Lutte contre le terrorisme : prévenir et anticiper !


Interview de Nicolas Sarkozy, ministre d’Etat, de l’Intérieur et de l’Aménagement du Territoire Président de l’UMP Le Parisien du 29 juillet 2005

Le gouvernement a annoncé un renforcement législatif dans la lutte contre le terrorisme pour la rentrée. Qu’en est-il exactement ?

Nous travaillons sur un projet de loi qui renforcera la lutte contre le terrorisme et que je déposerai avant la fin du mois d’août. La première modernisation réformera le dispositif législatif de 1995 portant sur la vidéo-surveillance. Les attentats de Londres ont démontré l’importance de ces systèmes dans l’enquête qui a suivi et qui ont permis l’identification des kamikazes. En France nous disposons déjà d’un certain nombre de caméras, mais le problème est que dans la plupart des cas les enregistrements ne sont pas conservés. Je ne peux pas encore vous dire combien de temps le projet proposera de stocker les images mais c’est en tout cas une priorité que nous nous sommes fixée et qui devra être effective avant la fin 2005. Par ailleurs, nous allons implanter de nouveaux systèmes de surveillance dans les gares et les aéroports parisiens et en 2006 l’ensemble de ce système devra être étendu à toutes les lignes RER et à un certain nombre de grands réseaux en province. Enfin, nous allons faire en sorte que certains dispositifs de surveillance privés, qui sont comme dans les grands magasins limités à l’intérieur des établissements, puissent être étendus aux abords immédiats sur la voie publique.

La téléphonie semble également être un axe de travail important…

Nous voulons effectivement que les opérateurs conservent leurs données pendant un minimum d’une année, peut-être plus. Ce qui nous intéresse dans ce cadre ce n’est pas d’écouter des conversations – c’est exclu, les conversations resteront confidentielles – mais de savoir qui appelle qui, quand et où. Lorsqu’un suspect est interpellé, les échanges téléphoniques qu’il a pu avoir dans les mois précédents peuvent s’avérer déterminants pour l’enquête et permettre de déjouer certains projets. Notre volonté est avant tout de nous inscrire dans la prévention, d’anticiper. Pour assurer la sécurité des Français il nous faut être en avance… surtout pas en retard.

Vous avez annoncé un renforcement de la surveillance aux frontières. Y-a-t-il des pistes de travail concrètes dans ce domaine ?

Oui. Je souhaite qu’une surveillance accrue soit mise en place sur les passagers de certains vols internationaux. Ce travail se fera essentiellement à partir de rapprochements de fichiers autour des personnes qui voyagent en direction de pays comme le Pakistan, la Syrie et l’Afghanistan qui peuvent être considérées comme des destinations sensibles et qui sont en tous cas des lieux de passage vers l’Irak. Nous savons à ce titre qu’au moins sept personnes venant de France sont mortes là-bas pour la cause d’Al-Qaïda, certaines dans des attentats-suicides, et qu’une dizaine d’autres se trouvent toujours sur place. Surtout, plusieurs enquêtes ont démontré que ces pays sont des zones dans lesquelles bon nombre de terroristes qui passent ou tentent de passer à l’action en Europe où ailleurs ont transité.

Vous avez récemment déclaré que les «éléments de radicalisation» présents en France seraient éloignés…

Dès cette semaine, un ressortissant algérien connu pour ses propos haineux envers notre pays et frère d’un homme incarcéré en France va être expulsé. Une dizaine d’autres, signalées pour promouvoir un discours islamiste radical, seront renvoyées vers leurs pays d’origine d’ici à la fin du mois d’août. Il faut agir contre ces prédicateurs radicaux, qui peuvent influencer des plus jeunes ou des esprits fragiles. Pour ceux qui sont de nationalité française, je veux par ailleurs relancer des procédures de déchéance de nationalité. Ce n’est pas une nouveauté en soi, c’est une disposition qui existe dans notre code pénal et qui n’est simplement pas utilisée.

Où en êtes-vous de la mise en place des visas biométriques ?

D’ici à la fin 2006, 35 consulats seront dotés de ce système qui inclut la prise d’empreintes digitales des demandeurs de visas. Cela permettra d’éviter la pratique répandue d’étrangers qui entrent en France avec un visa touristique de trois mois, perdent leurs papiers et « la mémoire » en même temps, et ne peuvent plus être renvoyés chez eux puisqu’on ne sait de quel pays ils viennent. Concernant la question des étrangers en situation irrégulière, nous allons également proposer que les entreprises qui emploient des travailleurs clandestins soient obligés de payer les frais d’expulsions qui représentent un coût considérable pour l’Etat.

Vous aviez déjà annoncé cette réforme lors de votre précédent passage au ministère de l’Intérieur…

A l’époque je n’étais pas en charge de la politique d’immigration dans sa globalité, aujourd’hui je le suis… et je peux donc le faire.

En dehors de la lutte contre le terrorisme, prévoyez-vous de nouveaux aménagements au sein de la police ?

Nous avons fini la série de tests sur le Taser, ce pistolet électrique qui permet de neutraliser des suspects en les paralysant quelques secondes par une décharge et qui a d’ailleurs été utilisé par la police londonienne pour arrêter un des présumés poseurs de bombes du 21 juillet. Plusieurs services vont être dotés de cette nouvelle arme. Dans le courant de l’été, nous allons aussi équiper une centaine de véhicules de police de caméras embarquées. Aujourd’hui, on polémique sur la prétendue augmentation des bavures, mais c’est aussi parce que nous avons fait en sorte que les citoyens puissent déposer plainte plus facilement. Avec ce dispositif, dont sera notamment doté la Brigade anticriminalité de nuit parisienne, qui est l’un des services les plus actifs en termes d’interventions, il n’y aura plus de place pour la polémique. Ce sera une protection pour les fonctionnaires qui pourraient être accusés à tort de violences.

Cela fait soixante jours que vous êtes revenu -de manière inattendue- au gouvernement. Avez-vous eu l’occasion de regretter ce choix?

Non. Pas une seconde. C’est une décision que j’ai prise seul, après mûre réflexion. Aujourd’hui, le contexte international dans lequel on se trouve la légitime encore davantage. J’aime ce ministère et les femmes et les hommes qui y travaillent. Il est d’ailleurs beaucoup plus élargi que lors de mon premier passage entre 2002 et 2004. A l’époque, je n’avais ni l’immigration, ni l’aménagement du territoire. Je n’ai donc aucun état d’âme.

Jusqu’à quand peut durer votre bonne entente avec Dominique de Villepin?

J’avais dit, le 11 juin, que je ne construirais rien sur son échec et qu’il ne construirait rien sur le mien. Le constat reste le même. C’est l’intérêt de tout le monde. Je suis président de l’UMP. Diviser la majorité, ce serait donc me diviser moi-même. Cela n’aurait pas beaucoup de sens. Dominique de Villepin, avec qui j’ai déjeuné mercredi, considère qu’il est utile que le président de l’UMP soit membre du gouvernement et je suis heureux d’apporter ma contribution à ce travail collectif. Il en ira ainsi jusqu’au terme de la période où s’ouvrira la présidentielle.

Peut-on mener une campagne présidentielle en restant au gouvernement?

Mon intention est de rester le plus longtemps possible au ministère de l’Intérieur pour remplir ma mission. Quand on sera dans la dernière phase de la campagne présidentielle, si je devais être candidat, les conditions seront forcément nouvelles.

Où en sont vos relations avec le chef de l’Etat?

Depuis mon retour au gouvernement, je vois le président de la République tous les lundis à neuf heures du matin. Ce n’était pas le cas avant. Nous parlons beaucoup ensemble. J’ai des convictions fortes. Mes différences (sur le rythme des réformes, l’aspiration de la France au changement…) ont toujours été claires. Je n’ai pas l’intention de les abdiquer. Mais je le fais dans le sens de l’intérêt général qui commande que nous aidions le président à réussir son quinquennat. Les sondages, les petites phrases créent une agitation contre-productive.

Faut-il passer à la VIème République?

Honnêtement, je ne pense pas que la bonne réponse à la crise actuelle de la politique soit institutionnelle. C’est vrai, il y a des changements à faire dans la pratique de notre démocratie (sur le mode des nominations, le nombre de mandats successifs…), de là à faire un grand débat sur la VIème République…Le fond du problème, c’est de dire les choses. Si on n’a rien à dire dans la Vème, on aura pas davantage à en dire dans la VIème. Je crois que la réponse à la crise de la politique, c’est de mener des débats politiques forts. Moi, je les mène. Ils ont lieu à l’UMP. Pourquoi François Hollande et le parti socialiste sont-ils dans une situation si difficile? Parce qu’il n’y a jamais une idée nouvelle qui sort de leurs réunions.

Le 26 mai dernier, sur France 3, vous déclariez que votre couple, avec Cécilia, «connaissait des difficultés». Avez-vous quelque chose de nouveau à annoncer aux Français?

Non. Je n’ai rien à dire de plus si ce n’est que comme tout le monde nous avons le droit à un minimum de respect de notre vie. Cela fait bien longtemps que je connais la cruauté d’une partie de la vie politique. Il m’est arrivé de penser que certaines bornes avaient été franchies ces dernières semaines. Le dire ne changera rien mais je voulais en porter témoignage.