE GAESSLER Alors vous restez avec nous, puisqu’on va évoquer la question de la menace terroriste après le complot déjoué jeudi dernier en Grande Bretagne. On regarde tout de suite ces images de l’aéroport d’Heathrow toujours perturbé, British Airways a encore annulé plusieurs dizaines de vols aujourd’hui ; la sécurité reste draconienne même si le niveau d’alerte a été baissé hier. Dans le cadre de l’enquête on apprend qu’un nouveau suspect vient d’être arrêté par la police britannique. Alors demain vous allez participer à Londres, à une réunion sur la sécurité antiterroriste, vous partez dans quelques instants. Vous venez, il y a quelques heures, de faire le point Place Beauvau. Aujourd’hui, quel est l’état de la menace terroriste sur la France ?

NICOLAS SARKOZY La menace terroriste sur la France – je dois mesurer mon vocabulaire mais il doit être précis et compris – la menace terroriste sur la France est élevée et permanente. Les deux mots…

CAROLE GAESSLER Plus élevée…

NICOLAS SARKOZY Les deux mots ont un sens, elle est élevée et elle est permanente et s’agissant de ce qui s’est passé en Grande Bretagne, les services spécialisés de la lutte antiterroriste française prennent ce qui s’est passé en Grande Bretagne avec le plus grand sérieux. Nos amis anglais nous ont communiqué un certain nombre de renseignements précis et matériels, tout au long des différentes perquisitions, qui nous amènent à considérer que ceci, ce qui s’est passé ou ce qui aurait pu se passer, était une grande menace.

CAROLE GAESSLER Ampleur mondiale et préparation imminente.

NICOLAS SARKOZY Ampleur mondiale ? Je ne sais ! Préparation imminente ? C’est incontestable. Et des éléments concrets qui nous ont été communiqués nous ont amenés à renforcer nos mesures de précaution.

CAROLE GAESSLER Vous maintenez ces renforcements ?

NICOLAS SARKOZY Oui.

CAROLE GAESSLER Les fouilles notamment sur certaines destinations, Israël, les Etats Unis ?

NICOLAS SARKOZY Les fouilles à cent pour cent sur les destinations : Grande Bretagne, Amérique, Israël et je veux dire d’ailleurs à tous les passagers qui vont prendre des avions dans cette direction, que la décision que le gouvernement a prise d’interdire d’emporter dans son bagage à main – en cabine, comme l’ont dit – des bouteilles d’eau, de liquide, c’est pour leur sécurité. J’ai parfaitement conscience que ça va compliquer un certain nombre de voyages, que ça fait perdre du temps mais moi j’ai la responsabilité d’assurer la sécurité de nos compatriotes. Et tant que je ne sais pas exactement dans quelles conditions les attentats se préparaient, qui auraient pu faire usage d’explosifs, que nous ne connaissons pas, dans des récipients banalisés et que l’on peut amener en bagage à main, je préfère prendre des mesures de sécurité plus sévères, en accord ave le Premier ministre et le président de la République, plutôt que de prendre le moindre risque. La menace est élevée, elle est permanente ; il n’est absolument pas question de baisser la garde. Et c’est la raison pour laquelle, demain, j’aurai avec le ministre de l’Intérieur britannique, John REID et le ministre de l’Intérieur allemand, Monsieur SCHAUBLE, une réunion qui nous permettra de faire le point, d’échanger nos informations et si possible d’harmoniser la réponse à la menace terroriste.

CAROLE GAESSLER D’affiner. Alors, autre dossier sensible, c’est bien sûr le dossier des demandes de régularisations des familles sans papiers d’enfants scolarisés. Avant de faire un point sur le chiffre, on regarde ce reportage sur deux familles. L’une est soulagée, elle vient d’apprendre qu’elle sera régularisée ; l’autre déçue et inquiète, son dossier a été refusé. Et pourtant, elle pensait répondre à tous les critères de vote circulaire. // Reportage sur la régularisation des enfants scolarisés //

CAROLE GAESSLER Alors, on va faire le point précisément sur ces chiffres. Combien de demandes de régularisation avez-vous reçues en préfecture, à ce jour ?

NICOLAS SARKOZY Un peu moins de 30.000.

CAROLE GAESSLER Sur ces 30.000, combien seront régularisées ?

NICOLAS SARKOZY Les estimations dont je dispose me permettent de dire environ 6.000

CAROLE GAESSLER Mais estimations, c’est-à-dire… sur quoi vous vous fondez pour avancer ce chiffre de 6.000, que vous aviez déjà avancé en juillet ?

NICOLAS SARKOZY C’est très simple, dans votre reportage je n’accepte pas les mots qui ont été employés par cette dame. Il n’y a aucune traque aux enfants. La question qui est posée est assez simple : est-ce que la France a le droit de décider de qui peut venir sur son territoire ou de qui doit le quitter ? Un certain nombre d’associations font assaut de démagogie et, permettez-moi de le dire, d’irresponsabilité. Pourquoi ? parce qu’il ne suffit pas de rentrer en France pour avoir le droit d’être en France. Si on peut faire n’importe quoi, rentrer n’importe comment, alors ça veut dire que la France serait le seul pays au monde qui n’aurait pas le droit de décider de qui a le droit d’être sur son territoire. Dans l’exemple que vous avez montré, je ne comprends absolument pas cette situation. Si ce Monsieur dit qu’il a ses papiers et si c’est bien sa femme, et si c’est bien ses enfants, il y a une procédure qui s’appelle “ le regroupement familial ” qui est un droit…

CAROLE GAESSLER Il venait de se marier, donc c’était encore une situation…

NICOLAS SARKOZY Ah bon…

CAROLE GAESSLER Voilà… on a dit du cas par cas…

NICOLAS SARKOZY Permettez… non, non… Madame, excusez-moi, il faut être précis. On ne vient pas à la télévision pour dire : Regardez, je suis depuis dix ans en France, j’ai une femme et j’ai des enfants, on ne me donne pas de papiers. Ce n’est pas vrai.

CAROLE GAESSLER Mais justement, vous disiez que des cas particuliers…

NICOLAS SARKOZY Ce n’est pas vrai. Non, mais nous…

CAROLE GAESSLER On étudiera cas par cas…

NICOLAS SARKOZY Nous devons la vérité aux Français. Qu’est-ce qui s’est passé ? En 1997, le gouvernement de Lionel JOSPIN a pris une lourde responsabilité, il a régularisé 80.000 personnes… 80.000. C’est bien la preuve que la régularisation massive ne fait que compliquer le problème. A la suite de cette régularisation, Madame, le nombre de demandes d’asile a été multiplié par quatre ; on est passé de 20.000 par an à 80.000. Pourquoi ? Parce qu’on a envoyé un signal au monde entier que tout le monde pouvait venir en France.

CAROLE GAESSLER Nicolas…

NICOLAS SARKOZY Non… mais c’est très sérieux…

CAROLE GAESSLER Nicolas SARKOZY, laissez-moi juste savoir…

NICOLAS SARKOZY Mais je veux faire le point, moi et je veux expliquer que…

CAROLE GAESSLER Je comprends bien…

NICOLAS SARKOZY Expliquer que ces gens qui sont dans notre pays, sans papiers, sont le résultat d’une politique laxiste où on a laissé à penser que tout le monde pouvait venir en France…

CAROLE GAESSLER Comment…

NICOLAS SARKOZY Et je dois, moi, prendre les dossiers un par un… un par un… ce que nous avons fait. Et je voudrais d’ailleurs dire quelque chose de très important. Je veux rendre hommage au travail remarquable des employés des préfectures qui ont été insultés par des gens qui ne connaissent pas les dossiers…

CAROLE GAESSLER Monsieur…

NICOLAS SARKOZY Nous avons regardé les dossiers un par an…

CAROLE GAESSLER Justement…

NICOLAS SARKOZY Et ceux qui ont des attaches avec la France, on leur donne des papiers. Ceux qui n’ont pas d’attaches on les renvoie.

CAROLE GAESSLER Comment vous pouvez avancer le chiffre de 6.000 ?

NICOLAS SARKOZY Eh bien c’est très simple… c’est très simple Madame GAESSLER. Hier, nous avons décidé de renvoyer en Ukraine, une famille ukrainienne. Pourquoi ? Il se trouve que le père ne parlait pas un mot de français, pas un mot ; qu’il nous avait expliqué qu’il était menacé dans son pays ; nous avons mené une enquête très précise, il n’y avait aucune menace contre lui ; et ses enfants plus âgés avaient trois ans, donc on ne peut pas dire qu’ils étaient scolarisés puisque, comme vous le savez, la scolarisation à trois ans est facultative, puisqu’elle commence à six ans. Et j’estime que renvoyer en Ukraine des Ukrainiens n’a rien à voir avec la traque aux enfants.

CAROLE GAESSLER Alors là, ceux-là…

NICOLAS SARKOZY Ou alors il faut simplement me dire qu’avoir des papiers ou pas de papiers, c’est la même chose.

CAROLE GAESSLER Alors ceux-là ont été renvoyés ; Que vont devenir les autres qui n’auront pas de cartes de séjour ; Quel est le délai avant la rentrée ?

NICOLAS SARKOZY Alors, soyons précis et soyons clairs, ceux qui auront obtenu des papiers, eh bien ils auront le droit de rester en France. Ceux qui n’auront pas obtenu de papiers – je veux que les choses soient claires, je ne cèderai à aucune pression – ceux qui n’ont pas obtenu de papiers auront vocation à retourner dans leur pays.

CAROLE GAESSLER Dans quels délais ?

NICOLAS SARKOZY Alors, j’entends un certain nombre de gens qui disent : c’est de la déportation. C’est très choquant à l’endroit de tous ceux qui ont connu des membres de leur famille qui ont été déportés. Encore une fois, qu’un Ukrainien retourne en Ukraine ou qu’un Malien qui n’a pas de papier retourne au Mali, je ne vois pas en quoi ce n’est pas conforme aux principes de la République.

CAROLE GAESSLER Juste en un mot : dans quel délai ?

NICOLAS SARKOZY Dans quel délai ? Eh bien permettez-moi de vous dire qu’à partir du moment où on a une lettre de refus d’obtention de papier, parce que l’OFPRA ne vous a pas reconnu le statut de “ réfugié politique ” on a vocation à quitter la France. Et si on ne quitte pas la France, eh bien si dans un contrôle par des gendarmes ou par des policiers on est arrêté, on sera raccompagné chez soi. C’est la règle. Ca ne peut pas être la même chose, Madame GAESSLER, qu’on ait des papiers où qu’on n’ait pas de papiers. Enfin un dernier point que je voudrais dire : il faut quand même penser aux choses de façon la plus raisonnable et la plus responsable. Vous avez vu ce qui s’était passé dans les banlieues, on voit les difficultés du système d’intégration français. C’est le résultat de quoi ? D’une politique d’immigration qui n’a pas été maîtrisée. Notre objectif c’est d’avoir une politique d’immigration maîtrisée. Que ceux qui viennent en France puissent y avoir un logement et puissent avoir un métier. Et je trouve irresponsable qu’un certain nombre de parlementaires appellent à ne pas respecter une loi qu’ils ont par ailleurs eux-mêmes votée.

CAROLE GAESSLER Alors, on va parler de la rentrée politique, la précédente était sous le signe de la désunion entre Dominique de VILLEPIN et vous-mêmes. Celle de 2006, ce sera quoi ? L’union ou la désunion, notamment avec des sujets un peu délicats, comme le projet SUEZ / GDF ?

NICOLAS SARKOZY Que le sujet soit délicat c’est une certitude. J’ai indiqué mon accord à ce projet pour constituer un grand pôle énergétique français et en ce qui concerne ma responsabilité, je suis président d’une famille politique et ce n’est certainement pas à huit mois d’une échéance qu’il faut se diviser. Donc ça sera…

CAROLE GAESSLER Donc l’union.

NICOLAS SARKOZY Ca sera le rassemblement.

CAROLE GAESSLER Le rassemblement. Alors cet été on vous a beaucoup vu, on a aussi beaucoup vu Ségolène ROYAL, côte à côte, comme si le match était déjà engagé. Vous considérez que le match est déjà engagé ?

NICOLAS SARKOZY Eh bien écoutez, si on m’a beaucoup… peut-être que… vous m’avez invité, donc peut-être que vous ne m’aviez pas assez vu ; je ne sais pas quel match est engagé. En tout état de cause il y aura un grand débat dans huit mois en France. J’ai l’intention de participer de toutes mes forces à ce grand débat ; on verra à quelle place. Et voyez-vous, je pense que la démocratie souffre beaucoup de l’absence de débats. Il faut confronter les idées. On a parlé de l’immigration, c’est un grand sujet. Mais que ceux qui sont pour la régularisation de tout le monde le disent aux Français. Moi, je ne suis pas “ pour ”. Et que le débat ait lieu et que les Français choisissent en toute clarté. Voilà ce qu’est la politique.

CAROLE GAESSLER Merci Nicolas SARKOZY.

NICOLAS SARKOZY Je vous remercie.