Projet de loi relatif à EDF / GDF


Intervention de M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’Économie, des finances et de l’industrie

Sénat – Lundi 5 juillet 2004 Projet de loi relatif au service public de l’électricité et du gaz, aux industries électriques et gazières

Monsieur le Président Monsieur le Président de la commission des affaires économiques Monsieur le Rapporteur, Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Nous sommes aujourd’hui devant un choix historique pour notre politique de l’énergie : adapter ou non la forme juridique d’EDF et de Gaz de France, définie en 1946 au lendemain de la guerre, aux réalités du monde de 2004. Telle est la question. Et je ne doute pas que le Sénat soit suffisamment sage pour comprendre d’emblée la nécessité d’une telle adaptation. Car depuis cinq jours, notre marché de l’énergie est ouvert à la concurrence. C’est un fait ! Ce n’est pas ce Gouvernement qui l’a choisi mais c’est la conséquence d’une décision prise au sommet européen de Barcelone, en mars 2002, par la précédente majorité.

Je souhaite, sur ce sujet, clarifier tout de suite le débat. Je ne suis pas en train de renvoyer la responsabilité de la décision de Barcelone à d’autres. Le processus d’ouverture à la concurrence a commencé en 1996, sous notre majorité, et je suis profondément convaincu que la concurrence est une bonne chose même si en l’occurrence elle doit se concilier avec notre attachement au service public. Ce que je récuse en revanche, c’est l’hypocrisie de l’opposition car on ne peut à la fois dire oui à Barcelone et ne pas en tirer, à Paris, les conséquences qui s’imposent sur l’évolution de nos entreprises ! La logique voudrait que le changement de forme juridique d’EDF et Gaz de France soit donc soutenu par ceux qui ont choisi d’ouvrir notre marché de l’énergie. J’avoue ne pas comprendre une attitude inverse et encore moins les raisons qui ont conduit Laurent Fabius, Dominique Strauss-Kahn et même Lionel Jospin à changer d’avis.

Mesdames, Messieurs les Sénateurs, je sais que dans cette Assemblée on connaît la valeur du temps et on mesure ce qui est important pour notre pays. Je le dis avec solennité : nous sommes aujourd’hui devant le 3ème rendez vous de l’histoire de notre politique énergétique.

Tout le monde se rappelle 1946 : le défi de la reconstruction et le choix visionnaire du Général de Gaulle et du Parti communiste de créer deux champions nationaux unifiant ainsi toutes les forces de notre pays pour financer sa nécessaire électrification.

Tout le monde se rappelle 1973 : la crise pétrolière qui impacta fortement le coût de la production électrique et plongea notre pays dans la récession et en réponse le lancement de la construction de 58 centrales nucléaires.

J’espère que tout le monde pourra demain se rappeler 2004 et pour une double raison : – la première c’est le lancement de l’EPR que l’Assemblée Nationale et le Sénat viennent de voter et qui nous permettra de préparer le renouvellement de notre filière nucléaire. – la seconde c’est celle de l’adaptation d’EDF et de Gaz de France à un marché unique européen de l’énergie qui s’ouvre à la concurrence.

Nous n’avons pas le droit de rater ce rendez-vous avec l’Histoire car les conséquences pour EDF et Gaz de France et donc pour leurs agents et pour l’emploi seraient majeures : – nos entreprises continueraient de subir les attaques de la Commission Européenne qui dénonce l’avantage concurrentiel que leur confère leur statut d’EPIC ; – elles ne pourraient compenser leurs pertes des parts de marché en développant des activités de service énergétique en France pour cause de principe de spécialité. Elles resteraient ensuite entravées en Europe, incapables de prendre des clients à leurs concurrents étrangers ;

- EDF serait par ailleurs contraint de financer son développement exclusivement par l’endettement comme sous la précédente majorité – 15 Md€ en 3 ans mais comment aurait-elle pu faire autrement ? Comment s’étonner surtout qu’EDF présente aujourd’hui un endettement si élevé : 24 Md€ de dette auquel il conviendrait d’ajouter les engagements de retraite et les provisions nucléaires pour 19 Md€ de fonds propres ? On ne peut à la fois vouloir participer au monde de la concurrence et ne pas en accepter les règles.

- Enfin, le régime actuel de retraite des industries électriques et gazières, les IEG ne pourrait éviter une faillite certaine. Qui peut en effet penser un instant que les entreprises pourront verser demain leurs pensions à des retraités de plus en plus nombreux tout en perdant des parts de marché ? Quelle est cette majorité qui a accepté l’application des normes comptables internationales, sachant que ceci se traduirait par une obligation pour EDF et Gaz de Françe de provisionner 60 Md€ condamnant ainsi un régime à la banqueroute ?

Je l’ai dit : nous n’avons pas le droit de rater ce rendez-vous avec notre histoire énergétique. Ne comptez donc pas sur moi pour prôner l’immobilisme. Je ne serais pas le fossoyeur d’EDF, de Gaz de France et par là-même du nucléaire et du service public.

Mon projet, c’est au contraire un projet pour la France, pour EDF et de Gaz de France et pour leurs agents.

Ce projet conforte d’abord l’essentiel : les valeurs du service public, le caractère intégré des entreprises et préserve les droits sociaux des agents : leur régime spécial de retraites, leur statut.

Pourquoi ? Parce qu’EDF et Gaz de France, cela n’est pas une page blanche. Il y a une histoire sociale qu’il nous faut prendre en compte et respecter. Il y a des valeurs auxquelles nous sommes tous attachés et qu’il nous faut défendre.

D’abord le service public. Trois points : – Les missions définies précisément dans les lois de 2000 et de 2003 qui incombaient aux établissements publics seront intégralement transférées aux sociétés publiques. Elles feront de surcroît l’objet d’un contrat, signé avec l’Etat, qui comportera des objectifs chiffrés en termes de qualité de service et de courant fourni aux consommateurs, de présence territoriale ou de délais d’intervention. – La péréquation tarifaire en matière d’électricité sera évidemment maintenue pour les clients non éligibles et pour les tarifs d’acheminement. Mieux, chaque fournisseur aura l’obligation de publier pour les petits professionnels des barèmes de prix accessibles et identiques sur tout le territoire. – EDF et Gaz de France constitueront enfin un opérateur commun, EDF Gaz de France distribution afin de préserver les synergies existantes entre les deux entreprises et pour garantir la qualité du service public de proximité. Ce service comptera 60 000 personnes et continuera de s’appuyer sur une centaine de centres de distribution.

Ensuite, le projet de loi préserve le caractère intégré de chacune des entreprises tout en veillant à garantir les conditions d’une concurrence équitable et donc un accès des tiers aux réseaux, transparent et non discriminatoire.

Il est clair que le maintien d’une proximité stratégique entre la gestion du réseau et l’exploitation du parc de production est un élément essentiel de notre sécurité d’approvisionnement. Ceci nous a évité les déboires et les coupures qu’ont connus nos amis italiens et américains l’été dernier. Je ne vois pas au nom de quoi nous devrions y renoncer et c’est pourquoi le projet prévoit : – d’une part qu’EDF et GDF puissent faire valoir leur droit légitime d’actionnaires au sein des conseils d’administration de leurs filiales de transport EDF Transport et Gaz de France Transport ; – d’autre part que ces filiales soient 100% public, c’est à dire intégralement détenus par EDF, Gaz de France et le cas échéant l’Etat ou toute autre entreprise du secteur public.

Je n’oublie pas pour autant que l’ouverture du marché à la concurrence suppose que ces filiales exercent au quotidien leurs activités de manière impartiale et c’est la raison pour laquelle, j’ai tenu à maintenir et même à compléter toutes les dispositions des lois de 2000 et de 2003 relatives à l’accès des tiers aux réseaux, aux pouvoirs de la CRE, à la fixation des tarifs ou au règle de fonctionnement interne des filiales.

Je remercie par ailleurs vivement votre rapporteur Ladislas Poniatowski d’avoir pris l’initiative d’une série d’amendements introduisant un accès négocié des tiers au stockage de gaz conformément aux préconisations des directives. Je crois que cette proposition permettra à la fois de renforcer la concurrence tout en préservant une utilisation prioritaire des stockages de gaz pour l’accomplissement des missions de service public.

J’en viens maintenant aux garanties sociales.

Tout d’abord, je le redis une fois encore : le statut des agents définis en 1946 sera intégralement maintenu. – Son champ d’application : production, transport, distribution, commercialisation. – Les agents concernés : les retraités, les présents dans l’entreprise, les futurs embauchés. – Son contenu : les dispositions relatives à la garantie de l’emploi, les prestations et les œuvres sociales.

La réussite d’EDF et de Gaz de France est aussi le fruit d’une histoire sociale qu’il nous faut prendre en compte et respecter.

Deuxièmement, ce projet de loi permet de pérenniser le système de financement du régime de retraites des industries électriques et gazières, conformément à l’accord social signé en janvier 2003 par les partenaires sociaux.

Cette réforme comprend trois parties.

Il s’agit d’abord d’adosser le régime des IEG aux régimes de droit commun : la CNAV, l’AGIRC et l’ARRCO afin que les IEG puissent bénéficier mais également contribuer à la solidarité interprofessionnelle. Il est en effet clair que cet adossement devra être neutre pour les salariés des entreprises privées comme pour ceux des IEG. Le Gouvernement sera donc favorable à l’amendement de M. Leclerc, au nom de la Commission des Affaires sociales, qui réaffirme ce principe.

La réforme prévoit ensuite d’identifier au sein du tarif d’acheminement la part couvrant les charges de retraites de ces activités et de la transformer en une contribution tarifaire afin de soulager les entreprises de l’obligation d’inscrire à leur passif les provisions correspondantes. La réforme sera donc neutre pour le consommateur : les tarifs de transport seront baissés à due concurrence du produit de la contribution tarifaire.

Enfin, l’Etat accordera sa garantie à la caisse des IEG en ce qui concerne les engagements de retraite antérieurs à 2004.

Il ne s’agit donc pas de toucher aux prestations de retraites mais exclusivement de modifier le système de financement du régime en le rapprochant d’un régime plus classique d’entreprise. Concrètement, cela veut dire que les 37,5 ans de cotisation ne sont pas modifiés par cette réforme. Ce sujet relève d’ailleurs désormais du fait de la nouvelle architecture introduite par cette loi, de la négociation entre partenaires sociaux de la branche des IEG.

Si ce projet conforte donc l’essentiel, comme je vous l’ai montré, il change en revanche l’accessoire – c’est-à-dire la forme juridique d’EDF et de Gaz de France – pour leur permettre de se développer.

Cette transformation d’établissements publics en sociétés anonymes est en effet indispensable pour donner les moyens juridiques et financiers à EDF et Gaz de France de lutter à armes égales contre leurs concurrents, de devenir deux champions européens, de se développer à l’extérieur de nos frontières, et en France même de faire face avec efficacité à la concurrence.

Cette transformation est la seule chose prévue par cette loi. Cela veut dire concrètement que le lendemain de son adoption, EDF et Gaz de France seront des sociétés mais des sociétés publiques détenues à 100% par l’Etat.

Alors, il est vrai qu’à la suite de cette transformation, le Gouvernement aura la capacité de vendre des actions EDF et des inquiétudes légitimes, inspirés par le cas de France Télécom, se sont exprimées sur ce sujet.

Il fallait y répondre clairement. C’est ce qu’a fait l’Assemblée nationale en portant le taux de détention minimum du capital d’EDF et de Gaz de France de 50% à 70%.

Il sera donc impossible de privatiser EDF. Pourquoi ? Parce qu’EDF, c’est le nucléaire et qu’une centrale nucléaire cela n’est pas un central téléphonique. Il y a une différence de nature qui justifie une différence de politique entre EDF et France Telecom.

En revanche, la question qui se pose, c’est celle de la meilleure manière de financer les projets de développement d’EDF. Car après 22 ans sans un euro donné par l’Etat à EDF, il est clair que cette entreprise est lourdement endettée et a besoins de moyens supplémentaires et parmi ces moyens, pourquoi pas – un renforcement de son capital.

Je dis bien un renforcement de son capital car l’objectif du Gouvernement avec cette réforme n’est ni idéologique ni de réaliser un gain budgétaire. Il n’y aura pas de vente d’actions « EDF » mais la possibilité de créer des actions nouvelles pour permettre à EDF de disposer des fonds nécessaires au financement de ses projets au premier rang desquels l’EPR.

Qui pourraient être ces nouveaux investisseurs ? – d’abord les agents. Comment en effet comprendre que les agents attachés à leur entreprise ne puisse bénéficier du fruit de leur dévouement et de la réussite exemplaire d’EDF et de Gaz de France. Le projet de loi remédie à cette injustice et prévoit de leur réserver 15% de toute augmentation de capital. – ensuite, les Français, c’est-à-dire les clients d’EDF et de Gaz de France qui pourront ainsi marquer leur attachement à leurs entreprises préférées. – ou encore, les collectivités locales qui seraient intéressées en tant qu’autorités concédantes du service public, à la réussite d’EDF et de Gaz de France.

Comment se préparera cette augmentation de capital ? EDF réalisera d’abord en s’appuyant sur ses conseils les travaux nécessaires à l’estimation de ses besoins financiers. Le Gouvernement saisira ensuite pour avis et par souci de transparence une commission consultative composée de parlementaires, de personnalités qualifiées, de clients et de représentants du personnel. Il arrêtera enfin sa décision et vous savez que dans cette recapitalisation, l’Etat prendra sa part en apportant 500 millions d’euros. Quand cette augmentation de capital pourrait-elle intervenir ? Sans doute pas avant la mi-2005 compte tenu de l’importance des travaux à conduire d’ici là.

Enfin, pour conclure sur les projets industriels des entreprises, j’ai également souhaité que l’opportunité d’une fusion entre EDF et Gaz de France soit examinée. J’ai ainsi demandée aux Présidents des deux entreprises de me remettre un rapport sur ce sujet pour septembre et également commandité une expertise juridique indépendante. La question est en effet d’abord juridique ? Une fusion est-elle compatible avec le droit de la concurrence européen ? N’entraînerait-elle pas des contreparties – c’est-à-dire des cessions d’actifs – telles qu’elles iraient à l’encontre des buts poursuivis ? Mais la question est aussi industrielle : n’est-il pas en effet préférable de maintenir sur notre marché national deux entreprises qui se connaissent plutôt qu’une seule ? Nous ne pouvons aller trop loin, car nous sommes entendus au delà de nos frontières, mais il est aussi nécessaire de se poser cette question. Une expertise approfondie sera donc conduite pour qu’en septembre tous les intervenants à ce dossier, et au premier rang la représentation nationale, soient informés des conséquences d’une fusion et c’est sur cette base que le Gouvernement arrêtera ses décisions.

Je voudrais pour conclure, si vous me le permettez, rendre un hommage aux agents d’EDF et de Gaz de France et en particulier à leurs organisations syndicales et au sens des responsabilités qui ont été le leur pendant ces deux derniers mois.

Certes, il y a eu des incompréhensions, des manifestations voire quelques incidents du fait d’éléments marginaux et incontrôlés mais globalement le sens des responsabilités a prédominé et la volonté de dialogue est restée constante comme j’ai pu l’apprécier en allant à Chinon, à Cergy ou à Saint-Denis.

Cette réforme n’est facile pour personne car chacun est poussé à prendre une posture idéologique même si chacun sait bien au fond que l’immobilisme n’est pas possible.

En votant cette loi, Messieurs et Mesdames les sénateurs, vous montrerez que l’idéologie comme l’immobilisme ne sont pas une fatalité dans notre pays et que la modernisation de notre secteur public est possible.