Présentation du projet de loi de finances pour 2005


Intervention de M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’Économie, des finances et de l’industrie

Présentation du projet de loi de finances pour 2005 Assemblée nationale – séance publique – mardi 19 octobre 2004

Mesdames et Messieurs les Députés ,

J’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui le budget de la France pour 2005. A lui seul, un budget ne fait pas basculer le pays dans une situation définitivement bonne ou mauvaise. Mais il est essentiel à deux titres : il contient des choix qui engagent ; et il s’inscrit dans une politique économique.

Au-delà des contraintes qui pèsent sur son élaboration et qui sont bien réelles, au-delà du volontarisme qui le caractérise, et qui est bien réel lui aussi, je voudrais organiser mon propos autour de trois questions :

   * que voulons-nous pour notre économie, quel est notre objectif principal ? Il ne s’agit pas de vouloir faire mieux en tout, d’améliorer vaille que vaille, tous nos résultats, de l’emploi à la hausse des prix en passant par le commerce extérieur, et cela dans un ordre incertain .Il faut définir un but autour duquel notre action vient s’ordonner : ce but, c’est une croissance plus soutenue, plus durablement soutenue.    * dans quel contexte agissons nous pour atteindre cet objectif ? Les contraintes, ce sont évidemment celles de l’environnement international, plus spécifiquement celles de l’Europe, mais aussi les contraintes de notre économie, et de nos propres finances publiques.    * dernière question : comment le budget s’inscrit-il dans cet objectif, et dans ce contexte ? C’est à dire, pourquoi ce niveau de dépenses, pourquoi ces priorités budgétaires, pourquoi ces mesures fiscales ?

Quel est notre objectif principal ?

Dans mon esprit il n’y a pas de doute : c’est la croissance. Il ne s’agit pas de faire le moins mal possible. Il s’agit de nous réveiller collectivement : le retour d’une croissance soutenue, d’une croissance durable, est absolument nécessaire à notre économie. Un véritable sursaut national est indispensable.

C’est un diagnostic que j’ai posé peu après mon arrivée à Bercy où je me suis aperçu que la France faisait régulièrement, avec constance, moins bien que d’autres grands pays, et cela depuis le début des années 80. Plus grave, je me suis rendu compte que l’on ne remettait plus ce retard en question. On passe d’ailleurs plus de temps à se demander si on a fait 0,5, 0,6 ou 0,7 % , au trimestre dernier, que de temps à réfléchir à comment faire 3 % l’année suivante ! Cela traduit une véritable résignation. Il nous faut la refuser .

Clairement, nous avons un retard d’un point de croissance, et cela depuis vingt ans. Il ne s’agit pas de faire l’apologie des pays anglo-saxons. Il n’est pas question de courir derrière des performances à tout prix, qui doivent être analysées au regard de la conception que nous pouvons avoir de la société que nous voulons. Il faut simplement ouvrir les yeux sur ce qui se passe autour de nous.

J’avais demandé en mai dernier à Michel Camdessus de réfléchir précisément sur les obstacles à la croissance. Il m’a remis son rapport ce matin ; c’est un rapport d’une grande qualité, d’une grande hauteur de vues, qui dit des choses fortes, un rapport qui fera date dans l’histoire de notre réflexion et j’espère de notre politique économique. Ce rapport est centré sur le diagnostic d’une croissance trop faible, et pas seulement par rapport aux États-Unis. Il relève que sur les dix dernières années, la performance de croissance française en Europe n’est supérieure qu’à celle de l’Allemagne. Tous les autres pays ont connu une croissance par habitant plus importante, y compris des pays qui n’étaient pas en situation de rattrapage par rapport à la France : le Royaume Uni, la Belgique, les Pays Bas, la Suède, la Finlande.

Pourquoi 3 % de croissance en moyenne aux États-Unis, et seulement 2 % en France ? Il nous faut réaliser que ce point de croissance nous manque, que c’est celui qu’il nous faudrait pour réduire chaque année notre déficit public de 1/2 point – c’est-à-dire de huit milliards d’euros. C’est aussi ce point de croissance qui nous manque pour faire reculer le chômage de plusieurs points, alors que tous les gouvernements successifs se sont épuisés à le maintenir en deçà de 10 %. Cela mérite que l’on y réfléchisse …

Et le rapport Camdessus va plus loin encore. Il réfléchit à ce qui se passera dans dix ans si on ne réagit pas. Dix ans, c’est demain ! Compte tenu du vieillissement de notre population – un phénomène parfaitement prévisible, et depuis longtemps – notre rythme de croissance « de croisière »,aujourd’hui un peu supérieur à 2 %, tomberait en dessous de ces 2 % qui sont déjà insuffisants.

C’est ce qui va se produire si nous ne faisons rien ; il n’est donc que temps de réagir. Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas !

Je veux vous rendre attentifs à deux phénomènes qui me paraissent intangibles :

   * la France travaille moins que ses partenaires, c’est une réalité objective. Et je ne parle pas que des 35 heures ,mais aussi du travail des jeunes de moins de 25 ans et de celui des seniors de plus de 50 ans, dont le taux d’activité est très faible; au total , la France est avant dernière au sein de l’OCDE pour le nombre d’heures travaillées, par an, par les personnes en âge de travailler. Sans un niveau suffisant de travail il n’y a pas de richesse et de croissance. Il ne faut pas s’étonner que dans ces conditions notre taux de croissance soit faible.

Si cette vérité dérange c’est qu’on ne veut pas voir la réalité. Tout doit être mis en oeuvre pour encourager le travail. Ces dernières années, c’est l’inverse qui a été fait.

   * deuxième élément : notre endettement a atteint un niveau que je n’hésite pas à qualifier d’insupportable – 1000 milliards d’euros –, autre réalité objective, et cela alors même que nous faisons de moins en moins d’investissements pour l’avenir. Le budget de la dette – qui n’est consacré qu’ à rembourser des intérêts, je le rappelle, et non du capital, est de 40 milliards d’euros. C’est le deuxième budget civil de l’État.

La France est donc dans la situation d’un ménage qui, peinant à rembourser ses dettes, qui n’ayant pas pu installer ses enfants, choisirait délibérément de travailler moins : on peut sans risque lui prédire des difficultés …eh bien justement nous y sommes !

Je résume la stratégie que je vous propose : plus de croissance par davantage de travail au plan collectif. Davantage de travail par plus de réformes. Voici la seule façon de préparer l’avenir.

Il faut donc lever tous les obstacles existants en France qui freinent la création d’emplois et dissuadent du travail. Nous devons tenir compte des protestations syndicales. Nous devons y apporter des réponses qui lèvent les malentendus et apaisent les inquiétudes. Mais je le dis solennellement, cela ne doit pas nous conduire à l’immobilisme. Car après avoir protesté contre notre volonté d’aller trop vite, les mêmes nous reprocheront d’aller trop lentement. Quant aux Français, ils jugeront aux résultats et ce n’est pas en ne tentant rien qu’on modifiera cette douloureuse réalité qui voit depuis vingt ans notre pays faire moins bien que les autres en matière de chômage.

Je crois que ce rappel était essentiel avant d’examiner notre situation actuelle. Le budget de la France doit donc être mis au service de la croissance.

Quelles sont nos contraintes ?

D’abord, bien évidemment, celles de notre environnement économique. C’est un environnement meilleur qu’il y a un an, mais marqué de bien des incertitudes.

Le monde connaît en 2004 l’une plus fortes croissances des trente dernières années,avec un taux de progression de 4,5 %, une hausse de l’ordre de 4 % aux États-Unis, et des chiffres supérieurs en Asie – près de 10 % en Chine. Il faut cependant s’attendre à un léger ralentissement de la croissance mondiale en 2005, sous l’effet des déséquilibres de l’économie américaine et des tensions sur le prix du pétrole en particulier et des matières premières en général. Toutefois cette croissance devrait rester forte puisqu’elle se situera autour de 4 % en 2005 – dont 3 % aux États-Unis : c’est en tout cas ce que nous dit le FMI.

En Europe, la reprise se poursuit. La croissance moyenne de la zone euro s’est élevée à un rythme annuel de 2½ % au 1er semestre 2004, elle devrait se poursuivre au même rythme au second semestre. Mais les performances sont très disparates entre les pays. La France est en tête, puisqu’elle connaît une croissance supérieure de 25 % à la croissance moyenne de la zone euro. J’espère que chacun aura l’honnêteté de le reconnaître. Par ailleurs, alors qu’en France, en Espagne et en Belgique, la reprise s’appuie sur une demande interne dynamique, la situation de l’Allemagne, de l’Italie et des Pays-Bas reste fragile. Au total , avec un environnement international toujours porteur même s’il se ralentit, les experts ont retenu une prévision de croissance européenne de +2,2 % en moyenne en 2005.

En France, la reprise a d’abord été soutenue par la consommation des ménages, avec une progression de 2,8 % au deuxième trimestre 2004 par rapport au 2e trimestre de l’an dernier.

Et même si les derniers chiffres de la consommation de produits manufacturés suggèrent un tassement cet été, la progression de la consommation devrait rester entre 2 et 2,5 % en moyenne cette année – soit 1 point de plus que dans l’ensemble de la zone euro.

Cette demande des ménages soutenue, accompagnée du dégrèvement décidé en janvier dernier de la taxe professionnelle, a favorisé la reprise de l’investissement : après deux années de fort recul des dépenses d’équipement on observe un retournement. Dans l’enquête réalisée en juillet par l’Insee, les chefs d’entreprises anticipent pour l’ensemble de l’année 2004 une progression de 8 % des investissements en valeur dans l’industrie concurrentielle : ce chiffre est l’un des plus élevés depuis 1991.

Quant à nos exportations, après quatre trimestres de recul, de la mi-2002 à la mi-2003, la tendance s’est redressée. Elles ont progressé à nouveau, de +1,1 % au deuxième trimestre, et devraient continuer de le faire, si on en juge par la bonne orientation des carnets de commandes des industriels. Ces résultats sont toutefois encore fragiles, comme je l’ai déjà dit : on relève une forte baisse des exportations en août de -1,2 Md € (-4,2 % sur le mois). Cette baisse est certes conjoncturelle, elle est liée à un recul un peu particulier des exportations d’automobiles, à de faibles livraisons d’Airbus. Mais l’évolution de notre commerce extérieur doit nous inciter à la vigilance. Ici encore il ne faudra pas hésiter à remettre en cause des habitudes.

Nous devons nous féliciter de ce que la croissance retrouvée ne s’accompagne pas d’une réelle tension sur les prix. En septembre, l’augmentation annuelle était de 2,2 %, en dépit des prix du pétrole. La baisse des prix obtenue dans la grande distribution a sa part dans cette situation équilibrée.

Ce retour de la croissance en France n’est pas dû au seul contexte international, mais également à la politique économique mise en œuvre par le gouvernement et sa majorité. D’ailleurs si cela n’avait pas marché, on aurait dit que c’était de notre faute. Puisque cela a marché il n’est pas absurde d’en revendiquer une part de la paternité.

   * Nous avons d’abord fixé le cap de la réduction des déficits, de façon à encourager les Français à déstocker leur épargne, toujours élevée en période d’incertitude. Les Français sont structurellement peu endettés, au contraire de l’État. Il fallait les rassurer sur notre volonté de gérer avec raison les finances de la France, pour les encourager à consommer et à investir. À force de les avoir habitués à un État qui dépense un argent qu’il n’a pas, il ne faut pas s’étonner de voir les Français surstocker leur épargne.
   * Nous avons ensuite agi sur le pouvoir d’achat des ménages : c’est le sens de l’accord sur la baisse des prix des produits de la grande distribution qui représentera un gain de pouvoir d’achat de l’ordre de 0,3 point d’ici le début de 2005, alors que les prix alimentaires avaient augmenté de 3 % en moyenne par an entre 2000 et 2003. Là se trouvait une véritable injustice sociale jamais évoquée.
   * Nous avons incité les ménages à consommer, sans grever les comptes publics, par des mesures puissantes ciblées, limitées dans le temps, qui se sont avérées être des succès.

Ainsi des donations aux enfants et petits enfants, qui oriente de l’épargne vers une population plus encline à consommer ; plus de 130 000 donations en quatre mois ont déjà été effectuées. Cela représente 2,2 Md € d’argent en plus pour soutenir la croissance.

Ainsi du crédit à la consommation encouragé grâce à la déduction d’une partie des intérêts. Les premiers éléments disponibles nous rendent optimistes : les flux de crédits cumulés depuis le mois de juin ont progressé de 900 millions d’euros par rapport à 2003.

Ainsi enfin du déblocage des réserves de participation. Les chiffres font état de 1,1 milliard d’euros au mois de septembre, évolution spectaculaire, qui concerne au total 385 000 salariés.

Nous avons été rechercher toutes les marges de manœuvre disponibles pour doper la consommation sans dégrader nos déficits.

Au total, ces mesures pourraient atteindre l’équivalent de un demi point de PIB.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, nous avons retenu une prévision de croissance de 2,5 % pour 2005, soit encore davantage que la zone euro où la croissance serait de +2,2 %. Cette croissance permettrait de créer 190 000 emplois dans le secteur marchand, elle s’accompagnerait d’une inflation à 1,8 %, et d’un pouvoir d’achat des ménages dont la progression passerait de 1,5 en 2004 à 2,2 % en 2005.

Bien sûr, je suis conscient des tensions que fait peser la hausse des prix du pétrole.

Le cours du pétrole Brent était de 44 dollars le 22 septembre au moment de la présentation du PLF. Il a atteint aujourd’hui des niveaux supérieurs à 50 dollars.

Cela pose deux questions : que devons-nous faire collectivement ? Et faut-il revenir sur le diagnostic économique associé au PLF ?

Que faire face à un pétrole plus cher ?

Il y a le court terme. Face à une hausse brutale des prix, certains secteurs sont plus directement et immédiatement vulnérables, parce qu’ils ne peuvent compenser la dégradation de leurs comptes d’exploitation et qu’ils ne peuvent répercuter dans leurs prix cette hausse. Je pense notamment aux agriculteurs. C’est pourquoi nous avons pris des décisions, diversifiées, en faveur de certaines professions. Si nous ne l’avions pas fait, on nous l’aurait reproché à juste titre.

Mais au-delà des fluctuations du court terme, le risque existe, avec une offre de pétrole nécessairement limitée et une économie mondiale dynamique, notamment en Asie, que le pétrole soit durablement un produit cher. Nous devons nous préparer à cette éventualité.

Cela pose la question de notre modèle énergétique. La France est moins vulnérable que d’autres grâce au choix fait il y a trente ans de l’énergie nucléaire. La loi d’orientation sur les énergies que je vous ai présentée il y quelques mois le confirme. Il s’agit de décisions lourdes, comme celle du lancement de la nouvelle génération des réacteurs nucléaires dites EPR, qui permettra de conforter notre indépendance énergétique. Je ne comprends pas pourquoi ceux qui crient le plus fort au scandale de la hausse des prix du pétrole sont les mêmes qui ont refusé de voter en faveur du projet nucléaire EPR. Voici une incohérence de plus.

Il nous faudra aussi développer les énergies alternatives, celles dont nous maîtrisons la technologie comme les biocarburants et celles pour lesquelles des efforts de recherche importants sont nécessaires et doivent impérativement être menés. Dans un premier temps, toutefois, la principale marge de manœuvre réside dans les économies d’énergie. C’est la piste que nous devons explorer, au plus vite. Des discussions sont en cours avec le secteur pétrolier, les professionnels de l’automobile, les professionnels du bâtiment, en vue de conduire à des mesures concrètes.

Je tiendrai le 29 de ce mois une réunion sur ce sujet. L’objectif macro économique que nous devons poursuivre est de compenser par les économies d’énergie l’effet qu’a sur notre croissance l’augmentation des prix 10 % d’économies d’énergie compenseraient 10 % d’augmentation des prix. J’ai par ailleurs l’intention dès cette semaine de saisir mes collègues ministres des finances européens de propositions de mesures que nous devons adopter en commun pour éviter que la hausse du prix du pétrole casse la croissance. Notre réaction doit être unie en Europe. Des initiatives isolées n’auraient aucun effet.

J’ajoute qu’il faut être juste. Il faut avoir le courage de le dire : ce serait antiéconomique que de compenser la hausse de l’essence et du gasoil par une baisse généralisée de fiscalité. Cela reviendrait à creuser encore notre déficit, alors qu’au contraire l’une de nos priorités est de le réduire. Cela aurait pour effet de dissuader les consommateurs d’économiser l’énergie alors qu’elle devient plus rare… Cela aurait de surcroît pour résultat d’encourager les pays producteurs à augmenter leur prix.

Ceci dit, les Français ont l’impression que l’État s’enrichit grâce à l’augmentation du prix des carburants.

Je rappelle que la TIPP est perçue sur le volume de carburant, à taux fixe. La recette de TIPP n’augmente donc pas lorsque le prix de l’essence augmente. Au contraire, je peux d’ores et déjà faire la prévision qu’en fin d’année, les recettes de TIPP, compte tenu de la modération de la consommation, seront plus faibles que ce qui était prévu.

En revanche, la TVA qui est perçue sur les carburants, est assise sur les prix. Si le prix augmente, le produit fiscal augmente. Eh bien, le Gouvernement s’engage à restituer aux Français sur la fiscalité pétrolière toutes les recettes supplémentaires de TVA qui par rapport aux prévisions de la loi de finances pour 2004 seront dégagées sur les produits pétroliers cette année.

Faut-il par ailleurs, revenir sur le diagnostic de croissance associé à ce projet de loi de finances ?

Les arguments sont contradictoires. Ce n’est pas parce que le baril a atteint récemment 50 USD qu’il va rester à ce niveau définitivement. La hausse récente résulte aussi de facteurs exceptionnels et de mouvements spéculatifs. Au-delà de ces facteurs temporaires, un certain ralentissement des économies américaine et asiatiques est prévu. Cela fait que le pronostic de nombreux économistes est que nous pourrions voir les cours du pétrole refluer. Pour ma part, je serai plus prudent. Car une croissance mondiale ralentie est quand même une croissance, et c’est heureux .Et la croissance consomme des matières premières. Les économies d’énergie ne sont pas une politique que tous ont adoptée. Il existe donc un certain déséquilibre entre l’offre et la demande.

Ceci dit, l’activité économique dépend aussi des impulsions qu’on lui donne. Nous avons bien trouvé le moyen de soutenir la consommation en juin dernier. De même il serait possible de regagner les quelques dixièmes de point que les cours du pétrole peuvent nous coûter. C’est la raison pour laquelle je pense qu’il faut maintenir l’objectif de 2,5 % de croissance.

Deuxième élément de contexte : les contraintes de nos finances publiques

Je l’ai dit devant vous lors du débat d’orientation budgétaire : nous ne pouvons plus nous permettre de dégrader notre situation budgétaire. En décembre 2003, la France a pris des engagements qui relèvent du bon sens : celui de revenir à un déficit public inférieur à 3 % dès 2005, et celui de stabiliser les dépenses de l’État en volume, chaque année, de 2004 à 2007.

Ces engagements, nous devons les tenir, parce qu’il en va de notre crédibilité. Parce que c’est vital pour notre économie. Il faut que nous en soyons tous convaincus : la confiance ne peut pas s’installer sur des déséquilibres.Un budget qui consacre plus de crédits à la charge de la dette – 40 milliards d’euros – qu’à l’emploi est un budget qui a épuisé toute marge de manœuvre. Il faut arrêter cette spirale.

Une autre contrainte existe, tout aussi forte : nous ne devons pas augmenter nos prélèvements obligatoires : la France reste au plafond du taux de prélèvements obligatoires en Europe, avec 43,8 %. Un supplément d’impôt serait dissuasif et casserait la croissance que nous avons eu tant de mal à faire repartir.

J’irai encore plus loin : nous devrons alléger la pression des prélèvements obligatoires dès que le poids des déficits sera suffisamment réduit. Réduire les déficits, puis diminuer les impôts voilà comment nous retrouverons ce point de croissance qui nous manque depuis 25 ans.

   * III C’est dans ce contexte que j’ai eu à faire des choix politiques que j’assume dans la préparation du budget 2005.

Le premier choix politique c’est celui de la réduction de nos déficits pour rétablir la confiance : – 10 milliards d’euros de déficit en moins entre 2004 et 2005. J e précise que la soulte EDF ne compte pas pour un centime d’euro dans cette réduction. Notre déficit public revient à 2,9 %, sous la barre des 3 % : nous sommes au rendez-vous de nos engagements européens, sans avoir cassé la croissance, ni augmenté les impôts .

Ce résultat est obtenu sans augmentation des prélèvements obligatoires. Ceux ci sont stabilisés malgré la situation de nos comptes sociaux.

Les prélèvements qui vont à l’État diminuent de 5,9 Md €. Ceux qui vont à l’assurance maladie augmentent de 6,5 Md €. Au total, les mesures nouvelles du Gouvernement sont globalement stables. L’augmentation des prélèvements de 0,1 point de PIB qui apparaît est liée à la progressivité de l’impôt, assis sur deux années de croissance, 2004 et 2005. Est ce que je peux rappeler, à titre de comparaison, que les prélèvements obligatoires étaient passés de 44,8 % en 1998 à 45,5 % en 1999 ?

C’est donc en agissant sur la dépense publique que nous avons pu obtenir ces résultats. Le premier choix, c’est celui d’une augmentation 0 des dépenses, et donc d’une diminution du poids des dépenses publiques par rapport à la richesse nationale. Le projet de loi de finances prévoit le non remplacement de plus de 10 000 emplois. Compte tenu de 3 000 créations d’emplois dans les ministères prioritaires, les effectifs totaux diminuent en net de près de 7 200 emplois. Mis à part ceux qui ont été retenus comme prioritaires tous les ministères ont contribué à la réduction des effectifs. C’est l’effort le plus important réalisé depuis vingt ans.

Nous avons aussi recentré nos priorités : dans ce contexte tout ne peut pas être prioritaire. Les lois de programmation sont scrupuleusement respectées – défense, sécurité, justice – et un effort particulier est mis sur la recherche. Un milliard d’euros de moyens nouveaux y sont consacrés dans le cadre du plan national. 300 millions abonderont les ressources de crédit d’impôt recherche. 300 millions renforceront le budget du ministère au profit de nos grands organismes. 350 millions de crédits extra budgétaires provenant des recettes de privatisations constitueront la première dotation de l’Agence nationale de la recherche qui financera des projets sélectionnés sur des critères d’excellence et notamment dans la perspective d’améliorer la coopération entre les établissements. L’idée est de financer des projets et non pas des structures. Enfin , la loi de cohésion sociale se trouve dotée au niveau qui a été prévu.

Au total les 17 Md € de marge qui sont les nôtres pour 2005, nous les répartissons en faisant des choix clairs, que nous assumons pleinement, mais qui restent équilibrés :

10 Md € pour la réduction du déficit

5 Md € pour les priorités du gouvernement,

2 Md euros de mesures fiscales en faveur de la croissance et de l’emploi

Par ailleurs, il faut inscrire ce mouvement de réduction de nos déficits dans la durée. Seule cette dernière nous permettra d’obtenir des résultats. C’est pourquoi, le gouvernement inscrira chaque année en loi de finances les modalités d’affectation d’éventuels surplus de recettes, dues à la croissance. Étant donné l’ampleur de notre endettement, il est normal que le gouvernement ait à rendre compte de l’utilisation des plus values fiscales. En 2004, les 5 milliards d’euros de plus values sont ainsi affectés à la réduction du déficit, ce qui paraît logique lorsque l’on a 1000 milliards d’euros. Je rappelle simplement qu’en 1999, les surplus de recettes avaient atteint 7,5 milliards d’euros, et qu’ils avaient été intégralement affectés à des dépenses pérennes, aggravant donc la situation budgétaire pour la suite au lieu de l’améliorer. Au contraire, cette loi organique incitera au sérieux et à la constance, deux impératifs vitaux pour notre redressement .Dans le courant de notre discussion, je serai amené à vous proposer une règle de répartition pour 2005.

B) Deuxième choix politique : soutenir et encourager la croissance, l’emploi, la consommation

Pour retrouver la croissance, beaucoup considèrent qu’on a tout essayé. Ce n’est pas mon avis. Le projet de loi de finances comporte des pistes nouvelles. La difficulté, ce n’est pas tant l’étroitesse des marges que celle des idées.

On entretient depuis trop longtemps deux préjugés néfastes et paralysants :

1°) il n’y a rien à faire devant la fatalité

2°) la France est rétive à la réforme

Je ne crois à aucune de ces deux affirmations.

Notre projet de loi de finances réfute ces deux poncifs

1) il n’y a pas de fatalité

Ce principe est fondamental pour construire un budget. Il est facile de ne rien faire, surtout quand les marges de manœuvre sont faibles. L’idée que nous devons subir, que nous ne pouvons pas agir, arrange finalement beaucoup de monde. Les théoriciens dont c’est souvent le fonds de commerce, car il est facile de dénoncer les fléaux du monde moderne : mondialisation, délocalisations, déqualification … ; les experts, qui exercent leur technique à démontrer que rien n’est possible,ou si peu ! Et les responsables politiques, qui peuvent ainsi justifier de ne pas agir.

Je vois les choses d’une autre façon. Les responsables publics sont là précisément pour inverser le cours des choses lorsqu’ils le trouvent dommageable, ou au moins essayer de le faire. Devant les Français nous avons tout à la fois une obligation de moyens et de résultats.

Trois exemples de ce volontarisme nécessaire, dans ce budget :

- j’entends depuis plus de vingt ans des lamentations ,justifiées, sur l’insuffisance du nombre d’apprentis dans notre pays ; c’est vrai ; et en même temps, on se refuse à rien changer, Pourquoi ? Parce que le financement de l’apprentissage est très compliqué, trop pour pouvoir le réformer, car alors c’est prendre le risque de modifier des habitudes et de remettre en cause des conforts. Cela ne nous a pas empêché de proposer une réforme de l’apprentissage. Il y aura un crédit d’impôt pour les entreprises qui recrutent des apprentis ; et à l’inverse, on paiera plus qu’avant si on n’embauche pas d’apprentis, et moins si on en embauche. Ce principe est simple, et vertueux. La simplicité de cette réforme est inédite et plaide pour elle. Nous passerons ainsi de 350 000 à 500 000 apprentis chaque année.

- deuxième phénomène connu, sans cesse déploré ; nos PME n’exportent pas assez. C’est vrai et c’est vrai aussi qu’elles sont insuffisamment présentes sur les marchés les plus porteurs. Le projet de loi de finances comporte une première mesure, qui est l’institution d’un crédit d’impôt pour les dépenses de prospection commerciale, ouvert aux PME en dehors de l’espace économique européen. Or, l’enjeu du commerce extérieur est justement américain, sud-américain, asiatique : il est donc grand temps d’aider les PME à s’y lancer, c’est ce que nous proposons avec un crédit d’impôt égal à 50 % des dépenses de prospection des marchés situés en dehors de l’espace économique européen, dans la limite de 15 000 euros. C’est une mesure ambitieuse destinée à créer une véritable culture de l’export pour les PME.

- Troisième exemple. Nous avons débattu la semaine passée des délocalisations, je ne reviendrai pas sur le détail de ce sujet. Mais là aussi, on nous explique, ou bien que c’est très grave, mais qu’on ne peut rien faire ; ou bien que ce n’est pas si grave, et donc qu’il ne faut rien faire. Je pense pour ma part que c’est grave, et que c’est pour cela qu’il faut faire. Ouvrons les yeux, là encore : même un grand pays industriel comme les États-Unis redoute les délocalisations et réagit au phénomène. Le Congrès américain vient d’adopter des dispositions encourageant les entreprises à produire sur le territoire américain, grâce à une déduction du revenu imposable attribuable à des activités productives aux États-Unis. Pourquoi perdre encore du temps à gloser sur le problème ? Nous considérons qu’il y a urgence à agir. C’est pour cela que nous créons dans le budget les pôles de compétitivité, des lieux de synergie entre industrie et recherche, qui permettront de faire le saut qualitatif qui nous manque en matière de recherche et d’innovation ; c’est cette synergie qui permettra de maintenir, de créer, d’attirer des emplois en France, et donc de renverser le courant des délocalisations.

Nous créons aussi une mesure fiscale spécifique pour prévenir les délocalisations, et même une incitation fiscale à relocaliser. Nous évaluerons bien sûr ces mesures, mais je pense qu’il faut tout essayer, car nous pouvons et nous devons influencer des décisions d’entreprises qui se prennent souvent à la marge. L’impact des mesures que nous proposons du reste est important puisqu’elles représentent une réduction de 6 % du coût du travail pour dissuader de délocaliser, soit l’équivalent de près d’un mois de salaire par employé rémunéré au SMIC. J’ajoute que dans le cas des entreprises qui relocaliseraient dans un territoire éligible à la PAT, cet avantage sera sensiblement plus élevé. Il pourra représenter jusqu’à 20 % des charges de personnel ou du montant des investissements. Ce n’est pas rien .Quant à ceux qui critiqueraient leur modestie, je reste attentif aux raisons qui les ont conduits à ne rien faire lorsqu’ils étaient au pouvoir.

La France n’est pas rétive à la réforme, pour peu que celle-ci soit juste.

Une partie des débats budgétaires est rituellement consacrée à critiquer les baisses d’impôts, au nom des Français qui n’en paient pas ! Une autre partie étant consacrée à comparer les mesures en faveur des ménages à celles prises en faveur des entreprises.

Cette vision est totalement dépassée. Il n’y a pas de bons et de mauvais Français. Il y a simplement des Français qui travaillent, très loin d’être privilégiés pour la plupart, et qui financent la redistribution vers ceux qui ne peuvent pas travailler. Il nous faut faire de la France du travail une priorité. Il faut donc encourager le travail, et non pas lui faire la guerre !

C’est ce que nous faisons, avec des mesures de revalorisation salariale sans précédent :

- Ainsi, les allègements de charges financés intégralement par l’État et qui permettront au 1er juillet 2005 de revaloriser le Smic de 5,5 %, après l’augmentation de 5,8 % en 2004. Les bas salaires sont une priorité pour nous. Nous faisons de la question du pouvoir d’achat un axe central de notre politique économique. C’est cela la justice !

- Ainsi des crédits réduisant les charges de l’hôtellerie et de la restauration qui sont la contrepartie de la suppression du Smic hôtelier, qui je le rappelle se traduit par une hausse de 11 % du Smic dans les professions du secteur d’activité. Voici une autre injustice qui se trouve réparée par notre gouvernement. Il n’était que temps. Cela va permettre de rendre attractive une profession qui représente un formidable gisement d’emplois. C’est cela la justice.

- Ainsi de l’aide aux emplois familiaux

La revalorisation du plafond de la réduction d’impôt pour emplois à domicile, c’est avant tout une mesure pour l’emploi ! Si nous voulons être cohérents, honnêtes intellectuellement, pensons à l’effet de la mesure sur les créations d’emplois et ceux qui en bénéficieront, avant toute chose ; cette mesure, d’ailleurs créée par la gauche, a permis de créer des dizaines de milliers d’emplois, elle doit pouvoir s’amplifier. Et pourquoi traiter différemment les employeurs selon qu’ils sont des entreprises ou des ménages. Ce serait le comble de l’injustice !

- Ainsi, enfin, avec l’allègement des charges sur les entreprises : suppression sur deux ans de la surtaxe à l’impôt sur les sociétés, et prolongation de six mois de l’exonération de taxe professionnelle pour les nouveaux investissements. Ce sont nos emplois qui sont en jeu. Nous resterons hélas encore au dessus de la moyenne européenne de l’IS, qui est de 30 %.Et surtout, nous devons réaliser que les nouveaux États membres pratiquent un IS à 15, 10, ou 0 %, et que notre effort reste encore insuffisant ! Il devra être poursuivi dans les années à venir.

Enfin, le budget associe tous les Français à la croissance. La croissance ne sera durable que si elle est partagée que si elle est juste.

- voici pourquoi nous avons renforcé l’aide de l’État vers les ménages non imposables : le barême de la prime pour l’emploi est revalorisé de 4,4 %, et la prime concernera 8,2 millions de foyers.

- j’ai voulu mettre un terme à une injustice : celle qui touchait les couples homosexuels. Les modalités d’imposition des personnes liées par un pacte civil de solidarité seront alignées sur celles applicables aux contribuables mariés. Ainsi, les personnes souscrivant un Pacs seront soumises, dès sa conclusion, à une imposition commune. Ces dispositions s’appliqueront à compter de l’imposition des revenus perçus au cours de l’année 2004. De même s’appliquera l’abattement de 20 % sur la résidence principale en cas de succession. Et le régime fiscal des SARL de familles sera étendu aux personnes liées par un PACS. Ces mesures répondent à un impératif de non discrimination de la part des personnes intéressées.

- ainsi en va-t-il de l’ effort accentué pour l’accès au logement :

D’abord s’agissant du logement social et de la rénovation urbaine. 90 000 nouveaux logements sociaux devraient voir le jour en 2005, un niveau de construction qu’on n’avait pas vu depuis les années 80. Parallèlement, des moyens importants sont mis en œuvre en faveur de la production de logements à loyers maîtrisés, et à la remise sur le marché de logements vacants. La production de logements à loyers maîtrisés, financés par l’ANAH, devrait ainsi passer de 20 000 à 40 000 unités par an. Ici encore, que les critiques d’aujourd’hui se remémorent l’inanité de leur action sur tous ces sujets lorsqu’ils étaient en responsabilité.

Le projet de loi de finances prévoit aussi le relais du prêt à taux zéro par un dispositif de crédit d’impôt pour la première accession à la propriété. Ce crédit d’impôt sera calculé sur le revenu de l’accédant à la propriété pour 5 années et versé à l’établissement prêteur afin de permettre la constitution de l’apport personnel et le calcul immédiat de la bonification d’intérêt. Pour le bénéficiaire la démarche auprès de la banque ne sera donc pas modifiée. Le dispositif nouveau comportera cependant par rapport à l’actuel trois avancées :il vise un doublement du nombre de bénéficiaires, 200 000 au lieu de 100 000 ; il permettra l’acquisition de logements anciens et pas seulement des logements neufs ; il restera prioritairement concentré sur les ménages les plus modestes, mais en permettant aux ménages intermédiaires de prétendre à une aide dont ils étaient jusque là exclus.

- Enfin, et j’y vois un symbole très fort de notre volonté de récompenser le travail, avec la mesure qui permettra de transmettre aux Français le fruit de leur travail à leurs enfants. C’est un choix économique. C’est aussi un choix politique, un choix de société. Un projet de transmission est ce qu’il y a de plus légitime dans une vie. Il ne faut plus le dissuader. Le projet de loi de finances comporte un abattement de 100 000 euros sur la valeur du bien transmis. Ce n’est pas une mesure pour les riches, c’est une mesure pour les Français qui ont travaillé dur. Les exemples chiffrés montrent que l’avantage fiscal, à situation familiale identique, sera proportionnellement plus important pour les petits patrimoines que pour les patrimoines les moins modestes.

La justice sociale, ce n’est pas le nivellement. Ce n’est pas l’assistance. Ce n’est pas l’assistanat. C’est la récompense de l’effort, du mérite, et du travail.

Voilà, Mesdames et Messieurs les députés ,la présentation du projet de loi de finances pour 2005. Je n’ai pas abordé tous les sujets de ce budget, mais j’ai voulu vous en montrer la cohérence. C’est la croissance qui permettra de redonner de l’espoir. Nous voulons être au service d’une France qui travaille, qui doit être la plus nombreuse possible. Nous voulons être les garants du fruit de ce travail, qui seul permettra à notre pays de garder son rang, et à tous les Français de vivre mieux. Le budget qui vous est proposé engage dans cette voie et prépare l’avenir de notre nation .