Projet de loi pour EDF-GDF


Intervention de M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’Économie, des finances et de l’industrie

Mardi 15 juin 2004 Projet de loi relatif au service public de l’électricité et du gaz et aux industries électriques et gazières

Monsieur le Président, Monsieur le Président de la Commission des Affaires économiques, Monsieur le Rapporteur, Mesdames et Messieurs les Députés,

En 1950, à la Bourse du travail de Paris, et s’exprimant devant une assemblée de militants de la toute nouvelle entreprise EDF, Marcel Paul prononçait cette phrase « Je vous demande, à vous, collègues et camarades, de ne jamais oublier que vous avez en charge un instrument fondamental de la vie du pays ». Nous sommes aujourd’hui en 2004 et je voudrais vous dire avec la même conviction qui était alors la sienne : Je vous demande, Messieurs les députés, de ne jamais oublier lors de ce débat que vous avez en charge un instrument fondamental de la vie du pays.

Il en va de notre responsabilité devant l’Histoire car il y aura désormais dans l’histoire de l’énergie française trois dates fondamentales : 1946, 1973 et 2004.

1946 : c’est le défi de la reconstruction et le choix visionnaire de créer un champion national. Le secteur électrique était exsangue, épuisé par 6 années de guerre qui succédaient à 50 années de concurrence et de développement hétéroclite de petites entreprises. Rendons hommage au Général de Gaulle et au Parti communiste d’avoir nationalisé ce secteur, permettant ainsi d’unifier toutes les forces et d’apporter les financements publics nécessaires à l’électrification du pays.

1973 : c’est la crise pétrolière qui impacte fortement le coût de notre production électrique et c’est une fois de plus un choix visionnaire, assumé par l’ensemble des partis politiques, qui est fait : celui de construire 58 centrales nucléaires pour répondre à nos besoins et ne plus dépendre des importations.

Nous sommes aujourd’hui, en 2004, les héritiers de ces choix, et nous avons en face de nous un double défi à relever.

Le premier c’est celui de l’effet de serre et de la préparation du renouvellement de notre filière nucléaire. Nous venons de le relever et je me félicite que l’Assemblée Nationale et le Sénat viennent de voter la loi d’orientation sur l’énergie et dans ce cadre la construction du réacteur à eau pressurisée : l’EPR.

Le second c’est celui de la constitution d’un marché unique européen de l’énergie, ouvert à la concurrence.

Le 1er juillet 2004, dans 15 jours, le marché de l’énergie sera en effet ouvert à 70%. C’est un fait ! Ce n’est pas ce Gouvernement qui l’a choisi mais c’est la conséquence d’une décision prise au sommet européen de Barcelone, en mars 2002, par la précédente majorité.

C’est une décision que je ne récuse pas. Notre majorité a d’ailleurs contribué à ce mouvement de libéralisation en 1996 avec la première directive sur l’électricité, et en 2003 avec la loi sur le gaz. Je suis d’ailleurs profondément convaincu que la concurrence est une bonne chose car elle oblige chacun d’entre nous à innover et à se dépasser. Ce Gouvernement est pour autant conscient que l’énergie n’est pas un bien comme les autres. Une régulation forte est donc nécessaire pour pouvoir concilier la concurrence et le service public auquel nous sommes tous attachés.

Ce que je récuse en revanche, c’est l’hypocrisie. On ne peut à la fois dire oui à Barcelone et ne pas en tirer les conséquences qui s’imposent sur l’évolution de nos entreprises ! L’immobilisme est coupable, pour EDF et Gaz de France, comme il l’était pour les retraites !

L’immobilisme, c’est condamner nos entreprises à perdre des clients sur leur marché domestique sans pouvoir les compenser : en France en développant des activités de service énergétique, en Europe en prenant des clients aux concurrents.

L’immobilisme, c’est condamner nos entreprises à rester soumises à un principe de spécialité qui les empêche de vendre respectivement du gaz et de l’électricité ainsi que des services, accélérant le processus de perte de parts de marché.

L’immobilisme, c’est condamner nos entreprises à subir les mises en cause de la Commission Européenne qui dénonce l’avantage concurrentiel que leur conférerait leur statut d’EPIC, et à être entravées dans leur développement, pour les mêmes raisons, dans la majorité des pays européens et notamment en Italie ou en Espagne.

L’immobilisme, c’est condamner EDF à financer son développement exclusivement par l’endettement comme elle l’a fait sous la précédente majorité – 15 Md€ en 3 ans – mais comment aurait-elle pu faire autrement ? Comment s’étonner surtout qu’EDF présente aujourd’hui un endettement très élevé : 24 Md€ de dette auquel il conviendrait d’ajouter les engagements de retraite et les provisions nucléaires, pour 19 Md€ de fonds propres ? On ne peut à la fois vouloir participer au monde de la concurrence et ne pas en accepter les règles.

L’immobilisme, c’est condamner le régime actuel de retraite des industries électriques et gazières à la faillite. Qui peut en effet penser un instant que les entreprises pourront verser demain leurs pensions à des retraités de plus en plus nombreux, tout en perdant des parts de marché ? Quelle majorité a pu à la fois accepter l’application des normes IAS aux sociétés en 2005 et aux EPIC en 2007 et ne rien faire pour les retraites, sachant pourtant très bien qu’EDF et Gaz de France auraient alors à provisionner 60 Md€ en ne disposant que de 30 Md€ de fonds propres ?

Enfin, l’immobilisme, c’est condamner pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, EDF et Gaz de France à réduire leurs ambitions et leurs activités et donc au bout du compte à diminuer l’emploi !

Je ne serai pas l’homme de cet immobilisme. Je ne veux pas être le fossoyeur d’EDF, de Gaz de France et par là-même du nucléaire et du service public.

Mon projet est un projet pour la France, pour les entreprises et pour les agents d’EDF et de Gaz de France et non contre eux.

Ce projet change l’accessoire, c’est-à-dire la forme juridique d’EDF et de Gaz de France – pour mieux préserver l’essentiel : la bonne santé des entreprises, leur caractère intégré, les valeurs du service public, le régime spécial de retraites, le statut des agents.

Il est en effet clair qu’EDF et Gaz de France doivent pouvoir lutter à armes égales contre leurs concurrents.

Ce sont aujourd’hui deux champions nationaux. Ils doivent avoir les moyens juridiques et financiers de devenir deux champions européens, de se développer à l’extérieur de nos frontières, et en France même de faire face avec efficacité à la concurrence.

Pour cela, il est indispensable de transformer ces établissements publics en sociétés anonymes – pour qu’ils ne soient plus handicapés par le principe de spécialité ou entravés en Europe.

Cette transformation est la seule chose prévue par cette loi. Cela veut dire concrètement que le lendemain de son adoption, EDF et Gaz de France seront des sociétés mais des sociétés détenues à 100% par l’Etat.

Alors, il est vrai qu’à la suite de cette transformation, le Gouvernement aura la capacité de vendre des actions EDF.

Des inquiétudes se sont exprimées sur ce sujet. Je veux donc y répondre par la loi : EDF et Gaz de France ne seront pas privatisées. Mieux, j’accepterai l’amendement du rapporteur prévoyant de porter le taux de détention minimum du capital d’EDF et de Gaz de France de 50% à 70%. On me dira : oui, bien sûr mais qu’est-ce qui nous garantit que la loi, plus tard ne permettra pas la privatisation ?

La réponse est simple, il n’y aura pas de privatisation parce qu’EDF, c’est le nucléaire et qu’une centrale nucléaire cela n’est pas un central téléphonique. Il y a une différence de nature qui justifie une différence de politique. Jamais un gouvernement français ne prendra le risque de privatiser l’opérateur des centrales nucléaires.

En revanche, la question que nous devons nous poser, c’est celle de la meilleure manière d’accompagner et de financer les projets de développement d’EDF. La question de l’appel à l’actionnariat privé pour accompagner l’actionnariat de l’Etat n’est pas pour moi une question idéologique. Aujourd’hui, je vous propose de transformer l’organisation juridique de l’entreprise. L’éventualité de l’augmentation de capital est une question exclusivement pratique. Est-ce nécessaire ? Et à quel niveau ?

A cet égard chacun sait que la nouvelle société anonyme, propriété de l’Etat à 100%, qui va je l’espère naître de vos décisions, aura selon toute vraisemblance besoin d’argent. EDF n’a pas été recapitalisée depuis 22 ans.

Il lui faudra donc des moyens supplémentaires pour financer son développement, et parmi ces moyens, un renforcement de son capital.

Je dis bien renforcement de son capital. L’objectif du Gouvernement avec cette réforme n’est pas de réaliser un gain budgétaire mais bien de donner les moyens financiers à EDF de mettre en œuvre son projet énergétique pour la France. Il n’y aura donc pas de vente d’actions « EDF » mais une possibilité de créer des actions nouvelles pour permettre à EDF de disposer des fonds nécessaires au financement de ses projets, au premier rang desquels l’EPR.

Qui pourraient être ces investisseurs ? Le gouvernement a à cet égard une vision claire de la part privée de l’actionnariat d’EDF. Ceux qui souscriront à l’augmentation de capital pourraient être :

- d’abord les agents. Il y a en effet aujourd’hui une contradiction à ne pas permettre aux agents qui sont attachés à leur entreprise de participer à leur capital et de bénéficier ainsi du fruit de leur dévouement et de la réussite exemplaire d’EDF et de Gaz de France. Le projet du Gouvernement prévoyait à cet égard de réserver 10% de toute augmentation de capital aux agents. Je serai favorable à l’amendement du rapporteur portant ce taux à 15%. – ensuite, les Français qui sont aussi les clients d’EDF et de Gaz de France et qui pourront ainsi marquer leur attachement à leurs entreprises préférées, soit directement à travers leur épargne personnelle. – ou encore, les collectivités locales qui seraient intéressées en tant que concédantes du service public, à la réussite d’EDF et de Gaz de France et qui pourraient donc souhaiter participer à leur développement.

Comment se préparera cette augmentation de capital ? Quand le changement de statut sera intervenu, l’entreprise réalisera en s’appuyant sur ses conseils les travaux nécessaires de valorisation d’EDF ainsi que des besoins financiers. Par souci de transparence, et avant de prendre sa décision sur cette augmentation, le Gouvernement saisira pour avis une commission consultative composée de parlementaires, de personnalités qualifiées, de clients et de représentants du personnel. Et vous savez que dans cette recapitalisation, je l’ai déjà dit, l’Etat prendra sa part en apportant 500 millions d’euros. Quand cette augmentation de capital pourrait-elle intervenir ? Sans doute pas avant la mi-2005 compte tenu de l’importance des travaux à conduire d’ici là.

Dans le même temps que se préparera l’augmentation de capital sera également mis au point le projet de l’entreprise. Ses investissements, son rôle dans le développement économique national, ses options à l’international, devront être définies, et là aussi dans la transparence. C’est un autre point qui devra retenir la commission consultative. Et cela pour une raison simple : celle qu’EDF est la propriété de la nation c’est-à-dire de tous les Français.

Pour conclure sur le développement des entreprises, une autre question souvent posée est celle de l’opportunité d’une fusion entre EDF et GDF. C’est un sujet d’une extrême complexité. Mais là encore, le gouvernement entend bien prendre ses responsabilités, et -dans la clarté- dire sa décision. La question à vrai dire est d’abord juridique. Est-ce envisageable au regard du droit européen et de la jurisprudence de la Commission Européenne ? Une fusion n’entraînerait elle pas des contreparties telles – c’est-à-dire des cessions d’actifs – qu’elles iraient à l’encontre des buts poursuivis ? Les expertises seront approfondies pour septembre et tous les intervenants à ce dossier, et au premier rang d’entre eux, bien sûr, la représentation nationale, seront informés.

Voila pour ce qui va changer – la forme juridique. J’en viens désormais à ce que ce projet de loi préserve ou conforte.

EDF et Gaz de France, cela n’est pas une page blanche. Il y a une histoire sociale qu’il nous faut prendre en compte et respecter. Il y a des valeurs auxquelles nous sommes tous attachés et qu’il nous faut défendre.

D’abord le service public. Les missions de service public qui incombaient à EDF et Gaz de France en tant qu’établissement public et qui sont définies précisément dans les lois de 2000 et de 2003 continueront de leur incomber en tant que sociétés publiques.

Ces missions sont désormais précisées dans le cadre d’un contrat, signé avec l’Etat et les entreprises, et qui portera notamment sur la qualité du service rendu aux consommateurs : la présence territoriale, la qualité du courant fourni, les délais d’intervention.

La péréquation tarifaire en matière d’électricité sera évidemment maintenue pour les clients non éligibles et pour les tarifs d’acheminement. Mieux, le projet prévoit également d’obliger chaque fournisseur à publier pour les petits clients éligibles des barèmes de prix accessibles à tous et identiques sur tout le territoire.

Enfin, EDF et Gaz de France constitueront, sur le modèle de l’actuelle DEGS, un opérateur commun, EDF Gaz de France distribution afin de préserver les synergies existantes entre les deux entreprises et pour garantir la qualité du service public de proximité. Ce service comptera 60 000 personnes et continuera de s’appuyer sur une centaine de centres de distribution.

Deuxième garantie, le projet de loi maintient le caractère intégré d’EDF et de Gaz de France tout en veillant à garantir les conditions d’une concurrence équitable et donc un accès des tiers aux réseaux, transparent et non discriminatoire.

Je ne vois pas en effet au nom de quoi, nous devrions renoncer à un système qui a fait ses preuves tant il est clair que le maintien d’une proximité stratégique entre la gestion du réseau et l’exploitation du parc de production est un élément essentiel de notre sécurité d’approvisionnement. Les exemples des « black out » italien et américain de l’été dernier l’ont d’ailleurs bien montré.

Le projet de loi prévoit donc d’une part pour garantir la concurrence : – de maintenir les dispositions des lois de 2000 et de 2003 relatives à l’accès des tiers aux réseaux, aux pouvoirs de la CRE et à la fixation des tarifs ; – d’imposer la création de filiales pour les activités de transport, EDF Transport et Gaz de France Transport et la création de services indépendants, sur le plan de la gestion, pour celles de distribution ;

Le projet de loi prévoit d’autre part pour préserver le caractère intégré des entreprises : – qu’EDF et GDF puissent faire valoir leur droit légitime d’actionnaires au sein des conseils d’administration de leurs filiales ; – qu’EDF Transport et Gaz de France Transport soient intégralement détenus respectivement, par EDF, Gaz de France et l’Etat ou toute autre entreprise du secteur public, et donc demeurent à 100% publics.

Troisième garantie prévue par la loi : la pérennisation du système de financement du régime de retraites des industries électriques et gazières, conformément à l’accord social signé en janvier 2003 par les partenaires sociaux.

Trois principes guident cette réforme : 1. Le régime spécial par répartition des IEG est maintenu pour tous les agents : les retraités, les présents dans l’entreprise, les futurs embauchés ; 2. Les prestations ne sont pas concernées par cette réforme qui vise exclusivement à modifier le système de financement du régime et non les droits. Concrètement, cela veut dire que les 37,5 ans de cotisation ne sont pas modifiés. 3. Cette réforme est neutre économiquement pour le consommateur, le contribuable, les salariés du privé et le personnel des IEG.

Cette réforme s’appuie sur trois points : – un adossement du régime des IEG aux régimes de droit commun : la CNAV, l’AGIRC et l’ARRCO ce qui permet de réduire les risques pesant sur le régime des IEG ; – l’identification au sein du tarif d’acheminement d’une contribution tarifaire correspondant à la part du tarif couvrant les charges de retraites de ces activités. Celle-ci sera donc neutre pour le consommateur ; – l’octroi de la garantie de l’Etat à la caisse des IEG pour les engagements de retraite antérieurs à 2004.

Enfin dernière garantie apportée par le projet – du moins implicitement.

Le statut des agents définis en 1946 est maintenu. D’abord son champ d’application : production, transport, distribution, commercialisation. Ensuite, son contenu : les dispositions relatives à la garantie de l’emploi, les prestations et les œuvres sociales.

Je l’ai déjà dit. La réussite d’EDF et de Gaz de France est aussi le fruit d’une histoire sociale qu’il nous faut prendre en compte et respecter.

Je finirai pour conclure, si vous me le permettez, sur une note plus personnelle. Je n’aurai pas la prétention de dire qu’en arrivant comme Ministre des Finances il y a deux mois je connaissais bien la réalité des entreprises EDF et Gaz de France et surtout l’ampleur des défis auxquelles elles avaient à faire face. Je savais en revanche que l’aventure serait risquée puisque tout le monde considérait la réforme comme impossible.

J’ai beaucoup appris pendant ces deux mois, et en particulier beaucoup compris des agents en me rendant à leur rencontre à Chinon, à Cergy, à la Défense et à Saint-Denis, dans toutes les branches de l’entreprise. Beaucoup compris de leur inquiétude, mais aussi de leur détermination à faire face à la concurrence et de leur souhait que l’on leur en donne les moyens. Je ne décevrai pas leur attente.

Le Général de Gaulle avait l’habitude de dire à propos des réformes difficiles : « C’était impossible. C’était nécessaire. C’est fait. » On m’a dit que c’était une réforme impossible. Je pense que c’est une réforme nécessaire. Je souhaite que votre Assemblée me permette de la faire