Immigration choisie ne signifie pas fuite des cerveaux


Dans une tribune publiée dans le quotidien Le Figaro, Nicolas Sarkozy défend son projet de loi sur l’Immigration et l’Intégration dont l’ambition est de « proposer un modèle français de l’immigration choisie, fondé en aucun cas sur la fuite des cerveaux, mais sur la mobilité, la circulation des hommes, des compétences et des idées ».

Interview de Nicolas Sarkozy
Ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du Territoire
Journal du Dimanche
Dimanche 5 février 2006

Jeudi, vous présentez en comité interministériel votre avant-projet de loi relatif à l’immigration et à l’intégration, pourquoi un nouveau texte ?

Le système d’intégration à la française ne fonctionne plus. L’une des raisons majeures de ce dysfonctionnement, c’est l’incapacité dans laquelle la France s’est trouvée de maîtriser les flux migratoires depuis 1974 quand on a commencé à passer d’une immigration économique à une immigration familiale. C’est ainsi qu’aujourd’hui seulement 5% des immigrés sont des immigrés du travail. Le système d’intégration s’est donc bloqué, emporté par le nombre grandissant d’une immigration irrégulière qui a conduit à une paupérisation de cette population, à la constitution de véritables ghettos, à la paralysie et au détournement du système.

Comment arrivez-vous à comptabiliser l’immigration irrégulière puisque par définition elle est clandestine?

Pour l’essentiel, les candidats à l’immigration rentrent régulièrement en France grâce à un visa de tourisme de trois mois puis ils s’y maintiennent irrégulièrement. Nous ne voulons plus d’une immigration subie, nous voulons une immigration choisie, voilà le principe fondateur de la nouvelle politique de l’immigration que je préconise. Je sais que ce principe se heurte à deux intégrismes. Le premier: celui de l’immigration zéro défendu par Le Pen, impossible techniquement et contre-productif dans la mesure où les civilisations et les sociétés courent d’avantage le risque de la disparition par la co-sanguinité et la fermeture que par le mélange et l’ouverture. Le second, celui de ceux qui estiment que tout contrôle de l’immigration porte en lui les germes d’une forme de racisme. J’accuse cet intégrisme-là de favoriser l’extrémisme car derrière l’immigration non contrôlée, il y a un risque signalé d’amalgames, de tensions et de racisme.

«L’immigration choisie» que vous souhaitez ne risque-t-elle pas d’entraîner une fuite des cerveaux des pays d’origine?

Dans mon concept d’immigration choisie, je ne vise pas uniquement les cadres des pays en voie de développement. Je n’ai jamais dit qu’il fallait prendre aux autres les bacs + 10 pour leur laisser les bacs -4. L’immigration choisie ce n’est pas simplement le haut de gamme des élites des pays en voie de développement, ce peut-être aussi des flux migratoires définis en fonction des différentes provenances. Faire venir 10 000 informaticiens de l’Inde qui compte 900 millions d’habitants ne s’apparente en rien à un pillage d’élites, en revanche faire venir 50 étudiants en médecine de la Zambie, là c’est du pillage. En outre, je propose la création d’une carte spéciale qui sera délivrée aux étudiants les meilleurs en contrepartie de l’obligation de retourner chez eux afin qu’ils rendent à leurs pays une partie du bénéfice de leur formation. Pour éviter, par exemple, que tous les médecins béninois exercent en France et aucun au Bénin. Je ne crois à l’immigration choisie que dans la mesure où elle est concertée entre le pays d’arrivée _la France_ et ceux de départ _les pays en voie de développement.

Les étudiants étrangers obtiendront donc plus facilement qu’aujourd’hui un visa?

Je propose un système d’immigration à points pour éviter comme aujourd’hui que les étudiants étrangers se bousculent devant les consulats et fassent la queue pour demander un visa. Ainsi donnera-t-on priorité à un étudiant qui choisira une voie universitaire pour laquelle on manque d’étudiants. En ce qui concerne les talents étrangers, une carte de séjour d’une durée de trois ans sera proposée à des migrants hautement qualifiés, scientifiques, informaticiens, artistes ou personnes ayant une compétence rare, pour contribuer au dynamisme économique de notre pays.

Qu’en sera-t-il pour les travailleurs non qualifiés?

Là aussi, il est plus juste de faire venir des gens pour qui on a un travail et un logement que d’accueillir ceux à qui on ne peut rien offrir. Quand il y a des secteurs économiques où les Français ne sont pas candidats, il n’y a que des avantages à faire venir des travailleurs étrangers. D’où notre idée que, chaque année, le gouvernement indiquera dans un rapport au Parlement les objectifs quantitatifs prévisionnels de visas et de titres de séjour pour les trois années à venir en fonction des capacités d’accueil de la France en matière d’emploi, de logement, d’éducation nationale. Ces références chiffrées porteront sur les grandes catégories de visas et de titres de séjour: famille, travail, étudiant, politique. Ce qui aura l’avantage d’obliger à un débat démocratique sur la politique de l’immigration plutôt que de jeter des anathèmes. Avec mon projet, le gouvernement, quel qu’il soit, sera obligé de définir ses objectifs et de les annoncer.

Quid désormais du regroupement familial?

Il y aurait une contradiction majeure à plaider pour l’intégration et à revenir sur le regroupement familial qui est un droit garanti par la Convention européenne des droits de l’homme. Il n’est pas question de revenir sur ce droit. En revanche, je veux encadrer le regroupement familial: l’étranger qui demandera à être rejoint par sa famille devra prouver qu’il peut la faire vivre à partir des revenus de son travail. On ne prendra plus en compte les diverses allocations sociales.

Quelles sont les autres mesures que vous préconisez?

La prime à la clandestinité est supprimée: dix ans de clandestinité continue sur le territoire français ne donneront plus droit automatiquement à un titre de séjour. Cela ne veut pas dire que les préfets ne pourront pas apprécier au cas par cas la situation des étrangers en situation irrégulière. La régularisation reste possible même avant les dix ans. Autre mesure: le contrat d’accueil et d’intégration que je souhaite obligatoire pour tout étranger qui demande à s’installer durablement en France. Ce contrat comportera des engagements de l’Etat à l’égard du migrant: obligation de lui apprendre le français, de l’orienter dans ses démarches pour chercher un emploi, de le protéger contre les discriminations et en échange, le migrant prendra des engagements envers la société française: apprendre obligatoirement notre langue, respecter nos lois et, parmi celles-ci, l’égalité entre hommes et femmes. Dans le cas d’une femme gardée en otage à son domicile sans apprendre le français, la famille entière sera contrainte de repartir. Les préfets et les maires auront la charge de vérifier si le contrat d’accueil et d’intégration a été respecté avant de délivrer une carte de résident de 10 ans.

Sur les mariages de complaisance, avez-vous de nouvelles propositions?

Le mariage d’une personne étrangère en situation illégale avec un (e) Français (e) n’impliquera plus de façon automatique la reconnaissance du droit au séjour. La personne devra attendre trois ans de vie commune et démontrer qu’elle a respecté le contrat d’accueil et d’intégration.

Que faites-vous contre les employeurs qui sont très contents d’embaucher des étrangers en situation irrégulière afin d’avoir une main-d’œuvre à bon marché et sans droit?

Désormais un employeur convaincu d’employer des clandestins est obligé de payer les frais de retour de ceux qu’il a embauchés. Le décret est en cours alors que pendant cinq ans le gouvernement Jospin s’est bien gardé de prendre une telle mesure. Les étrangers qui travaillent illégalement en France ont vocation à être expulsés.

N’est-ce pas absurde d’expulser ceux qui travaillent sur les chantiers, même s’ils sont en France de manière illégale, pour en faire venir d’autres de manière régulière?

Non ! On rentre en France légalement. Sinon on n’y rentre pas. Le but c’est de privilégier l’immigration régulière pour que les travailleurs qui viennent en France ne soient plus exploités mais qu’au contraire ils bénéficient d’un statut régulier et de l’application de la convention collective.

L’expulsion du Malien dans le cadre des émeutes des banlieues, est-ce le retour de la double peine?

Pas du tout! Il existe une loi qui indique que lorsqu’un étranger en situation régulière en France commet des troubles à l’ordre public, il est expulsé. Cette loi n’avait pas choqué le gouvernement socialiste qui n’y a pas touché. J’ai rappelé les termes de cette loi au moment des émeutes du mois de novembre. Ce rappel a été suivi d’effet puisqu’il y a eu très peu de cas d’étrangers pris dans les violences urbaines. La double peine, c’était l’automaticité de l’expulsion quand il y avait condamnation. Du fait de sa suppression, 800 personnes qui auraient dû repartir sont restées. Là c’est tout à fait autre chose, la personne n’est pas expulsée parce qu’elle est condamnée, mais parce qu’elle a commis des violences urbaines.