ZEP : des enseignants courageux


Dans le journal Libération, Nicolas Sarkozy appelle à « mettre fin aux ghettos scolaires que sont devenus certains de nos établissements de ZEP ». Pour rétablir la mixité sociale et donner à tous les enfants les mêmes chances, il formule des propositions innovantes qui s’appuient sur une politique « où ce sont les élèves qui sont prioritaires ».

Tribune parue dans Libération du 15 décembre 2005

Créées en 1982, les ZEP (zones d’éducation prioritaires) sont nées d’une idée généreuse, inspirée d’une politique mise en œuvre par la Grande-Bretagne , ce pays que l’on m’accuse si souvent de vouloir copier. Elles devaient durer quatre ans. 23 ans plus tard, il existe plus de 700 ZEP.

Le niveau des élèves scolarisés en ZEP est très inférieur à celui des autres établissements. C’est en soi un échec, même si les ZEP scolarisent des élèves qui ont plus de difficultés. Mais la réalité est encore pire : l’écart de niveau s’accroît avec le temps. Censées garantir l’égalité des chances, les ZEP n’ont pas permis de lutter efficacement contre l’échec scolaire des enfants les plus défavorisés. Les enseignants de ZEP, qui ne ménagent pas leur peine, sont les premiers à s’en désespérer.

Les raisons de ce revers sont triples. D’abord, les moyens supplémentaires accordés aux ZEP ont été insuffisants, notamment parce qu’ils ont été saupoudrés sur trop d’établissements. Contrairement à ce que l’on a pu dire, je ne pense pas que l’on a dépensé trop d’argent en faveur des enfants défavorisés, je pense que l’on n’en a pas dépensé assez. Quand une politique est prioritaire, qu’elle vise presque 20% des élèves, on doit y consacrer davantage qu’1,2% du budget de l’Education nationale.

Ensuite, ces moyens supplémentaires servent quasi-exclusivement à réduire le nombre d’élèves par classe. Cette réduction est toutefois très insuffisante (22 élèves en moyenne en ZEP contre 24 dans les établissements hors ZEP) et reste sans influence sur les facteurs de la réussite scolaire que l’on sait aujourd’hui être les plus importants : environnement familial ; chambre individuelle ; mixité sociale ; qualités pédagogiques. Le taux de rotation des enseignants est très élevé. Le dire ne discrédite en rien leur compétence et leur dévouement, qui sont grands, mais confirme que nos ZEP sont devenues un problème lourd. Les moyens alloués aux ZEP devaient d’ailleurs, à l’origine, financer principalement des projets innovants en lien avec le milieu local. Les établissements de ZEP qui réussissent, car il y en a aussi, sont ceux qui ont su mettre en œuvre de tels projets. Ils sont malheureusement peu nombreux.

Enfin, les ZEP aggravent la ségrégation sociale. Elles regroupent ensemble les enfants défavorisés alors qu’il faudrait au contraire les répartir sur tous les établissements, tandis que les enfants favorisés rejoignent les établissements de centre ville ou l’enseignement privé. Le pourcentage d’enfants défavorisés dans les ZEP est supérieur à leur présence dans l’habitat du quartier. La carte scolaire n’existe plus aujourd’hui que pour ceux qui ignorent comment la contourner. Quelle que soit la qualité de leur travail, les enseignants de ZEP et leurs chefs d’établissements ne peuvent rien contre ce phénomène de ségrégation scolaire dont les études montrent qu’il a un impact majeur sur la réussite des élèves ; pas plus que ne le pourra, je le crains, la seule concentration des moyens sur les établissements les plus difficiles, à supposer que l’on y parvienne.

Le bilan des ZEP a été déposé depuis longtemps… dans les cartons du Ministère de l’Education nationale. Pour évaluer les établissements, celle-ci en compare les résultats, non pas aux objectifs fixés par la nation, mais à des « résultats attendus » calculés en fonction de l’origine des élèves et des catégories socioprofessionnelles des parents. Je conteste radicalement cette méthode qui est l’inverse même du principe d’égalité républicaine.

Bien sûr, de telles comparaisons sont utiles pour évaluer le travail des enseignants et mettre en évidence leur mérite lorsque les résultats réels sont supérieurs aux résultats escomptés. Mais les ériger en système et s’en satisfaire est profondément inique. Notre objectif, fixé par la loi Fillon du 23 avril 2005, est la réussite de 100% des élèves, pas de 100% en centre-ville et 50% en ZEP.

Les ZEP sont devenues un exemple typique des injustices que produit notre modèle social. La générosité qui sous-tend la politique des ZEP est incontestable et nécessaire. Mais elle nous empêche de voir les effets pervers induits par cette politique, et de concevoir une politique alternative, tout autant généreuse, mais plus efficace.

C’est pourquoi j’ai proposé que l’on passe d’une politique où les zones sont prioritaires à une politique où ce sont les élèves qui sont prioritaires. Je me réjouis que le ministre de l’Education nationale ait repris le même principe dans les propositions qu’il vient de faire au sujet des ZEP, ce qui n’empêche pas les établissements les plus difficiles de bénéficier de beaucoup de moyens puisqu’ils accueillent beaucoup d’élèves prioritaires.

Au lieu de réduire uniformément la taille des classes de deux élèves, les moyens supplémentaires devraient servir à mieux accompagner individuellement les enfants : prise en charge précoce et renforcée des tout-petits susceptibles d’avoir plus tard des difficultés et accompagnement de leur famille, car c’est entre 18 mois et quatre ans que se joue une bonne partie des capacités scolaires ; soutien scolaire au primaire pour éviter à tout prix que des enfants décrochent ; possibilités réelles de rattrapage au collège pour les enfants ayant des lacunes ; création de classes à très petits effectifs pour ceux qui en ont besoin ; tutorat pour les élèves issus de quartiers et ou de familles peu favorisés ; possibilité d’être accueilli dans une étude surveillée ou dans un internat pour être plus au calme le soir…

Plutôt que d’envoyer les meilleurs collégiens de ZEP dans les lycées de centre-ville, ce qui aggravera la situation des établissements défavorisés, il faut fermer les établissements où se concentre un pourcentage très élevé d’élèves en difficulté, et répartir ceux-ci dans les établissements environnants. C’est la seule solution pour rétablir la mixité sociale et donner à tous les enfants les mêmes chances. La République n’a pas le droit d’imposer une carte scolaire si elle n’est pas capable de garantir que tous les établissements se valent.

Enfin, tout en conservant l’uniformité des programmes et l’égalité des diplômes sur tout le territoire, et à condition de développer l’évaluation, il faut donner de l’autonomie aux établissements scolaires afin que ceux-ci puissent mettre en œuvre des projets innovants adaptés à la situation spécifique des élèves qu’ils accueillent. Commençons par le faire à titre expérimental. C’est une condition pour donner à chaque élève la chance d’une scolarité lui permettant de réussir et pour mieux soutenir les enseignants et les chefs d’établissement qui se consacrent aux enfants défavorisés. Et c’est peut-être une piste pour faire revenir dans les établissements de banlieue les élèves qui les ont désertés et qui trouveront un intérêt nouveau à fréquenter ces établissements d’excellence.

J’ai été l’un des premiers hommes politiques à soutenir la politique de discrimination positive mise en œuvre par Sciences-Po. Aujourd’hui, le modèle de l’ESSEC suscite plus de faveur parce qu’il est fondé sur une aide à certains élèves pour réussir un concours commun plutôt que sur une voie spécifique d’accès. Mais il faut reconnaître à Sciences-Po le mérite d’avoir soulevé le premier la chape de plomb qui pesait jusqu’alors sur le système français de reproduction des élites. Je pense qu’il faut donner aux élèves de ZEP la possibilité de rejoindre des classes prépas, des grandes écoles et des filières universitaires d’excellence et je soutiens toute initiative en ce sens.

Mais tous les élèves de ZEP, pas plus que ceux des autres établissements, ne rejoindront les grandes écoles et les meilleures universités. Le premier objectif, c’est de donner à tous les enfants la formation indispensable à leur épanouissement et à l’exercice de leurs responsabilités professionnelles et de citoyen. Cela suppose de mettre fin rapidement aux ghettos scolaires que sont devenus certains de nos établissements de ZEP.