Débat sur les délocalisations et l’attractivité de la France


Intervention de M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’Économie, des finances et de l’industrie

Débat sur les délocalisations et l’attractivité de la France – Assemblée nationale – mardi 12 octobre 2004

Mesdames et Messieurs les Députés,

Vous avez pris l’initiative de ce débat sur les délocalisations, et vous avez eu raison. Il s’agit effectivement là d’un sujet essentiel qui interpelle notre société et ses représentants.

C’est aujourd’hui devenu l’une des premières préoccupations des Français. Vous les côtoyez chaque semaine dans vos circonscriptions respectives ; je vais à leur rencontre lors de mes déplacements sur le terrain : nous en retirons la même impression. Nous savons bien que les délocalisations et l’angoisse qu’elles suscitent, ce n’est pas une vue de l’esprit ou un épiphénomène. J’observe d’ailleurs que ce n’est pas une spécificité nationale. C’est aussi un sujet majeur qui occupe le devant du débat politique dans d’autres pays d’Europe et aux Etats-Unis. Les délocalisations ne sont pas l’avatar d’une névrose franco-française comme certains aimeraient le faire croire. Elles sont indéniablement une source croissante d’interrogations pour les pays avancés.

L’inquiétude diffuse qui se fait jour autour des délocalisations, c’est aussi en fait le signe d’une double interrogation plus fondamentale. Interrogation sur les transformations profondes de l’économie mondiale –ce qu’on appelle la mondialisation ou la globalisation. Interrogation sur la capacité de notre pays à en tirer tous les dividendes escomptés.

Ce questionnement rejoint les craintes régulièrement exprimées d’une désindustrialisation massive, d’une compétitivité déclinante et d’une attractivité défaillante de notre territoire. C’est la manifestation d’une société qui doute d’elle-même, qui se demande si demain, face aux changements considérables qui sont en train de bouleverser le monde, elle pourra conserver son rang et son niveau de civilisation. Derrière la peur des délocalisations, pointe finalement la question de la maîtrise de notre destin et de l’avenir que nous serons en mesure de préparer pour nos enfants. Sera-t-il subi ou sera-t-il choisi ? Sera-t-il meilleur ou sera-t-il moins enviable ? Avons-nous encore les ressources et la volonté de peser sur lui ?

Mesdames et Messieurs les Députés, ce sont des interrogations essentielles, capitales, que soulève au fond le débat sur les délocalisations. C’est pourquoi je me réjouis, qu’à la suite des travaux des sénateurs Arthuis et Grignon d’une part, des députés Roustan et Blanc d’autre part, l’Assemblée nationale se saisisse de ce sujet et en débatte.

Si vous le voulez bien, je souhaiterais, après avoir exposé ce qui me semble être la bonne façon d’aborder ce débat, vous livrer ma vision de l’action qui doit être la nôtre pour relever le défi majeur des délocalisations et, à travers elles, de la mondialisation.

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Que pouvons-nous dire aujourd’hui des délocalisations et de leur impact? Quelle analyse dynamique pouvons-nous faire de leur évolution et du degré d’exposition de notre économie dans les années à venir ?

Au sens strict, les délocalisations constituent des transferts purs et simples d’activités à l’étranger, en substitution d’une production nationale de biens ou de services. On change de lieu de production sans changer de clients. De ce point de vue, les délocalisations ne peuvent être confondues ni avec les restructurations industrielles, ni avec les investissements directs internationaux, ni avec ce qu’on appelle la désindustrialisation. Toutes les fermetures de site, de même que tous les investissements de nos entreprises à l’étranger, ne sont pas des délocalisations. Quant à la baisse relative de l’emploi industriel, c’est aussi la résultante de l’amélioration de la productivité et de la tertiarisation d’activités directement liées à l’industrie.

Pourquoi une entreprise décide-t-elle de délocaliser? La première explication est bien sûr la recherche de coûts de production moins élevés que dans le pays d’origine. Ces coûts de production n’intègrent pas que les coûts salariaux, salaires et charges sociales. Beaucoup d’autres facteurs entrent en ligne de compte : la qualité de la main d’œuvre, l’accès aux financements, le poids de la fiscalité et des contraintes réglementaires. Une autre explication importante réside dans le rapprochement avec le lieu de consommation finale des biens ou des services produits. Ces deux explications peuvent bien sûr se combiner.

Parce que cela me semble être un facteur préoccupant d’aggravation des délocalisations, je mentionnerai encore les politiques d’achats et de réorganisation de la production pratiquées par les grands donneurs d’ordre. Elles imposent de plus en plus souvent aux sous-traitants de se projeter dans les pays émergents.

Les délocalisations sont un phénomène d’autant moins simple, que leur impact précis n’est pas aisé à mesurer.

Les indicateurs usuels ne rendent que très imparfaitement compte des délocalisations. On utilise toujours les mêmes indicateurs, pour conclure qu’ils sont à côté du sujet : les investissements directs à l’étranger, la balance commerciale, l’évolution de la production et de l’emploi industriels. Pour quantifier le phénomène, nous n’avons en fait que peu d’éléments. Une étude de la DREE, régulièrement invoquée, conclut que les délocalisations ne représenteraient pas plus de 4% des flux d’investissements directs sur la période 1997-2001. Les missions économiques en Europe centrale et orientale recensaient par ailleurs en 2002 environ 400 opérations assimilables à des délocalisations, soit 10 % des investissements directs vers les pays de la zone. Ce n’est certes pas massif, mais cela ne me semble pas négligeable pour autant.

Selon certains experts, on surestimerait le phénomène. Pour d’autres au contraire on le sous-estimerait. Selon certaines études, nous serions moins touchés que d’autres pays développés comme les Etats-Unis, l’Allemagne ou le Japon, cependant que d’autres nous jugent plus vulnérables.

On n’est finalement sûr de rien s’agissant de l’acuité exacte du phénomène. J’observe en tout cas, et je ne suis pas le seul visiblement, un décalage entre la mesure qui peut être faite des délocalisations et leurs conséquences dévastatrices au niveau territorial.

Car ce qui est hélas bien certain, ce sont les ravages des délocalisations dans nos bassins d’emploi. Pour les territoires qui en sont les victimes, pour les salariés et leurs familles qui en souffrent, c’est à chaque fois un vrai traumatisme, une terrible épreuve. Pour eux, les délocalisations, ce n’est pas un fantasme. C’est tout simplement le bouleversement de leur exixtence. Les salariés de Facom dans le Val-de-Marne ou de Fralsen à Besançon seraient mieux placés que moi pour vous parler du démantèlement de leur usine, pour vous dire les drames personnels et familiaux que représentent les décisions de délocalisation. Et je n’oublie pas ceux qui doivent vivre avec une épée de Damoclès sur la tête parce que des projets existent concernant leur entreprise ou leur ville. Ou pire, parce qu’ils sont soumis à un chantage inadmissible au salaire ou aux conditions de travail de la part de certains employeurs.

Ce qui m’apparaît certain également, c’est qu’il y a des salariés, des secteurs et des territoires beaucoup plus vulnérables que d’autres.

Lorsque vous êtes un employé peu qualifié d’une PMI sous-traitante dans un bassin industriel vieillissant, vous êtes naturellement plus exposé qu’un cadre supérieur d’une grande compagnie d’assurance ou qu’un ingénieur participant à un programme de recherche industrielle dans les nanotechnologies. J’observe que vous êtes aussi plus menacé qu’un agent de l’administration. Ce sont en premier lieu les populations et les territoires les plus fragiles qui pâtissent le plus des délocalisations.

Ce qui me semble certain surtout, c’est que les délocalisations procèdent d’une tendance lourde qui pourrait s’amplifier dans les années à venir.

Les mutations accélérées qui sont en train de transformer en profondeur l’économie mondiale constituent de véritables ruptures historiques dont les effets se conjuguent.

Première rupture : des pans entiers de l’humanité, jusque là exclus du développement économique et du progrès technologique, sont en voie de réussir leur insertion dans l’échange international. L’essor de l’Inde, de la Chine, du Brésil est proprement spectaculaire. Et c’est heureux car nous ne pouvons que nous réjouir de voir des pays entiers sortir de la misère. Plus près de nous, l’élargissement de l’Union européenne permet à plusieurs dizaines de millions de personnes de rejoindre le grand marché unifié par la construction européenne. Ces économies émergentes ou en transition représentent autant d’espaces de consommation aux perspectives prometteuses, autant de sites attractifs pour les investisseurs.

Deuxième rupture : les innovations technologiques ont modifié radicalement le rapport à l’espace et au temps, révolutionnant les modes d’organisation de la production. Aujourd’hui, dans certains métiers, des travailleurs dont les coûts salariaux peuvent varier de 1 à 40 sont mis en compétition en temps réel d’un bout à l’autre de la planète.

Troisième rupture, qui est la combinaison des deux précédentes : l’éventail des secteurs et des gammes d’activité concernés par les délocalisations s’élargit sans cesse. Si l’industrie s’est longtemps située en première ligne, les services ne sont plus à l’abri comme en témoignent les exemples de délocalisations dans les services financiers, la comptabilité ou l’informatique. Les grands pays émergents montent en gamme. Désormais, ils nous concurrencent aussi dans les secteurs de pointe et les activités de recherche-développement.

En résumé, nous sommes face à un formidable défi pour la capacité d’adaptation de notre économie. D’autant que la vitesse avec laquelle ces évolutions s’opèrent s’est sensiblement accélérée. Il nous faut changer de braquet et de rythme pour préparer notre pays à relever ce défi.

A ceux qui penseraient que les politiques passées ont permis à la France d’être bien équipée pour le grand large, je me permettrais de rappeler rapidement quelques faits marquants.

Depuis le début des années 80, la croissance moyenne de notre pays est en retrait d’un point par rapport à la croissance mondiale, notamment américaine. Je ne m’attarderai pas sur les implications de ce constat, non plus que sur nos performances dans la lutte contre le chômage. Ce que je vois, c’est que moins on travaille, plus il y a de chômeurs et moins on crée de richesses. C’est une évidence économique. Il faut la réaffirmer avec force.

Est-il également encore besoin d’évoquer le poids et la rigidité des dépenses publiques, avec leur corollaire, le poids et la rigidité des prélèvements obligatoires ? Est-il nécessaire de revenir sur l’excès d’administration, sur l’inflation des normes et leur instabilité ?

Est-il indispensable de s’appesantir sur l’insuffisance des moyens consacrés à l’enseignement supérieur et à la recherche, en particulier la recherche industrielle ? Est-il enfin besoin de souligner le manque de visibilité internationale de nos universités et de nos grandes écoles ?

Ma conviction, c’est que le problème et sa solution se trouvent d’abord chez nous. Si nous en avons vraiment la volonté, l’ambition et aussi le courage, nous pouvons tirer le plus grand parti de cette mondialisation dont nous bénéficions déjà très largement. Nos atouts sont nombreux. Le potentiel de recherche de notre pays, la qualité des infrastructures et des services publics, le niveau général élevé d’éducation de la population et l’existence d’une base industrielle substantielle sont des points d’appui solides. Ils doivent nous aider à reprendre confiance en nous et à prendre un nouvel élan.

Mais il nous faut réagir sans tarder et accepter de nous remettre en question. Avec lucidité, pragmatisme, et esprit de responsabilité.

Pour conduire les réformes dont notre pays a tant besoin, il y a trois visions que pour ma part je récuse car elles sont aussi irresponsables qu’inopérantes.

La première option, dont le rejet s’impose de lui-même, est l’alignement par le bas de nos conditions salariales et sociales sur celles des pays émergents.

La deuxième option est celle, irréaliste et dangereuse, que je qualifierais de « syndrome de la ligne Maginot ». Les partisans de la fermeture des frontières et du protectionnisme à tout crin oublient les bénéfices que la planète en général, et la France en particulier retirent de la mondialisation. Des proportions importantes de la population mondiale ont désormais accès au développement. Les conditions de vie de centaines de millions d’hommes, de femmes et d’enfants s’améliorent. C’est une bonne nouvelle pour la paix et la sécurité collective. Cela représente aussi de vastes perspectives en termes de débouchés pour nos entreprises.

La troisième option que je récuse est celle du « laissez-faire » et de l’immobilisme. Fondée sur une vision exclusivement théorique de la mondialisation, elle oublie les souffrances causées à ceux qui ne sont pas suffisamment armés pour être immédiatement du côté des gagnants. Elle vous démontre que les emplois détruits seront remplacés par d’autres. Sans doute. Mais lesquels, où et quand ? Les emplois détruits ne sont pas identiques aux emplois créés. On ne devient pas d’un jour à l’autre ingénieur à Grenoble quand on est ouvrier à Belfort. Cette vision désincarnée néglige l’aspect humain. Elle sous-estime aussi le coût économique, social –voire politique- élevé qui fragilise la cohésion de notre société et met en péril le financement de notre protection sociale. Sans compter la perte difficilement réversible de savoir-faire industriels qu’il a fallu plusieurs générations pour bâtir. Le seul mérite de cette option ultra-libérale qui est un véritable déni de réalité, c’est qu’elle est reposante pour les responsables politiques : elle implique l’inaction.

En ce qui me concerne, je refuse ces trois impasses qui sont autant de démissions devant l’avenir. Ma vision se veut pragmatique, volontariste et offensive. Elle rejette la fatalité.

Il n’est ni possible, ni souhaitable de s’opposer à la mondialisation. Mais il ne saurait être question de faire preuve de fatalisme devant les difficultés qu’elle engendre.

C’est pourquoi, je m’emploie depuis que mon arrivée au ministère de l’économie, des finances et de l’industrie à poser les premiers jalons d’une politique plus combative. En entreprenant d’abord le redressement de nos finances publiques parce que leur état nous enlève nos marges de manœuvre, nous condamne à rembourser des intérêts et nous interdit de consacrer le produit des impôts à des dépenses d’avenir. En alimentant ensuite la consommation par la revalorisation du pouvoir d’achat et des mesures de relance. En facilitant enfin l’investissement. C’est le sens de la baisse se l’impôt sur les sociétés, du dégrèvement de la part de la taxe professionnelle consacrée à l’investissement, ou encore de la réorientation des fonds de placement vers les fonds propres des PME.

C’est pourquoi dans le même temps, je plaide et j’agis pour que la France et l’Europe se dotent d’une politique industrielle plus volontariste. Notre pays, notre continent, se doivent de garder une vocation industrielle, car sans bases industrielles solides, il ne peut y avoir de croissance forte dans la durée. Nous mobiliser pour les défendre et la promouvoir n’est pas seulement une option, c’est un devoir. J’ai ainsi voulu que le projet de budget 2005 commence à renouveler nos outils d’intervention.

Il comporte des mesures visant à lutter plus efficacement contre les risques de désindustrialisation et de délocalisation. Des crédits d’impôt pourront ainsi être accordés d’une part, aux entreprises industrielles implantées à l’intérieur de bassins d’emplois en grande difficulté,

d’autre part, aux entreprises qui décideraient de relocaliser sur le territoire national tout ou partie de leurs activités transférées à l’étranger. Dans bien des cas, les décisions de localisation d’activités sont prises à la marge, et les incitations mises en place devraient permettre d’influer positivement sur cette marge. Si ces mesures ne se révèlent pas aussi efficaces que nous le souhaiterions, et bien nous en en étudierons d’autres, parce qu’il n’est pas question que nous cédions à la fatalité dans ce domaine.

Et c’est bien parce que nous ne croyons pas à la fatalité de la croissance molle, de la désindustrialisation et des délocalisations que le Gouvernement a décidé d’encourager l’essor des pôles de compétitivité. Une vingtaine de pôles devraient être désignés dès l’an prochain, dans les hautes technologies mais aussi dans des secteurs industriels plus anciens. Les projets qui y seront développés dans le domaine de l’innovation et de la recherche-développement seront encouragés par de subventions et par des exonérations fiscales et sociales. Ces aides seront naturellement conditionnées à l’engagement pris par les bénéficiaires de ne pas délocaliser les activités soutenues. Si nous parvenons à être au rendez-vous du niveau d’ambition que nous leur assignons, les pôles de compétitivité constitueront, j’en suis convaincu, un puissant levier au service d’une croissance durablement soutenue et de l’attractivité de notre territoire. Ils seront aussi le moyen de redonner à la France de grands projets industriels, de la même ampleur que ceux qui nous ont collectivement fait rêver dans le passé.

L’importance des enjeux ne nous autorise toutefois pas à nous satisfaire de cela.

Nous devrons à l’avenir élaborer et mener une politique plus ambitieuse encore. Elle devra s’attacher à améliorer la compétitivité globale de notre économie dans tous ses compartiments, tout en réduisant les incertitudes sociales pour les salariés.

Le premier moyen pour lutter efficacement contre les délocalisations, c’est de conforter les performances de nos entreprises. Comme l’industrie automobile en fournit l’illustration, il n’y a pas de fatalité. On peut investir en Asie pour vendre en Asie des voitures qu’autrement nous ne parviendrions pas à y vendre. En même temps, on peut produire des voitures en France et gagner des parts de marché. Qui aurait pronostiqué il n’y a même pas 20 ans que ce secteur, auquel on ne voyait pas d’avenir, embaucherait à nouveau massivement ? Mais s’il n’y a pas de fatalité, il n’y a pas de miracle non plus : si nous voulons que notre niveau de vie se maintienne et s’améliore, nos entreprise doivent renforcer leur productivité et leur compétitivité.

Tout d’abord, nous devons éviter d’augmenter les prélèvements sur les entreprises, puis nous efforcer de les réduire. Aujourd’hui, la moyenne européenne de l’impôt sur les sociétés est de 28%. C’est une moyennes. Certains nouveaux Etats-membres de l’Union européenne ont des taux compris entre 0% et 20%. Il serait choquant que ce dumping fiscal soit organisé et encouragé par l’Union européenne.

On ne peut pas d’un côté décider de réduire drastiquement les ressource fiscales dont on dispose, et de l’autre côté recevoir dans des proportions très significatives des financements versés par les contribuables des autres Etats-membres.

C’est pourquoi j’ai souhaité soulever le débat sur l’imposition des sociétés et les fonds structurels. Qu’on ne se méprenne pas. Je ne suis pas contre la concurrence fiscale en Europe. Mais à condition que cette concurrence s’effectue sur des bases saines et loyales. En tout état de cause, cela ne nous dispensera pas d’efforts pour converger vers un taux d’IS plus proche de la moyenne européenne.

L’amélioration de la fiscalité des entreprises ouvre sur un chantier beaucoup plus vaste, celui de la réforme des prélèvements obligatoires.

Notre système est loin d’être optimal. Il souffre d’un manque de lisibilité qui peut donner à un observateur extérieur l’image d’une pression fiscale encore plus forte qu’elle ne l’est en réalité.Il pèse excessivement sur les moteurs de la création de richesses, l’investissement mais aussi le travail. Cette situation est en grande partie imputable à l’augmentation des besoins de financement des régimes sociaux. Résultat : une augmentation continue des charges sociales compensée par des allègements financés par le budget de l’Etat et les contribuables. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Et il ne m’a pas semblé que cette brillante ingénierie ait résolu le problème du chômage et des déficits.

Vraiment, je crois que nous ne pourrons faire l’économie d’une réflexion d’ensemble sur la réforme de nos prélèvements obligatoires. Elle devra être menée sans tabou, avec le seul souci de servir l’efficacité économique et la justice sociale.

Il nous faudra aussi mener à bien un autre chantier, celui de la simplification de l’environnement législatif et réglementaire. Les entreprises françaises consacrent encore trop d’énergie et de moyens gérer une réglementation qui dépasse parfois le nécessaire. D’autant qu’à la suraccumulation de règles s’ajoute leur instabilité excessive. Cela nuit à notre attractivité. Dans une étude récente de la Banque mondiale, la France ne figure pas parmi les 20 premiers pays où il est facile de faire des affaires. En revanche, 7 pays européens s’y trouvent classés. Je sais que la méthodologie de ce type de classement est toujours discutable. Mais nombreux sont les entrepreneurs de notre pays qui partagent le jugement porté par cette étude. Je crois qu’ils ont raison.

Il faut réduire le fardeau réglementaire qui pèse sur nos entreprises, et plus largement sur l’ensemble de nos concitoyens. Il faut aussi instaurer des relations plus simples et plus transparentes avec une administration plus accessible et plus disponible. Le plan d’actions en cours de finalisation qui améliorera les relations entre les contribuables et l’administration fiscale, devrait permettre d’avancer dans ce sens. Pour les entreprises, le temps est une denrée rare et précieuse. L’administration doit s’organiser pour leur en prendre le moins possible.

Sécuriser l’environnement des entreprises, c’est -pourquoi pas ?-, également mieux utiliser la dépense publique pour conforter la visibilité de leur volume d’activité et stimuler leurs capacités d’innovation. J’estime nécessaire d’ouvrir enfin le débat sur l’amélioration de l’accès des PME indépendantes et innovantes à la commande publique.

Aux Etats-Unis, à travers le Buy American Act et le Small Business Act, une partie de la commande publique est ainsi réservée aux PME américaines. Cette « discrimination positive » n’a d’autre but que de consolider les perspectives des entreprises les plus dynamiques mais aussi les plus fragiles. En contribuant à leur assurer un courant minimal d’activité, cela permet aux chefs d’entreprise de déployer plus d’énergie pour innover ou conquérir de nouveaux marchés.

Je ne verrais que des avantages à ce qu’une partie de la commande publique puisse de même être affectée prioritairement à nos PME innovantes ou à celles établies dans des bassins d’emploi en difficulté. Et si la réglementation européenne s’y oppose, il faut engager des discussions avec nos partenaires. Pourquoi s’interdire de mettre en œuvre des pratiques qui ont fait leurs preuves ailleurs ? On m’avance que ces dispositions seraient en contradiction avec les dispositions de l’accord sur les marchés publics de l’OMC. Soit. Mais enfin, je constate aussi que les Etats-Unis ont exigé et obtenu une dérogation à cet accord concernant leurs dispositifs. Je suis d’accord pour que nous soyons exemplaires. Mais alors ne nous montrons pas seulement exigeants avec nous-mêmes.

Il ne me semble pas non plus scandaleux que les consommateurs, y compris les collectivités publiques, soient au minimum informés en toute transparence de l’origine des biens ou services qu’ils achètent. Qu’est-ce qui est le plus choquant pour les consommateurs? Que les centres d’appels disent d’où ils opèrent ou d’obliger des salariés à mentir et à changer de nom pour le franciser ?

Notre politique économique doit ensuite être plus résolument tournée vers la croissance, l’emploi et l’innovation. Il faut remettre les choses à l’endroit. C’est l’activité qui crée les richesses, et c’est la création de richesses qui permet de financer la cohésion sociale. Nous devons en finir avec ce sempiternel réflexe qui consiste à distribuer les richesses avant même de les avoir créées.

Je me suis déjà largement exprimé sur les 35 heures. C’est à mon sens l’une des plus grandes erreurs économiques de ces 20 dernières années. Mais ce n’est pas que le problème des 35 heures. C’est aussi celui de l’emploi des jeunes et de ce qu’il est convenu d’appeler les Seniors. Le taux d’emploi des jeunes entre 16 et 25 ans est de 24% dans notre pays contre 44% en moyenne dans les pays de l’OCDE. Le taux d’emploi des personnes âgées de 55 à 64 ans n’est que de 34% en France contre 50% en moyenne dans les mêmes pays de l’OCDE. Nous devons tout mettre en œuvre pour enrayer ce gâchis et accroître la mobilisation de notre population active.

La plupart des gens de bonne foi s’accordent à reconnaître que le droit du travail a besoin d’être réformé pour s’adapter aux défis que doit relever notre économie. Celui-ci s’est considérablement complexifié et rigidifié, en contradiction flagrante avec les intérêts des entreprises comme des salariés.

On a réussi ce tour de force, au motif d’être plus protecteur, de compromettre la compétitivité des entreprises et d’accentuer la précarité des salariés. Que je sache, cela n’a ni empêché les licenciements et les plans de restructuration, ni fait reculer le chômage et l’exclusion.

Il est temps de réfléchir vraiment à donner plus de flexibilité –ce n’est pas un gros mot- au droit du travail, en contrepartie du renforcement des garanties offertes aux salariés en termes de formation et de reclassement. Je prendrai l’exemple du Danemark. Là-bas, le taux de chômage est inférieur à 6%. Il y a une grande flexibilité, mais il y a aussi un niveau élevé d’indemnisation du chômage. Les chômeurs sont activement suivis et les politiques d’insertion ou de retour dans l’emploi sont très énergiques. Ce modèle, qui associe flexibilité des capacités de production et sécurité pour les travailleurs, est développé depuis longtemps dans les pays d’Europe du Nord. Dans ces pays, ce sont les sociaux-démocrates qui ont le mieux préparé leur population à la mondialisation. Nous n’avons pas eu cette chance. A l’avenir nous devrons nous inspirer de ce modèle. Jean-louis Borloo et moi-même avons demandé à deux économistes spécialistes du marché du travail, Pierre Cahuc et Francis Kramartz, de nous faire des propositions allant dans ce sens.

Pour sécuriser les salariés, il faut par ailleurs que nous les équipions mieux pour affronter les changements induits par la mondialisation. Ce qui est insupportable pour les victimes des délocalisations, c’est évidemment de voir disparaître leur outil de travail. Mais c’est encore plus de se retrouver démunis, sans avoir bénéficié de l’effort préalable de formation pouvant faciliter le reclassement, sans pouvoir chercher du travail dans d’autres régions faute de solutions de logement ou de perspectives d’emploi pour le conjoint.

Nous devons réfléchir à améliorer les garanties offertes aux territoires et aux salariés face aux chocs de la mondialisation.

Cela passe par un renforcement des obligations des entreprises en matière de réindustrialisation des sites frappés par des cessations d’activité. De ce point de vue, je reconnais volontiers que la loi de modernisation sociale, et en particulier son article 118, n’étaient pas dénués de toute pertinence. Il a d’ailleurs été laissé en vigueur par notre majorité. Sans doute faut-il envisager d’étendre la portée des obligations de réindustrialisation faites aux grandes entreprises par cet article. Pourquoi par ailleurs ne pas réfléchir aux conditions d’une mutualisation des efforts financiers pour tenir compte des capacités plus ou moins grandes des entreprises à développer des actions de reconversion?

De telles améliorations ne peuvent évidemment se concevoir qu’en contrepartie d’un assouplissement des règles qui entravent la flexibilité de l’appareil de production. Sinon, nous risquons de perdre encore en attractivité.

Cela passe aussi par des mesures d’accompagnement plus efficaces de la mobilité professionnelle et géographique. Cela implique en outre de mieux s’appuyer sur les gisements d’emploi dans les secteurs non délocalisables comme la restauration ou les services aux personnes. L’augmentation du volume des emplois dans ces secteurs permettrait d’offrir plus de solutions de reclassement aux salariés peu qualifiés victimes des restructurations.

Si nous devons mieux nous organiser pour réparer les dégâts causés par les délocalisations, nous devons dans le même temps progresser dans leur prévention. Cela veut dire mieux évaluer et anticiper les risques pour offrir en temps utile des alternatives aux entreprises, aux salariés et aux territoires. Nous arrivons bien à convaincre des grandes entreprises étrangères comme Toyota de venir s’installer chez nous. Nous arrivons à nous mobiliser avec succès pour que leurs usines s’implantent et recrutent massivement dans des bassins d’emploi très sinistrés. Alors pourquoi ne serions nous pas capables d’intervenir et de nous mobiliser aussi efficacement en amont de l’accident industriel ?

Pour faire le choix de la croissance et de l’emploi, il faut surtout faire le choix de la recherche et de l’innovation.

Si nous voulons non seulement résister mais aussi marquer des points dans la compétition internationale, il est indispensable de conforter notre avance technologique et de nous situer en permanence aux avant-postes de l’innovation. Nous devons pour cela accroître les moyens que nous allouons à la recherche et à l’enseignement supérieur. Nous avons commencé à le faire dans le budget 2005. Mais faire plus, cela suppose de recouvrer des marges de manœuvre budgétaires, en poursuivant la réduction des déficits et de l’endettement, en restaurant nos capacités de redéploiement des dépenses publiques.

Cela exige aussi de faire mieux, en améliorant l’organisation et le fonctionnement de la recherche publique et des universités. Il faut donner plus de responsabilités aux établissements concernés, en renforçant leurs capacités de gestion. Il faut aussi mieux hiérarchiser nos priorités et l’allocation de nos ressources. Si nous ne sommes pas suffisamment présents dans les activités de demain, comment suppléerons nous à la fragilisation des activités anciennes ? Comment trouverons nous les relais d’une croissance plus dynamique ?

Enfin, nous devons agir pour que la mondialisation se déroule sous l’empire de règles loyales, justes et humaines. Avec Patrick Devedjian, j’ai engagé la bataille contre les contrefaçons. La concurrence internationale ne pourra être loyale que si les droits de la propriété intellectuelle sont respectés. Dans les institutions internationales, nous militons avec nos partenaires européens pour faire reculer le travail des enfants ou l’exploitation des prisonniers.

Nous intervenons avec l’Union européenne pour que les barrières para-tarifaires qui entravent insidieusement l’accès à certains marchés soient démantelées. Ou bien encore pour que des standards minimaux dans le domaine environnemental soient observés. Nous défendons de même la nécessité que les taux de change reflètent les fondamentaux économiques. Une volatilité excessive peut en effet biaiser les choix d’investissement et affaiblir de façon excessive la compétitivité d’une économie. Ces négociations sont difficiles. Mais elles sont capitales pour que la mondialisation respecte toutes ses promesses.

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Mesdames et Messieurs les Députés, à travers les délocalisations, c’est notre volonté –je dirais même notre envie- de préparer l’avenir qu’interrogent les Français. Vous le savez, j’ai la conviction qu’ils ne redoutent pas le changement mais le réclament. Face au défi considérable que représentent les mutations en cours, ils n’aspirent pas au repli qui signerait notre déclin. Ils attendent que nous leur montrions le cap et que nous augmentions la voilure pour bénéficier à plein du vent nouveau et puissant qui souffle sur toute la planète. Ils demandent aussi que nous leur proposions des solutions pour les aider à surmonter les dommages infligés à leur outil de travail et à leur territoire. C’est un nouveau contrat de croissance et de progrès que nous devons leur proposer.

Je vous ai livré ma vision des voies qu’il nous faut ouvrir et emprunter pour être à la hauteur de leurs attentes et du rang de notre pays. Elles sont réalistes et volontaristes. Elles rejettent l’aveuglement idéologique aussi bien que le catastrophisme démagogique. Elles refusent la facilité autant que la fatalité. Je souhaite que ce débat permette, dans le même esprit, de susciter des propositions constructives et novatrices. Elles seront les bienvenues.