La réforme au service de nouvelles sécurités


« Imposer une réforme qui n’était pas perçue par les Français comme juste, aurait été un cadeau fait à la gauche » constate Nicolas Sarkozy dans un entretien au quotidien Le Figaro. Rappelant que « la précarité est une réalité d’aujourd’hui », il insiste une nouvelle fois sur « la justice des réformes » et plaide pour « une solution qui donne de la flexibilité aux entreprises et de la sécurité aux salariés ».

Quelle est la différence entre remplacement et abrogation ?
Abrogation ou retrait, je n’ai jamais voulu qu’on emploie ces mots. Ce n’est pas que de la sémantique ! L’abrogation, cela veut dire que l’on tourne la page, qu’il n’y avait pas de problème d’insertion des jeunes en entreprise. Le remplacement, cela veut dire que le dispositif proposé par le gouvernement a suscité des malentendus et même qu’il n’était pas totalement pertinent mais que l’objectif de traiter la question de l’insertion des jeunes dans la vie active était fondé et le demeure. On a donc décidé de remettre le sujet sur le métier et de remplacer le dispositif d’origine par un autre.

Cela ne permet-il pas aussi de sauver la face du premier ministre ?
Je suis parfaitement d’accord pour dire que l’on ne sort pas d’une crise en humiliant qui que ce soit. La politique est une affaire de long terme. Personne n’a à gagner à l’humiliation.

Ne craignez-vous pas qu’une partie de l’électorat vous reproche d’avoir capitulé, comme beaucoup de gouvernements de droite depuis vingt-cinq ans ?
Cela fait quatre ans qu’on me fait le procès inverse, sans d’ailleurs que cela m’impressionne. Les mêmes qui me trouvaient trop dur dans la crise des banlieues ne vont pas m’expliquer maintenant que je suis trop faible ! Je voudrais m’adresser aux électeurs de droite et les faire réfléchir. Nos électeurs les plus fermes à droite veulent qu’on ne cède pas à la rue, et ils ont raison. Mais ils voulaient aussi que la pagaille s’arrête et qu’on ne se retrouve pas avec une nouvelle affaire Malik Oussékine, qui conduit au désastre. Je ne suis pas là pour faciliter la tâche de la gauche. Or, j’affirme que cela aurait été un cadeau à la gauche, que lui donner un espace, que de vouloir imposer une réforme qui n’était pas perçue par les Français comme juste. Dans ces conditions, le risque n’était pas de modifier une réforme, c’était de s’entêter. La gauche n’a rien à proposer, rien à dire, rien à défendre. Elle ne peut se nourrir que des erreurs de la droite.

Est-ce une façon de dire que vous n’avez jamais approuvé le CPE ?
Pourquoi faudrait-il, parce qu’on est de droite, défendre un dispositif qui avait fini par n’être ni voulu par les chefs d’entreprises, ni accepté par les syndicats réformistes. Quand on a la CGC sur la même ligne que la CGT, nous ne pouvions que nous interroger sur la méthode et sur le fond. C’est ce que nous avons fait. Qui peut me le reprocher ? Si vous voulez me faire dire qu’il aurait mieux valu ne pas se lancer dans cette affaire, je suis assez d’accord. Mais à partir du moment où l’on y était, il fallait s’en sortir, vite et le moins mal possible.

Avez-vous exprimé vos réserves sur le CPE à Dominique de Villepin dès le début ?
Non. Je suis ministre de l’Intérieur. Tous les jours ou toutes les semaines, le gouvernement élabore des projets. Croyez-vous que l’on appelle à chaque fois le ministre de l’Intérieur pour lui demander s’il est d’accord ou pas ? Mais je prends toute ma part de la situation actuelle, comme ministre et comme président d’un parti qui a voté le CPE. Je suis responsable, je suis solidaire et parce que je suis responsable et solidaire j’essaie de participer à la sortie de crise.

Un président qui arbitre sur une proposition de loi, n’est-ce pas tordre les institutions ?
Vous savez que je souhaite renforcer le rôle du Parlement. Ceci dit est-il anormal que les parlementaires de la majorité soient en accord avec le président quand ils sont de la même sensibilité ? Je souligne d’ailleurs que c’est la première fois que la fusion s’opère à ce point au sein de l’UMP entre gaullistes, libéraux et centristes.

Reste le courant villepiniste…
Je ne sais pas si c’est un courant. Mais j’ai toujours dit que j’étais ouvert à la concurrence, qui permet d’étalonner les valeurs. Il n’y a pas de candidat obligatoire à l’UMP. Pour ceux qui veulent être candidats à la candidature, bienvenue ! A vous de dire si à la sortie de cette crise, la situation est plus confuse, ou si elle l’est moins.

La violence de la crise entre sarkozystes et villepinistes ne laissera-t-elle pas des traces ?
Il n’y a pas de sarkozystes. Je suis président de l’UMP donc de toute la famille. En agissant comme je l’ai fait, j’ai protégé ma famille politique et j’ai eu le souci de l’intérêt général. Je ne vais quand même pas m’excuser parce que les sondages désignent le président de l’UMP comme celui qui a été plutôt mieux compris ! Mes deux mots d’ordre, dans cette crise, ont été lucidité et unité. Lucidité, parce que j’ai indiqué dès le début que tout ceci ne serait pas compris. Mais unité, parce que mon but n’est pas d’être fort dans une famille devenue faible.

Pour sortir du blocage, le gouvernement a passé la main à l’UMP. Le communiqué de Jacques Chirac hier matin met-il fin à la crise de régime dénoncée par l’opposition ?
C’est un argument que je connais bien pour l’avoir souvent entendu dans la bouche des socialistes qui expliquaient déjà que le Général de Gaulle était illégitime. Quand on n’a rien à dire sur le fond, on crie, on hurle et on dénonce la crise de régime. Or il se trouve que dans la Constitution les partis politiques concourent à l’expression de la souveraineté populaire. J’ai le souvenir d’un parti socialiste qui reprochait aux gaullistes d’être des godillots. J’ai toujours dit que le rôle de l’UMP n’était pas seulement de soutenir le gouvernement, mais de le précéder, de lui rendre service en montrant la voie et en donnant la parole à nos électeurs. Que l’UMP ait pu être une force de dialogue et de proposition, qui pourrait s’en plaindre ?

Mais que le gouvernement joue les utilités, c’est plutôt inédit sous la Vème République…
C’est caricatural ! Sur le sujet qui nous occupe, pour sortir de la crise, le Premier ministre, en tout état de cause, a pris des décisions. Et on ne peut pas réduire l’action du gouvernement de Dominique de Villepin au seul CPE. Il y a eu la mise en place du CNE qui est un succès, et, à la suite de Jean-Pierre Raffarin, il a conduit une politique économique qui donne des résultats probants en matière de réduction du chômage. Depuis un an, le gouvernement de Dominique de Villepin travaille beaucoup et bien.

Il n’empêche : le premier ministre a-t-il encore une autorité sur sa majorité et sur le gouvernement ?
Oui. Le premier ministre non seulement peut mais doit continuer à travailler. J’ai été, il ne faut pas l’oublier, celui qui a connu un grand nombre de crises et de problèmes. Je sais que cela se surmonte, pour ceux qui ont le tempérament, l’energie, la volonté. Ce n’est pas moi qui dirai qu’une crise condamne quelqu’un. Il faut prendre un peu de recul. Le premier ministre fait du bon travail au service de la France. Et j’ajoute que quel que soit le candidat en 2007, celui-ci aura besoin de tout le monde. Ce sera difficile, ça se jouera comme toujours en France à 51/49, c’est-à-dire sur les marges.

On a prêté à Dominique de Villepin l’intention de démissionner. Y avez-vous cru?
Non, jamais.

Y-a-t-il eu pression du premier ministre sur le président?
Je n’en ai jamais été témoin. Ce que je peux dire, c’est que jamais depuis longtemps je ne me suis retrouvé autant en phase avec le président de la République que ces dernières semaines.

Pourquoi alors a-t-il fallu autant de temps pour sortir de la crise ?
Nous n’étions pas tous d’accord sur la gravité de la situation et sur la profondeur du malentendu avec les jeunes et les organisations syndicales. En tant que ministre de l’intérieur, j’étais bien placé pour disposer d’informations sur la radicalisation du mouvement. Cela m’a alerté et inquiété. Il fallait que les étudiants et les lycéens reprennent leurs cours. Il fallait vite en sortir. C’était une question d’appréciation. J’ai pris mes responsabilités. J’ai fait savoir ce qu’il en était. J’ajoute que c’est une grande satisfaction pour moi que les forces de l’ordre aient pu gérer cinq manifestations nationales sans qu’il y ait une bavure, et qu’il y ait eu 3700 interpellations de casseurs grâce à leur action.

Après ce que nous venons de vivre, le thème de la rupture est-il toujours d’actualité pour 2007 ?
Plus que jamais ! Je n’ai en rien renoncé à la rupture, elle est plus que jamais nécessaire. Si nous voulons répondre aux espoirs des Français, de grands changements sont indispensables. Simplement j’appelle mes amis à comprendre que la rupture ne sera acceptée des Français que si elle est perçue comme juste. Les Français acceptent les efforts, à condition de comprendre ce qu’ils gagneront en échange. Le mot justice n’est pas la propriété de la gauche. Le CPE a pu donner le sentiment que les jeunes étaient stigmatisés. Je ne voudrais pas maintenant que l’idée de la réforme soit emportée avec cette malheureuse affaire. Je veux décomplexer la droite, mais je n’accepterai pas qu’elle soit caricaturée. J’ajoute que la précarité est une réalité d’aujourd’hui, pas un risque pour demain. Je veux mettre le changement et la réforme au service de nouvelles sécurités pour les Français.

Cette affaire n’aura donc pas d’impact sur votre projet ?
Non, car j’ai toujours parlé de réforme juste. Chacun pourra le constater lors du grand rassemblement de tous les cadres et tous les élus du mouvement de l’UMP qui se tiendra le 13 mai sur la méthode, le rythme et le sens de la réforme. La question n’est pas de tenir à tout prix sur toutes les réformes. On tient sur les réformes essentielles – comme les retraites – et sur les réformes qui sont vécues comme justes. Pour le reste faire un compromis n’est pas une preuve de faiblesse.

Quelles réformes proposerez-vous lors de cette convention de l’UMP ?
L’une de nos propositions-phares, qui aurait permis d’éviter la crise du CPE, sera d’inscrire dans la loi que la priorité soit donnée aux partenaires sociaux pour traiter des questions sociales. S’ils ne se mettent pas d’accord, le gouvernement et le parlement auront toute légitimité à prendre les choses en main. Autre proposition majeure : prévoir par la loi un vote à bulletins secrets à la fin de la première semaine de conflit dans les universités, les entreprises et les administrations pour s’assurer si la grève est majoritaire ou non. Je proposerai aussi le non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux. C’est indispensable si on veut réduire notre endettement

La flexibilité peut-elle être perçue comme juste par les Français ?
J’en suis sûr. On doit donner davantage de flexibilité aux entreprises, mais dans un rapport gagnant-gagnant. La CGT elle-même travaille sur le thème de la sécurité sociale professionnelle que j’ai développé. Les Français voient bien que le monde change ! Raison de plus pour faire attention à la justice des réformes. Si les chefs d’entreprises veulent pouvoir adapter leurs effectifs à la réalité des carnets de commandes, il faut que les salariés en reçoivent la contrepartie. Je suis pour qu’on encadre les procédures de licenciement, qu’elles ne puissent pas dépasser six mois, et qu’en échange on augmente les indemnités de licenciement, les obligations de formation au bénéfice du salarié et l’accompagnement vers la reprise d’un emploi. On peut parfaitement trouver une solution qui donne de la flexibilité aux entreprises et de la sécurité aux salariés.

Vous avez dit qu’il n’était pas question pour vous de quitter le gouvernement pendant la crise. Mais après ?
Mon calendrier n’a pas changé. L’UMP choisira son candidat en janvier 2007. D’ici-là, la priorité est au travail.

Que va pouvoir faire le gouvernement dans les 13 prochains mois ?
Beaucoup de choses. J’ai proposé au premier ministre que nous présentions ensemble début mai le texte sur l’immigration. C’est un sujet majeur qui engage l’identité de la France. Je souhaite aussi, pour la fin mai, que nous mettions en œuvre pour la première fois dans l’histoire de la République, une politique de prévention de la délinquance, avec des sujets très lourds, comme la réforme de l’ordonnance de 1945 sur les mineurs, dont ce qui vient de se passer avec les casseurs montre d’ailleurs l’urgence. Songez que sur 80 mandats de dépôts à la suite des dernières manifestations, un seul mineur a été mis en situation d’enfermement ! Croyez-moi, 2006 sera une année utile.

Interview : les raisons d’un report
Je dois être responsable. C’est la raison pour laquelle j’ai différé l’interview du Figaro. Je m’en excuse auprès de ses lecteurs, mais j’ai pensé que je ne pouvais prendre la parole publiquement qu’une fois que nous nous serions mis tous d’accord sur un scénario de sortie de crise. C’était ma contribution à l’unité, et je ne le regrette pas.