Une politique d’immigration ferme et humaine


Dans un entretien au journal Le Monde du 25 octobre, Nicolas Sarkozy réaffirme sa volonté de conduire une politique d’immigration ferme et humaine, à la fois « pour lutter contre l’immigration clandestine » et dans le même temps pour « renforcer la chance de l’intégration pour les étrangers en situation légale ». Dans cet esprit, il ne considère « pas anormal » que ceux qui travaillent, paient des impôts et résident depuis au moins dix ans en France, « puissent voter aux élections municipales ».

Depuis votre retour au ministère de l’intérieur, vous semblez moins insister sur les statistiques de la délinquance…

On ne peut pas être ministre de l’intérieur en 2005 comme en 2002. A l’époque, il fallait remobiliser les policiers et les gendarmes après cinq années d’explosion de la délinquance. Après avoir fait baisser la délinquance globale de 7 % en trois ans, il faut à présent se concentrer sur les violences urbaines et familiales. Nous ne pouvons pas envoyer la même équipe pour traquer les délinquants chevronnés et intervenir auprès d’une femme battue. Au 1er décembre, je vais sélectionner trois départements dans lesquels des équipes dédiées aux violences familiales, avec juristes et psychologues, seront mises en place. Je veux mettre un terme à cette bizarrerie où la femme battue n’a d’autre solution que de fuir le domicile. Il faut pouvoir intervenir la nuit dans ces appartements.

Comment comptez-vous juguler les violences urbaines, également à la hausse ?

Certains caïds se comportent comme les propriétaires d’un territoire. Depuis le début de l’année, 9 000 voitures de police ont été caillassées. Chaque nuit, il y a entre 20 et 40 véhicules brûlés. Nous devons changer nos méthodes. Les Renseignements généraux se recentreront sur ce domaine et sur le terrorisme. Les policiers doivent travailler à partir des biens manifestement anormaux que possèdent les délinquants. Nous allons aussi installer dans les quartiers les plus difficiles 17 compagnies de CRS et 7 escadrons de gendarmerie, qui interviendront en petits groupes, spécialisés.

La vidéosurveillance, volet important du projet de loi antiterroriste présenté le 26 octobre, semble être devenue la panacée…

Elle est efficace, même si elle ne répond pas à tout. Dans le domaine du terrorisme, nous devons tirer les leçons des attentats de Londres. Il faut qu’il y ait de la vidéosurveillance dans le métro, les aéroports, les gares. Nous allons aussi autoriser les lieux de culte et les grands magasins à la développer sur leurs trottoirs. Les préfets auront la possibilité de l’imposer dans les lieux sensibles. Ensuite, nous ferons en sorte que la totalité des patrouilles de police travaillant la nuit soient équipées de caméras d’ici à début 2007, afin de mieux recueillir la preuve judiciaire. Il s’agit d’une révolution culturelle. Et je ne veux plus que la police et la gendarmerie puissent être accusées de bafouer la déontologie. La vidéo sera un élément de preuve en cas de polémique. La police aux frontières en est épargnée depuis que toutes ses interventions sont filmées. Je n’exclus pas qu’un jour les interrogatoires le soient également.

Quelle est la logique de votre politique d’immigration, au-delà des reconduites massives à la frontière ?

Je souhaite que la France accueille ceux dont nous avons besoin et que nous saurons intégrer en leur donnant un emploi et un logement. Elle ne peut être le seul pays du monde à ne pas choisir ceux qu’elle veut accueillir. Dans un mois sera signé le décret qui fera payer aux entreprises le coût du rapatriement des étrangers en situation illégale qu’elles ont employés en infraction avec la loi. Par ailleurs, je présenterai un projet de loi, début 2006, qui portera sur le renforcement de la lutte contre les détournements de procédure en matière d’asile, la mise en place d’une politique attractive pour les meilleurs étudiants étrangers et d’un système de visa à points pour les travailleurs, l’adaptation du droit spécifique à l’outre-mer, le contrôle des mariages mixtes et la rationalisation du regroupement familial, afin que les conditions de ressources et de logement deviennent un préalable.

Entendez-vous les protestations concernant les expulsions d’élèves en situation irrégulière ?

Oui, car on ne peut être ferme si l’on n’est pas juste. La solution consiste à ne pas reconduire les élèves à la frontière pendant l’année scolaire en cours. Mais ce n’est pas parce que des enfants sont scolarisés que les parents ont droit au séjour au-delà de la période scolaire. Notre politique d’immigration doit être à la fois ferme et humaine. Je souhaite qu’on expulse ceux qui n’ont pas de papiers, mais aussi qu’on renforce les droits des immigrés en situation légale. A titre personnel, je considère qu’il ne serait pas anormal qu’un étranger en situation régulière, qui travaille, paie des impôts et réside depuis au moins dix ans en France, puisse voter aux élections municipales. Il faut que le débat sur cette question soit réfléchi et serein. Je veux lutter contre l’immigration clandestine de toutes mes forces, car le laxisme fait des ravages. Je veux dans le même temps renforcer la chance de l’intégration pour les étrangers en situation légale. Le droit de vote aux municipales en fait partie. Il va de soi que le vote aux législatives ne peut être le fait que de citoyens français.

Pensez-vous être en minorité dans votre parti sur ce thème ?

Peut-être. Je ne demande pas à mon parti d’être d’accord avec moi sur tout. Et j’ai la liberté de ne pas être d’accord avec lui sur tout. J’ouvre un débat en faveur d’une mesure que je pense juste.

Voulez-vous revenir sur le droit du sol en outre-mer ?

La situation de l’immigration est bonne à la Réunion, mauvaise en Guadeloupe et en Martinique, détestable en Guyane. A Mayotte, elle est catastrophique. Je demande qu’on réfléchisse sans tabou à des adaptations, compte tenu des circonstances géographiques.

Que pensez-vous de la polémique sur la mémoire de la colonisation et de l’esclavage ?

Je ne suis pas tenté par la culpabilisation générale sur notre passé. Quand on se promène à Alger, on s’aperçoit qu’on ne peut réduire la présence de la France à la torture.

Comment allez-vous relancer le débat sur la discrimination positive, qui divise votre propre camp ?

La vraie égalité, ce n’est pas donner la même chose à tous, mais de donner en fonction des mérites et des handicaps de chacun. Ces actions de discrimination positive doivent d’ailleurs être limitées dans le temps et évaluées. Elles ne doivent pas être réservées à nos seuls compatriotes d’origine maghrébine ou africaine. On peut aussi faire de la discrimination positive à la française pour les départements qui souffrent. Il faut aider la Creuse plutôt que les Hauts-de-Seine. Je suis pour des internats d’excellence en site urbain, qui seraient réservés à des enfants de familles modestes, en général monoparentales, plutôt que de les laisser tenter par la loi de la rue. Je vais créer trois internats d’excellence de ce type en 2006 dans les Hauts-de-Seine. Ces internats occuperont une place centrale dans le plan national de prévention de la délinquance que je présenterai en décembre.

Où en est votre réflexion sur la responsabilité des magistrats ?

Il ne peut y avoir un corps non responsable de ce qu’il décide. En Belgique, la jurisprudence a permis de reconnaître cette responsabilité professionnelle des magistrats, en dehors de leur responsabilité pénale. N’y a-t-il pas toujours une responsabilité quand on arrive à un drame ? Elle existe pour le médecin qui laisse un pansement dans le ventre d’un patient ou pour le maire quand un panneau de basket tombe sur un enfant. Je note que, ces dix dernières années, l’Etat n’a engagé aucune action récursoire à l’égard d’un magistrat dont la faute a conduit à sa condamnation pécuniaire.

Avec la révision de la loi de 1905 sur la laïcité, vous avez trouvé un nouveau motif de querelle avec Dominique de Villepin…

En aucun cas. Je n’ai pas demandé qu’on change la loi de 1905, qui est une bonne et grande loi. J’ai une grande confiance dans ses équilibres, qui peuvent cependant supporter quelques aménagements. Ceux-ci peuvent du reste intervenir sur d’autres textes, comme le code général des collectivités territoriales. C’est pour cela que, reprenant une proposition de la Fédération protestante de France, j’ai proposé qu’un groupe de travail soit constitué, notamment pour réfléchir au plan fiscal à la compatibilité entre les lois de 1901 et de 1905. Je n’oublie pas les traumatismes du 21 avril 2002 et du référendum, auxquels nous n’avons pas complètement répondu.