Les Antilles : une chance pour la France


Dans un entretien à France Antilles, Nicolas Sarkozy explique les raisons qui l’ont conduit à reporter sa visite dans les Antilles de quelques semaines. Affichant sa conviction qu’il existe « dans ces territoires, une vitalité et une richesse que l’on ne trouve pas toujours ailleurs », il souhaite que « les conditions de sérénité d’un travail collectif » soient réunies « pour traiter efficacement des questions fondamentales pour les Antillais que sont la sécurité, le développement économique et l’emploi ».

Monsieur le Ministre, vous venez de prendre la décision de reporter votre voyage aux Antilles. Pourquoi?

J’ai longuement préparé ce voyage qui revêt, à mes yeux, une importance toute particulière compte tenu des enjeux en cause et des attentes des Antillais dans les domaines de ma responsabilité. Or, je constate que des polémiques, qui tiennent pour l’essentiel à des malentendus liés à la loi du 4 février 2005, mais qui sont bien réelles, suscitent une émotion particulière.

Les conditions de sérénité d’un travail collectif nécessaire pour traiter efficacement des questions fondamentales pour les Antillais que sont la sécurité, le développement économique et l’emploi ne me paraissent pas, dans ces conditions, aujourd’hui réunies. J’ai, par conséquent, décidé de reporter mon voyage de quelques semaines. C’est une question de respect vis-à-vis de ceux qui attendent des vraies réponses aux vrais problèmes quotidiens.

Les visites du ministre de l’Intérieur aux Antilles sont rares. Je pense qu’il faut qu’elles soient de vrais moments de dialogue et d’échange.

En attendant, je fais une proposition : celle de recevoir les élus des Antilles, toutes tendances confondues, afin que nous puissions parler des motifs d’émotion qui sont les leurs.

Vous avez employé des mots forts comme « racaille » et « kärcher » qui ont heurté certaines sensibilités en Outre-mer. N’était-ce pas maladroit ? Qu’avez-vous à dire là-dessus ?

Je pense qu’il s’agit d’un mauvais procès. Chacun sait bien dans quelles conditions particulières j’ai utilisé ce mot. J’ai désigné les voyous : c’est tout. Vous savez, aux yeux des intellectuels parisiens, j’ai un énorme défaut : je parle comme tout le monde. Je ne suis pas un adepte de la langue de bois. On me dit que j’ai choqué en parlant de « racailles ». Personnellement, je pense que c’est de parler sans nuances des « jeunes » en général pour désigner en réalité une minorité de casseurs et d’incendiaires qui n’est pas juste. Les Français en ont assez du politiquement correct. Il faut avoir le courage d’appeler les choses par leur nom. L’immense majorité des jeunes ne sont évidemment pas des délinquants. C’est les insulter que de parler de « jeunes » pour désigner les auteurs de ces crimes et de ces délits.

J’ajoute que je ne peux pas laisser dire qu’en employant le terme de « racailles », j’aurais en fait voulu stigmatiser certaines personnes en raison de leurs origines. Ceux qui laissent entendre cela sont malhonnêtes, car s’il y a bien quelqu’un sur la scène politique qui porte le combat contre les discriminations raciales et pour la reconnaissance de la diversité c’est bien moi. Qui, pour la première fois, a parlé de la nécessité de donner plus à ceux qui ont moins ? Qui a mis sur la table le débat sur la discrimination positive ? Je suis pour que la France assume davantage sa diversité, pour que la fonction publique et la vie politique soient plus à l’image de la société réelle.

Quelle est votre position quant aux réactions de ces derniers jours sur l’esclavage et la colonisation ?

Je sais, en effet, que, depuis quelques jours, des personnes qui nourrissent parfois des arrières-pensées politiques, sont arrivées à créer une polémique sur ce sujet. Il est vrai que, pendant longtemps, la République a soigneusement évité de regarder en face l’Histoire de France. Vous savez, notre pays, comme n’importe quel autre, a connu des périodes sombres et des heures de lumière. En tant que Français, par exemple, on ne peut qu’être très fiers de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. En revanche, l’esclavage fait partie des événements historiques les plus tragiques de notre Histoire nationale, événements que l’on préférerait bien sûr oublier. Mais la fuite n’est jamais la bonne solution. Il faut avoir le courage d’affronter notre passé et de porter sur lui un jugement sans concessions quand cela se justifie. C’est le cas ici.

En 2001, à l’unanimité, le Parlement a voté une loi faisant de la traite négrière et de l’esclavage un « crime contre l’humanité ». C’est une qualification très forte, à la mesure de la monstruosité de l’acte. L’esclavage n’est rien d’autre qu’une pratique inhumaine, profondément attentatoire au principe de dignité de la personne humaine. D’ailleurs, s’il y a bien un responsable politique, ces dernières années, qui a combattu sans répit les formes modernes de l’esclavage que sont les filières de prostitutions et d’immigration clandestine, c’est moi.

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt le rapport du Comité pour la mémoire de l’esclavage, présidé par la romancière Maryse Condé. Je trouve les propositions qui y sont faites tout à fait intéressantes. Pour ma part, l’idée de faire du 10 mai la date officielle de commémoration annuelle de l’abolition de l’esclavage, me semble excellente. Les professeurs auront ainsi l’occasion d’expliquer à leurs élèves les atrocités du « Code Noir » et la face sombre du règne de Napoléon trop longtemps passée sous silence.

Quant à la question de la colonisation, je ne comprends pas vraiment le sens de la polémique qui naît à propos d’une loi définitivement votée en février 2005 et qui n’a suscité à l’époque aucune réaction. Sur le fond, il est clair que la colonisation relève d’un autre temps où des principes aussi fondamentaux que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes n’étaient pas encore reconnus. C’est un moment révolu de l’histoire du monde. Et pour tout dire, je crois, pour ma part, qu’il doit être possible de lever les ambiguïtés de l’article 4 de la loi.

Quoi qu’il en soit, je pense qu’il est regrettable que le débat gêne le traitement des questions importantes pour l’avenir de la Martinique et de la Guadeloupe que sont la lutte contre l’insécurité, le développement économique et l’emploi. C’est la raison pour laquelle, je reviendrai traiter de ces questions aussi vite que possible, dès que les conditions d’un travail républicain à conduire avec tous, seront réunies.

Quelle est la place de l’Outre-mer dans votre projet politique, pour vous qui songez fortement à être candidat à la candidature suprême ?

Mes voyages officiels aux Antilles se font en tant que ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire.

Il est vrai que l’Outre mer ou plutôt « les outre-mers », représentent une part importante et complexe de notre territoire. Pour arriver à saisir cette réalité complexe, je pense qu’il est nécessaire de ménager un temps d’écoute et d’analyse très en amont car ma vision de l’avenir de l’Outre-mer ne pourra que se nourrir de celle des ultramarins eux-mêmes.

Concernant les Antilles, ce que je peux d’ores et déjà dire, en ayant eu de multiples contacts avec des Antillais restés au pays ou avec ceux résidant en métropole, c’est que je vois l’avenir des Antilles « en grand ». J’ai l’intime conviction qu’il y a, dans ces territoires, une vitalité et une richesse que l’on ne trouve pas toujours ailleurs. L’enjeu réside dans le fait de pouvoir définir un projet commun suffisamment fédérateur pour que chacun puisse s’y retrouver et que toutes les énergies soient consacrées à la construction de l’avenir.

Le potentiel est là, dans tous les secteurs, pour peu que l’on fasse clairement le pari exigeant de la qualité afin de se démarquer des concurrents. C’est vrai dans le secteur agricole comme dans celui du tourisme. L’avenir est à l’ouverture au monde et à la coopération régionale et je pense, qu’en la matière, les Antilles sont une chance pour la France.

Vous êtes aussi le patron de l’UMP. Qu’en est-il des rapports entre l’UMP et les partis de la droite martiniquaise et guadeloupéenne (notamment Objectif Guadeloupe) qui tiennent à leur spécificité et leur autonomie ?

Depuis sa création l’UMP est riche de la diversité des familles de pensée qui l’animent. La culture de la diversité et du débat c’est notre quotidien et j’ai voulu que cela soit encore plus fort depuis que je suis élu. Cette absence d’uniformité c’est la garantie de faire naître des talents.

Ces partis sont apparus essentiellement pour répondre à des échéances locales. Je pense qu’à l’heure où c’est un nouveau calendrier politique national qui nous occupe, de très nombreux Antillais voudront rejoindre une aventure qui vise à fonder un nouvel espoir pour tous les Français.

Dans cette perspective, j’ai bien l’intention de leur dire que j’ai besoin d’eux et qu’ils peuvent compter sur moi. Ils trouveront à l’UMP les moyens de se faire entendre et de peser sur les décisions. A l’UMP nous sommes unis et libres.

Pour l’avenir, et dans le respect de ces principes, la relation avec ces partis est possible et normale. L’UMP n’est pas un parti unique et aucun parti ne peut l’être.