Nicolas Sarkozy sur France 2



Interview de Nicolas Sarkozy, président de l’UMP
Question Ouverte – France 2 le 13 janvier 2004
Propos recueillis par Gilles Leclerc

Nicolas SARKOZY, bonsoir.

Bonsoir.

Vous avez présenté vos vœux ce matin. Si je retiens les quatre grands sujets que vous avez voulu traiter, la Turquie, l’immigration, l’élection présidentielle et même les impôts, je retiens qu’à chaque fois vous avez bien marqué une différence visible avec le chef de l’Etat et l’Elysée. Est-ce que c’est le signe d’une rentrée, je dirais, apaisée ? Vous allez sans doute me dire : “ C’est ma liberté ”.

Je ne sais pas, vous faites les questions et les réponses. Parce que vous avez parlé de quatre sujets, vous me permettrez d’en rajouter un autre.

Il y en a d’autres !

J’en rajoute juste un cinquième qui est pour moi essentiel, c’est l’Europe.

J’ai annoncé la Turquie, c’est l’Europe.

Non, justement, c’est l’Europe : je m’engagerai fortement dans la campagne, je ferai campagne pour le oui et j’expliquerai aux Français pourquoi le projet de constitution est un choix important pour nous. Vous voyez, il n’y avait pas que des sujets de désaccord.

Quand vous parlez justement de l’Europe, vous parlez aussi de la Turquie et vous allez même faire voter les militants de l’UMP au mois de mars. Est-ce qu’il n’y a pas là un risque de confusion alors que le président de la République disait encore le 31 décembre qu’il ne faut pas polluer le débat de la constitution avec un autre sujet, en l’occurrence la Turquie ?

Clarifions les choses, si vous le voulez bien. D’abord, est-ce que les adhérents de l’UMP voteront ? Oui.

Vous étiez obligé de les faire voter ?

Pardon, la démocratie en 2005 vous dites c’est une obligation et vous avez raison. J’ai été élu président de la première formation politique de France. En 2005, je ne sais pas comment on peut conduire une formation politique sans appliquer des règles de démocratie pour deux choses : pour le choix des femmes et des hommes qui seront candidats ou qui dirigeront et pour le choix des programmes. Ceux qui nous regardent doivent savoir que s’ils adhèrent à l’UMP, ça sert à quelque chose. Première réponse. Deuxième réponse : il va y avoir un référendum. Je m’engagerai de toutes mes forces pour que le oui gagne. Je demanderai à l’UMP de s’engager de toutes ses forces. Nous allons en débattre le 6 mars. Je me permets de vous poser une question : on va parler pendant une journée entière de la question du référendum, de la question de la constitution et de la question de l’Europe. Qu’est-ce que vous, à FRANCETELEVISIONS, vous diriez si on ne décidait pas de parler de l’élargissement et donc de la Turquie ?

Le président de la République a donc tort quand il dit qu’il ne faut pas mélanger les deux sujets ?

Mais je voudrais vous poser alors une autre question : est-ce que dans une République on a le droit d’avoir ses propres convictions et est-ce que c’est à ce point insupportable d’essayer de dire : “ La constitution européenne, la réponse est oui et l’élargissement sans fin de l’Europe, la réponse est non ”. Dans la constitution européenne, qu’est-ce qu’il est prévu ? Un système de partenariat privilégié pour des pays voisins de l’Europe. Je souhaite, c’est mon droit et d’autres le souhaitent, que cette perspective prévue dans la constitution européenne soit retenue pour la Turquie. Et bien loin de créer des amalgames, je voudrais dire qu’à chaque fois qu’en Europe on a refusé des débats, on a refusé d’évoquer des questions, les gens n’ont pas compris les enjeux et les amalgames et les peurs ont triomphé. Ce n’est pas du tout un risque de faire ce débat, bien au contraire. J’ai pris des engagements de démocratie, je suis un Européen convaincu, nous irons jusqu’au bout de cette démarche de démocratie.

Autre exemple. Vous avez dit également il y a un instant que vous alliez faire voter pour l’élection présidentielle ou pour le soutien à un candidat. Ce n’est pas tout à fait la tradition gaulliste. En général il y avait un ou plusieurs candidats et le parti, en l’occurrence l’UMP, soutenait ou non ce candidat. Ca veut dire qu’il y a une rupture, c’est un autre système, une autre méthode.

Ce n’est pas exact. J’ai dit que Paris, qui avait été l’exemple de la force du mouvement gaulliste, est aujourd’hui hélas devenue la caricature de sa faiblesse, qu’il n’y avait pas de règles du jeu, qu’il n’y avait pas de procédure de désignation des candidats et que pour le choix du candidat à la mairie de Paris, à l’UMP, je demanderai à l’ensemble des adhérents de l’UMP de Paris de voter. Moi je ne sais pas comment en démocratie et en République, on peut faire autrement.

Pour vous c’est la meilleure méthode quel que soit le scrutin, au fond.

Ce n’est pas la meilleure méthode : c’est la seule. Je voudrais appliquer au parti politique que je dirige les règles que je crois justes dans le pays où je vis et dans la démocratie. Permettez-moi de vous dire : y a-t-il une autre méthode ? La désignation, les petits clans, les petites combines je n’en veux pas. Sur la présidentielle, expliquons-nous. Il ne s’agit absolument pas de dire qu’on peut être candidat à la présidentielle simplement parce qu’on a l’investiture d’un parti. Je connais l’esprit de la Vème République, chacun est libre d’être candidat. On va poser la question, alors que fera l’UMP ? Je dis c’est très simple : le moment venu, chacun sera libre d’être candidat, qu’il ait ou non l’investiture du parti, mais la formation politique que je préside, comment elle va décider de choisir tel ou tel, ou de soutenir tel ou tel ? La meilleure façon c’est de tourner vers les adhérents et vers les élus et leur demander leur opinion. Quelle est l’autre solution ? Les sondages ? C’est ça l’esprit de la Vème République ?

Jean-Louis DEBRE dit ce soir que vous risquez tout de même de porter, je le cite, de porter la responsabilité d’une crise de régime en marquant tout de même ces différences avec cette tradition gaulliste qu’il connaît bien.

Vous savez, il y a un dicton populaire que j’aime beaucoup et que je crois très juste, qui dit que tout ce qui est excessif ne compte pas. C’est une provocation de plus, je n’ai pas l’intention d’y répondre.

Concernant l’immigration, sujet important pour vous, vous en parlez souvent, vous vous êtes prononcé encore une fois ce matin sur un système de quota. Est-ce qu’on peut détailler un petit peu ce que veut dire ? Par exemple, quels peuvent être les critères et qui peut décider d’une politique de quotas ?

D’abord j’ai voulu dire ce matin que l’immigration était un sujet dont on ne parlait pas dans le débat politique et pourtant c’est un sujet qui préoccupe nos compatriotes. J’ai voulu dire une deuxième chose : pourquoi l’immigration est-elle vécue comme une chance dans nombre de démocraties et pour nous, ça cristallise toutes les peurs. Nous n’avons pas de politique d’immigration, nous n’en débattons pas, nous ne posons pas les questions. Je souhaite une immigration choisie plutôt qu’une immigration subie et j’ai donc demandé deux choses. La première c’est qu’il y ait un ministère chef de file pour décider d’une politique d’immigration. Aujourd’hui il y a l’administration des affaires étrangères, de l’intérieur et des affaires sociales ; chacune fait très bien son travail mais avec des logiques et des cohérences différentes.

Là aussi vous voulez changer la logique complètement.

Oui, tout à fait.

Mais plus dans la tradition française, c’est un autre système là encore.

Permettez-moi de vous dire que si la tradition française pour vous c’est d’avoir chaque année tellement de sans papiers que, tous les dix ans, on doit régulariser en catastrophe, si ça c’est une tradition, elle doit changer.

Quand vous étiez vous-même ministre de l’intérieur…

Ecoutez, c’est très important ça, mais quand j’étais ministre de l’intérieur, je me suis heurté justement à l’impossibilité de conduire une politique de l’immigration cohérente puisque les pouvoirs et les compétences en la matière sont explosées entre plusieurs administrations. J’ajoute que c’est un sujet majeur de débat en Europe. Enfin, venons-en à la question des quotas. Il y a beaucoup de démocraties qui décident un certain nombre de quotas en fonction des besoins sur le marché du travail.

Un quota sur les nationalités, sur le nombre d’immigrés ?

On peut en débattre. Est-ce que les pays qui se sont dotés d’un système de quotas – les Allemands ont décidé par exemple de faire venir X milliers d’informaticiens indiens ; l’Allemagne est-elle devenue pour autant… n’est-elle plus une démocratie ? Aux Etats-Unis, les universités sont remplies d’étudiants hispaniques, d’étudiants indiens, d’étudiants asiatiques et, mieux, ils deviennent les meilleurs des étudiants et les meilleurs des américains. Et nous, on s’aperçoit que notre système d’intégration est en panne – j’ose le mot – que des Français qui sont nés en France, qui avaient des grands-parents étrangers, se sentent, c’est un comble, moins bien intégrés et plus victimes de discrimination que leurs grands-parents qui sont arrivés. Si cela ça ne mérite pas un débat, qu’est-ce que je veux faire en vérité ?

Est-ce que c’est le bon moment pour lancer tous ces débats sur des thèmes extrêmement sensibles ? Alors qu’il y a une élection bientôt.

Bien sûr, ça c’est jamais le moment. Si on écoute le petit milieu, ce n’est jamais le moment. Vous permettez ? Dans les années 80, il ne fallait pas parler d’immigration. Moyennant quoi on a supporté – je dis “ supporté ” au sens… – monsieur LE PEN. Ensuite monsieur JOSPIN : il ne fallait pas parler de sécurité, ça ne faisait pas bien, ça faisait pas bien pour qui ? Pour ceux qui ne connaissaient pas l’insécurité. Ensuite quand je suis venu à FRANCE2 faire le débat avec ce monsieur Tarik RAMADAN, il y a eu tout un tas de protestations en disant : “ Il ne fallait pas débattre ”. Il ne faut jamais parler de rien ! Après, ne vous étonnez pas que personne ne regarde vos émissions politiques et que personne ne vienne voter si on ne parle de rien. Ce n’est jamais le moment. Moi, je pense que c’est le moment de regarder les forces de notre pays qui sont immenses et les problèmes, et d’essayer d’y apporter des solutions. C’est même la responsabilité d’un responsable politique.

Toute dernière question concernant les impôts. Vous étiez il y a encore pas si longtemps ministre de l’économie et des finances à Bercy. Si Jacques CHIRAC vous avait fixé la même feuille de route qu’il vient de donner à votre successeur Hervé GAYMARD, je résume : trouver 12 à 13 milliards d’euros en faisant baisser les impôts directs en deux ans, est-ce que c’était possible ou pas ? Vous lui auriez dit : « Chiche » ?

Moi, vous savez, j’ai discuté de ça avec le président de la République et je lui ai dit – et j’en assume la pleine responsabilité devant les Français – qu’un pays qui a 1 000 milliards d’euros de dettes, dont le deuxième budget c’est le remboursement des intérêts de la dette, qui présente un budget en déficit depuis 23 ans, j’ai dit au président de la République lorsque j’étais ministre des finances qu’il fallait d’abord que nous remboursions nos dettes. Je persiste et je signe. Quant à la baisse des impôts, Jacques CHIRAC a raison. Je crois à l’intérêt de la baisse des impôts mais il faut dire la vérité aux Français : la baisse des impôts ne sera possible qui si on réduit les dépenses. Que ceux qui applaudissent la baisse des impôts soient prêts à soutenir la réduction des dépenses, et croyez-moi en agissant comme cela, on redonnera du sens, du crédit et de la considération à l’action politique.

Merci Nicolas SARKOZY.

Merci de m’avoir invité.