Interview de Nicolas Sarkozy


« Passer trois jours dans le Nord Pas-de-Calais, c’est le meilleur moyen de rencontre avec les Français »

Interview de Nicolas Sarkozy,
Président de l’UMP
La Voix du Nord
Jeudi 27 janvier 2005

Trois jours dans le Nord-Pas-de-Calais, une région historiquement ancrée à gauche. Faut-il voir dans cette longue visite une stratégie de reconquête ?

Les régions sont de gauche jusqu’au moment où l’histoire décide qu’elles ne le sont plus ! C’est surtout une région que j’apprécie beaucoup parce qu’elle est un condensé de la France. Elle en a tous les atouts et l’a démontré par sa capacité à réagir et à repartir. Elle a dû gérer la mine et sa fermeture, le textile et sa modernisation, la sidérurgie et sa restructuration. Mais en même temps que des atouts, il y a aussi des souffrances. Passer trois jours dans le Nord Pas-de-Calais, c’est le meilleur moyen de rencontre avec les Français.

Néanmoins, cette région persiste à gauche. Est-ce dû à l’incapacité des formations de la droite d’y faire émerger des personnalités de premier plan ?

Non. Il y a des personnalités de droite de premier plan dans cette région même si je pense que nous avons certainement des progrès à faire dans notre capacité à nous unir. La division a laissé des traces. Il faut y mettre un terme. Nous devons par ailleurs entreprendre un travail systématique de reconquête du terrain pour être mieux à l’écoute des gens du Nord et pour leur apporter des réponses concrètes et précises. Les gens du Nord ne s’accommodent pas de grands discours. S’ils ne nous ont pas assez fait confiance, il faut que nous en tirions toutes les conclusions et adaptions nos façons d’agir. En allant trois jours dans votre région, c’est une façon de dire qu’il y a trop de décalage entre ce que vivent les Français et ce que disent les responsables politiques. Il faut engager un véritable dialogue. Je veux que l’UMP soit présente au quotidien dans les usines, avec les salariés, les lycéens, la culture, les pêcheurs, les agriculteurs. Il faut enfin tourner la page d’une époque où « Paris » définissait les stratégies politiques à la place des responsables locaux. Si l’on ne fait pas confiance à ceux qui vivent dans le Nord pour déterminer la bonne stratégie, c’est qu’on n’a pas choisi les bons responsables et je ne pense pas que ce sont les membres d’une commission d’investiture nationale qui n’ont que rarement mis les pieds dans le Nord, qui peuvent décider mieux que ceux qui y vivent.

Vous avez souhaité organiser des primaires à Paris. L’UMP envisage-t-elle de mettre place cette pratique à Lille ? Qui pourrait se présenter ? Christian Decoq ne peut-il pas se considérer le candidat naturel ?

Christian Decoq est un homme de proximité et de qualité. Il fait partie de ces hommes et de ces femmes qui n’ont pas toujours été considérés par Paris à leur juste valeur. Il n’est pas le seul dans ce cas. Mais si finalement, il devait y avoir plusieurs candidats à Lille, je ne m’en inquiéterais pas, bien au contraire. Lille est une grande ville qui peut susciter des vocations. Nous ferions trancher cette saine émulation par le vote des adhérents. Je ne connais pas d’autre façon d’animer une grande formation politique que de le faire dans le souci du respect de la démocratie.

La fermeture de Sangatte n’a pas réglé le problème de l’immigration clandestine vers la Grande Bretagne ?

Je serai à Sangatte ce matin et ce ne sera pas la première fois. Depuis 2002, j’y suis venu quatre fois. Peut-être est-ce étrange que n’étant ni du Nord ni du Pas-de-Calais, je sois venu plus souvent que certaines personnalités de la région qui ont soigneusement évité de venir aider ceux qui y vivent. « Cachez ce sein que je ne saurais voir » était la théorie en vigueur quand je me suis saisi de ce dossier. Et je m’en suis saisi parce qu’il y avait la souffrance de ces malheureux dans le hangar et des gens de Sangatte et de sa région qui n’avaient pas à supporter ce que les autres ne voulaient pas supporter. D’ailleurs, si nous n’avons pas eu d’incidents trop graves c’est parce que les gens du Calaisis ont été remarquables de calme et d’ouverture. Quand j’ai fermé le hangar, on a dit que ce serait la catastrophe. C’était faux ! L’immigration clandestine a été divisée par dix. Bien sûr tout n’est pas résolu, en raison notamment de l’attractivité du marché du travail anglais. Cependant, nous avons supprimé cet abcès de fixation et soulagé les habitants de Sangatte et de la région. Qui pourrait me reprocher d’avoir agi ?

Vous préconisez une politique d’immigration fondée sur les quotas et les compétences professionnelles. Mais en quoi ces mesures sont-elles susceptibles de régler l’immigration clandestine ?

Je préconise une immigration choisie plutôt qu’une immigration subie. La France ne peut pas être le seul pays au monde qui ne puisse décider de qui peut entrer sur son territoire et qui doit le quitter. Il est naturel de faire venir des gens dont nous avons besoin plutôt que ceux à qui nous ne pouvons donner ni un travail ni un logement. Il faut un seul ministère et pas trois comme c’est le cas actuellement pour définir la politique d’immigration et qui soit suffisamment ferme pour ne pas subir la pression de ceux à qui nous n’avons qu’à proposer une exclusion officieuse qui a vocation à devenir une exclusion officielle par le biais des régularisations massives tous les dix ans. C’est hélas comme cela que l’on exacerbe les tensions. Je propose en outre qu’on supprime cette atteinte au bon sens qu’est le détournement des procédures d’asile politique. Un certain nombre de demandeurs d’asile viennent de pays qui sont devenus des démocraties et qui ont même vocation à entrer dans l’Union Européenne. Quand ce cas se présente, je propose une procédure simplifiée et accélérée pour qu’on mette un terme à ce détournement. En vérité, nous avons besoin d’un débat serein sur l’immigration, une politique ferme et une ouverture à ceux dont nous avons la certitude que nous pouvons les intégrer.

Le Nord Pas-de-Calais subit le phénomène des délocalisations. Votre volonté de relocaliser lorsque vous occupiez Bercy ne semble guère donner d’effets pour l’instant ?

Les délocalisations sont un vrai problème qui touche tous les secteurs. D’abord ceux à faible valeur ajoutée et maintenant ceux à haute valeur ajoutée. Pour apporter une première réponse, j’ai créé les pôles de compétitivité parce que je crois qu’en mettant les entreprises en réseau, en les aidant à se moderniser et à pratiquer l’innovation c’est la meilleure façon de lutter contre les délocalisations. Mais je pense aussi qu’en Europe, nous devons réfléchir à ce qu’est la concurrence et à ses conséquences. Je suis pour la concurrence à condition qu’elle soit loyale. Si elle est déloyale ce n’est pas l’Europe que nous voulons. Si les pays de l’Europe de l’Est qui sont entrés dans l’Union veulent baisser leurs impôts pour les réduire à néant c’est leur droit mais dans ce cas, ils ne devraient pas pouvoir prétendre bénéficier des subventions européennes. C’est la raison pour laquelle j’ai avancé cette idée que je continuerai à faire progresser qu’un pays européen qui aurait une fiscalité inférieure de 50 % à la moyenne européenne n’aurait droit qu’à 50 % des subventions. Enfin, toutes les délocalisations ne sont pas condamnables. Certaines peuvent être des actes de conquête de marchés et dans ce cas elles n’ont rien à voir avec les délocalisations fondées uniquement sur le dumping fiscal et social.

Vous aviez gelé la baisse des impôts en 2005. Votre successeur à Bercy demeure persuadé que l’engagement de baisser les impôts pris par Jacques Chirac en 2002 est possible. Cela vous paraît-il crédible ?

La France présente depuis 24 ans un budget en déficit. J’ai estimé de mon devoir de ministre des finances de consacrer les surplus des recettes de la croissance au remboursement de notre dette. Nous avons ainsi remboursé 10 milliards d’euros de dette en 2004. Jamais dans l’histoire budgétaire de la France il y avait eu un tel désendettement ! J’ai dit aux Français que pour préparer l’avenir nous n’avions pas d’autre choix. La France a mille milliards de dettes et ne peut pas se permettre d’arrêter sa politique de réduction des déficits. Nous payons plus aujourd’hui pour rembourser les intérêts de notre dette que pour assurer notre sécurité ! Alors s’il doit y avoir des baisses d’impôts, et je suis pour, il faudra diminuer les dépenses. Il faudra avoir le courage de dire que, compte tenu de la structure du budget de l’État, la baisse des impôts passe, par exemple, par le non remplacement de tous les fonctionnaires qui partent à la retraite. Si on ne dit pas cela, on ne respecte pas les Français.

La France peut-elle se permettre de ne pas remplacer tous les fonctionnaires qui partent à la retraite ?

Les effectifs de la fonction publique avec les salaires et pensions représentent 40 % du budget de la nation. Voici l’enjeu. Je propose un système gagnant-gagnant : une partie des gains de productivité obtenus par le non remplacement de tous les départs à la retraite doit être redonnée aux fonctionnaires sous forme d’augmentations de salaires. Les fonctionnaires seront moins nombreux mais mieux payés. Enfin, il faut reparler de la question des 35 heures dans la fonction publique. Son application a induit des conséquences plus lourdes encore que dans le secteur privé. Je pense notamment à l’hôpital. Une façon de répondre à la question du pouvoir d’achat des fonctionnaires comme des salariés du privé c’est de leur permettre de travailler plus pour gagner davantage.

Vous souhaitez organiser des primaires au sein de l’UMP. Comment Jacques Chirac pourrait-il se soumettre à une telle procédure s’il décidait de se représenter ? Et comment organiser une primaire au sein de l’UMP en ignorant la position de Jacques Chirac qui pourrait la faire connaître quelques semaines seulement avant l’échéance ?

Je n’ai pas inventé les primaires. Elles sont l’idée de Charles Pasqua et avaient à l’époque du RPR été approuvées par Alain Juppé et Jacques Chirac ! Le système est-il adapté à la situation d’aujourd’hui ? J’en doute, c’est d’ailleurs pour cela que je n’ai jamais parlé de primaires. Et de fait, un candidat à la Présidence de la République n’a pas nécessairement besoin d’un parti politique. C’est un homme face à son destin et face au peuple. Mais à un moment l’UMP devra bien soutenir un candidat et s’il devait y avoir plusieurs candidats dans notre famille politique, il faudrait bien choisir ! À moins de considérer comme normal que l’UMP n’ait pas de candidat à l’élection la plus importante. Comment dans ce cas faire ce choix ? J’ai proposé une nouvelle fois le choix de la démocratie et le vote des adhérents. J’ai été élu le 28 novembre dernier pour faire évoluer les méthodes et les comportements de ma famille politique. J’ai pris l’engagement d’associer à la prise de décisions tous ceux qui nous rejoindront. Je le tiendrai. Si nous-mêmes, à l’intérieur de notre famille, ne sommes pas exemplaires dans notre comportement démocratique, comment pourrions nous l’être pour la République Française dans son ensemble?

Vous aviez annoncé l’organisation d’un vote du conseil national de l’UMP sur l’entrée de la Turquie dans l’Union afin que votre « formation exprime des choix clairs ». Vous avez finalement renoncé. Est-ce sous la pression du chef de l’État ou de ses proches?

Premièrement, il y aura un vote. Deuxièmement, y aura-t-il un vote sur l’ensemble de ces sujets dont la Turquie ? Oui ! C’est clair. Qui peut imaginer que l’UMP entre dans la campagne pour le oui au referendum sans interroger et faire voter son conseil national qui est son Parlement, son instance la plus importante ? Ces questions doivent-elles être posées séparément ou dans un même texte ? J’ai pensé que la famille que je préside serait plus rassemblée si on posait ces questions dans un même texte. C’est une question de forme qui ne change rien sur le fond. Je suis totalement mobilisé pour la victoire du oui au referendum et en même temps opposé à l’adhésion de la Turquie.

Votre meeting à Lille demain soir donnera-t-il le coup de la campagne de l’UMP sur le referendum ?

Oui. Je veux en faire un moment important de l’UMP dans cette campagne. Il faut expliquer ce qui est en jeu et ce que nous a apporté au quotidien l’Europe.

La mobilisation sociale de la semaine dernière a été très significative et la grève à la SNCF très suivie sans pour autant provoquer de perturbations majeures de déplacement. Cette situation ne rend-t-elle pas inutile le vote d’une loi sur le service minimum ?

Si chacun a été raisonnable c’est justement parce qu’il existe la perspective d’une loi sur le service minimum. Personne ne veut ni ne doit remettre en cause le droit de grève mais lorsqu’il y a monopole, les jours de grève, les usagers sont pris en otage. Celui-ci interdit en effet une solution de substitution. Quelle doit être la contrepartie du monopole ? Le service minimum : quelques heures le matin pour que les gens puissent se rendre à leur travail, quelques heures le soir pour qu’ils puissent en revenir. Ceci est un engagement de notre majorité en 2002. Nous sommes en 2005. Le temps est venu de le mettre en œuvre sereinement. Il n’y a pas de droit sans la contrepartie des devoirs qui vont avec.

Le Medef élira à la fin de cette année un nouveau président. Votre frère, Guillaume, est un candidat potentiel. Au cas où il serait élu, ne pensez-vous pas que : Nicolas à l’UMP, Guillaume au MEDEF, cela pourrait faire beaucoup pour l’opinion publique ?

Mon frère est un chef d’entreprise de grande qualité et de surcroît c’est un homme qui s’intéresse aux problèmes économiques et sociaux depuis longtemps. Il est respecté de tous ses interlocuteurs syndicaux. Pensez-vous que je sois un homme si bas que je veuille conditionner la vie de mon frère à la mienne ?