Recherche / Grenoble


Intervention de M. Nicolas SARKOZY ministre d’État, ministre de l’Économie, des finances et de l’industrie Recherche – Grenoble – lundi 21 juin 2004

Mesdames, Messieurs,

Si je suis venu ici, à Grenoble, c’est parce que j’ai voulu rencontrer ceux qui préparent l’avenir de notre pays et vous dire toute l’importance que j’attache à la recherche. J’étais à Crolles tout à l’heure, je suis maintenant au LETI, un laboratoire du CEA de renommée internationale. Ce laboratoire est exemplaire : ici, à Grenoble, les liens étroits entre la recherche publique et l’industrie sont une évidence. C’est cette évidence que je veux voir s’imposer ailleurs sur notre territoire.

La recherche c’est évidemment la préparation de notre avenir, c’est la source de tous les progrès, c’est une source fondamentale de changement et d’amélioration de nos conditions de vie. Mais c’est aussi d’elle que dépend la compétitivité à long terme de notre économie. C’est pourquoi, c’est pour moi une priorité.

La recherche est une aventure passionnante : elle impose de réfléchir différemment, de remettre en cause, d’oser. C’est un travail admirable, que celui d’essayer de repousser toujours plus loin les limites de la connaissance. Cette volonté permanente de dépassement, la curiosité insatiable qui vous anime, ce besoin de comprendre toujours davantage, je ne peux les voir qu’avec beaucoup de sympathie. Notre pays s’honore d’avoir des chercheurs de grande valeur dont le niveau d’excellence est mondialement reconnu : c’est l’un des principaux atouts de notre pays.

Vous demandez plus de moyens pour la recherche, et je comprends cette demande. Je suis venu vous dire que les engagements pris par l’État concernant l’effort de financement seront respectés à l’euro près et ce quels que soient les problèmes que j’ai par ailleurs à assurer cet engagement dans l’état de nos finances publiques.

La légitimité du financement public de la recherche est incontestable. Les externalités positives de la recherche, comme disent les économistes, sont telles pour l’ensemble de la société, qu’il n’y a aucun doute, l’État est au cœur de ses missions quand il finance la recherche.

Mais la priorité, vous le savez, c’est d’atteindre l’objectif de Barcelone, en portant l’effort de recherche dans l’Union à 3 % du PIB en 2010 et en doublant d’ici là la recherche privée dans notre pays. Cet effort, nous devons nous efforcer de l’atteindre tous ensemble, car unie l’Europe est plus forte. Pensez que la richesse qu’elle crée chaque année est supérieure à celle des État-Unis ! Par le développement de projets communs plus nombreux, l’effet de levier de la recherche européenne sera plus fort encore. Nous devons atteindre cet objectif tout en prenant en compte la situation difficile des finances publiques de notre pays. Notre État dépense aujourd’hui beaucoup plus qu’il ne gagne et son endettement s’accroît à un rythme soutenu. Cette situation ne peut se prolonger indéfiniment. Je dois donc faire des choix. Ils sont difficiles. Ils sont douloureux. Donner plus à l’un, c’est toujours priver l’autre. Les arbitrages budgétaires ne sont pas encore rendus. Je ne peux pas aujourd’hui anticiper sur le détail de la discussion que je vais avoir avec le ministre de l’éducation et de l’enseignement supérieur et le ministre de la recherche. Je ne peux pas non plus préjuger des arbitrages que rendra le Premier ministre.

Ce que je peux aujourd’hui vous dire, c’est que je dégagerai même si c’est dans la douleur les marges de manœuvre nécessaires au financement de vos ambitions légitimes en faveur de la recherche française. Alors que l’objectif de progression des dépenses de l’ensemble du budget de l’État est de 0 %, je peux vous dire que le budget de la recherche sera l’un des seuls à bénéficier d’une progression.

Je ne dis pas cela pour faire plaisir aux uns et déplaisir aux autres. Je dis cela parce qu’il s’agit de l’avenir, un avenir pour lequel nous avons déjà accumulé bien des retards.

Mais la question des moyens n’est pas tout. Il faut avoir le courage de le dire et d’en tirer toutes les conséquences. Il faut aussi s’assurer du bon usage de ces moyens. Je suis, vous êtes, comptables de l’usage des deniers publics affectés à la recherche.

Quelle est la situation aujourd’hui ? La France, on l’oublie parfois, est en tête de l’OCDE pour l’effort de recherche publique, avec 1 % du PIB. C’est l’effort privé qui accuse un retard par rapport aux autres pays : il représente dans notre pays 1,2 % du PIB, contre 2,1 % pour les États-Unis, 2,3 % pour le Japon ou 1,8 % pour l’Allemagne.

Les indicateurs mesurant la production et le rayonnement de la recherche française ne sont pas toujours au niveau de nos concurrents : la part mondiale de la France dans les dépôts de brevets est en baisse, les publications françaises sont moins nombreuses que celles de l’Allemagne ou du Royaume-Uni, et la recherche publique française a un effet d’entraînement insuffisant sur le développement de la recherche dans le secteur privé.

Ce qui est en jeu, c’est donc aussi l’optimisation de l’organisation et du fonctionnement de notre recherche publique. C’est l’intérêt des chercheurs de pouvoir travailler dans des conditions plus performantes, et c’est aussi l’intérêt de la collectivité, qui est le principal financeur et le bénéficiaire ultime de ces travaux de recherche. Si des crédits publics supplémentaires peuvent être consacrés à la recherche publique, leur affectation devra s’effectuer dans un contexte d’amélioration de l’efficacité de la recherche publique française.

Comment améliorer notre recherche publique ? Plusieurs principes me paraissent devoir être retenus : – Je souhaite qu’en cas de moyens supplémentaires, ces crédits ne financent pas des structures, mais des projets de recherche correspondant à des priorités identifiées, qui auront été préalablement sélectionnés sur des critères d’excellence scientifique. Notre pays dispose par exemple dans le domaine des biotechnologies d’un potentiel insuffisamment exploité. Nous devons combler le retard que nous sommes en train de prendre dans ce domaine. – L’évaluation doit être renforcée : l’évaluation scientifique des travaux d’une part, qui doit être réalisée de manière indépendante, l’évaluation de la gestion d’autre part, qui doit aussi reposer sur une culture du résultat et de la performance, en même temps que sur des objectifs mieux définis. Il n’y aura pas de modernisation de la France sans une nouvelle culture de l’évaluation systématique de nos politiques publiques. – Il faut aussi favoriser l’augmentation de la recherche privée. Nous l’avons déjà fait l’an dernier en doublant la dépense fiscale consacrée au crédit d’impôt recherche, qui devrait passer de 500 millions à 1 milliard d’euros. Cette augmentation de la recherche privée doit provenir pour partie d’une meilleure exploitation des travaux de la recherche publique et d’un recours plus fréquent des entreprises aux compétences des laboratoires publics. – Il faut également reconnaître la place importante qu’occupent désormais les universités dans l’effort de recherche. Je tiens à saluer le rôle de l’Institut national polytechnique de Grenoble et de l’université Joseph Fourier, qui travaillent étroitement avec les établissements de recherche et les entreprises dans cette région. La généralisation de tels comportements serait facilitée par une plus grande autonomie des universités, qui les rendrait plus responsables de leurs ressources, et les inciterait davantage à la conclusion de partenariats avec les acteurs du territoire, à même d’augmenter leurs moyens d’action. C’est d’ailleurs ce que montre si bien Christian Blanc dans son rapport, en soulignant que nombreux sont les pôles de compétitivité qui se sont fédérés autour d’une université. Je pense par exemple aux universités de Stanford et Berkeley, dans la Silicon Valley aux États-Unis. – Il nous faut également mieux hiérarchiser nos priorités en matière de recherche. Nos moyens sont dispersés, plusieurs laboratoires travaillent de manière séparée sur des domaines proches, sans avoir la taille critique. Tout le monde ne peut pas tout faire, il faut accepter de se concentrer sur quelques domaines et d’éviter les éventuelles redondances entre organismes. – En même temps, il faut favoriser les croisements des savoirs : il en résulte généralement des innovations remarquables. Je viens d’en voir un exemple avec les objets communicants, qui sont particulièrement adaptés aux besoins de notre société, grâce à l’association des technologies de l’information et des sciences sociales. – Enfin, une réflexion doit être menée sur la situation fiscale des organismes de recherche publique, lorsqu’ils développent aussi des activités lucratives en partenariat avec les entreprises. Le développement de telles activités est souhaitable, mais le traitement fiscal de ces activités n’est aujourd’hui pas satisfaisant, y compris pour l’administration fiscale, et mérite une clarification autant qu’une simplification. Il y a là un nouvel équilibre à trouver. J’y veillerai.

Je voudrais aussi vous dire qu’il faut que les liens soient renforcés entre recherche publique et recherche privée, entre entreprise et recherche publique, entre recherche fondamentale et recherche appliquée. Est-ce qu’on ne peut pas faire tomber les cloisons ? Il faut abandonner ces préjugés qui entravent l’établissement de relations solides entre le monde de la recherche et celui de l’entreprise, le premier redoutant, en cas de contact avec le second, un dévoiement de son idéal, tandis que le second doute parfois de la performance du premier et de sa capacité à obtenir des résultats probants.

Oui, l’entreprise a besoin de la recherche fondamentale, c’est des grandes découvertes que viennent les plus grandes transformations de la société, et les innovations technologiques qui changent le monde. Les entreprises ont besoin d’anticiper et d’assimiler ces progrès, pour maintenir leur compétitivité dans un monde où la concurrence est mondiale et en voie d’accélération continue. Mais la recherche fondamentale a aussi besoin du débouché que lui donne la recherche appliquée, et au-delà l’entreprise, qui sait mettre à la portée de tous les bénéfices de ces progrès. La connaissance doit être partagée et valorisée, elle doit profiter à tous et ne peut rester le privilège de ceux qui savent.

A cet égard, le pôle grenoblois est exemplaire. Il a su rassembler chercheurs, universitaires, entrepreneurs et entreprises multinationales. Cet exemple doit se généraliser.

Voilà les quelques réflexions que je voulais vous livrer sur la recherche.

Dans un ouvrage important, Le savant et le politique, le grand sociologue et philosophe Max Weber, a distingué deux formes d’éthique, l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité, attribuant la première au savant et la seconde au politique. Vous pouvez compter sur ma force de conviction et je sais en retour pouvoir compter sur votre sens des responsabilités pour qu’ensemble, nous parvenions à créer les conditions d’une recherche plus forte et plus performante.

Sur vous repose une partie de l’avenir à long terme de notre pays. Une société qui ne crée plus, une société qui ne découvre plus, une société qui n’invente plus, c’est une société condamnée au déclin.

Vous le savez je ne crois pas à la fatalité. Tous ensemble, nous pouvons faire de la France un des hauts lieux de la recherche mondiale. C’est une question de volonté. J’ai voulu vous dire que j’y étais décidé.